Dresser des dauphins-soldats, mission secrète de cette femme en URSS

Photographie d'illustration

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Valeri Choustov/Sputnik
Tout le pays a vu Galina Chourepova au cinéma – elle travaillait comme cascadeuse et se «noyait» à l’écran. Personne ne se doutait par contre que cette charmante jeune femme entraînait des dauphins pour des opérations de combat dans le cadre d'une mission militaire secrète.

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Près du rivage, se trouvent des bassins à carreaux abritant de grands dauphins. Grâce à leur sonar naturel, même lorsqu'ils sont en captivité, ils s’avèrent capables de repérer tout objet sous-marin dans un rayon d'un demi-kilomètre. C'est pour ça qu'ils sont là.

Après avoir repéré des nageurs, un dauphin appuie sur une pédale spéciale et une fusée s'élève dans les airs. Puis il se lève de sorte que son rostre indique l'emplacement approximatif de l'« intrus ». Ensuite, le dauphin actionne une autre pédale et l'enclos s'ouvre. L’animal se précipite alors vers la cible et la désarme.

Il s'agit d'une scène typique de « travail » d'un dauphin combattant, l'une des nombreuses choses qu'ils ont apprises grâce à une jeune femme appelée Galina Chourepova, prisonnière de la Gestapo et fille d'un officier.

Enfant kidnappé

Quand Chourepova avait trois ans, la Seconde Guerre mondiale a commencé. « Nous vivions à la frontière, en Lituanie. Les Allemands sont entrés dans la ville de Vilkaviškis une demi-heure seulement après le début de la guerre. Une bombe a frappé notre maison », a-t-elle témoigné.

Son père, le chef d'un département spécial du service de renseignement étranger, a subi une commotion et a été, inconscient, envoyé à l'arrière avec le reste des hauts gradés du Parti. De leur côté, Galina, sa mère et sa sœur, âgée d'un an et demi, sont restées sur place. Cependant, quelqu'un les a dénoncées, informant les Allemands qu'elles étaient la famille d'un officier soviétique. Sa mère, Alexandra, a immédiatement été déportée dans un camp de concentration en Allemagne, et les filles, étant les plus saines, ont été sélectionnées pour le groupe de donneurs Pfläume, où leur sang a été transfusé aux soldats allemands blessés.

Après la guerre, elles ont été confiées à un refuge, où elles ont subi des violences physiques et psychologiques. « Une fois, le directeur allemand m'a battue et m'a cassé le bras parce que j'avais léché l’emballage de la margarine et l'avais donné aux filles », a raconté Galina.

Tout ce temps, leur père et leur mère (elle avait survécu au camp de concentration) ont continué à les chercher, bien que la réponse de la RDA ait été sans ambiguïté : les enfants des Chourepov avaient intégré le groupe Pfläume et plus tard été tués dans les chambres à gaz d’un camp de concentration. Malgré cela, les recherches se sont poursuivies et les enfants n'ont été retrouvés que huit ans plus tard. Une autre liste d'enfants ramenés d'Allemagne comprenait deux fillettes qui ont pu être identifiées par des dates de naissance correspondantes. Leurs noms et prénoms avaient été modifiés et elles avaient oublié le russe, mais il ne faisait aucun doute qu'il s'agissait des deux sœurs.

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Actrice de blockbuster

Après le secondaire, Galina est allée étudier à l'Institut d'éducation physique de Leningrad, où elle a découvert sa passion pour les sports subaquatiques. Après seulement un an d'entraînement, elle est devenue championne d'URSS dans cette discipline.

Or, lors de l’une des compétitions, était présent un directeur de casting d'une équipe de cinéma, à la recherche d'une athlète féminine pour jouer le rôle d'une cascadeuse dans Le Tarzan des mers (1961), première superproduction soviétique de la période poststalinienne. Galina, grâce à son professionnalisme et son apparence, a obtenu le rôle. Plus tard, ce film est devenu leader du box-office soviétique.

Cependant, Chourepova n'a pas entrepris de carrière cinématographique. Après avoir abandonné son appartement et son travail à Leningrad, elle est partie à 6 000 kilomètres vers l'océan, à Sakhaline (Extrême-Orient russe, à proximité du Japon), où elle a ouvert la première section locale de plongée sous-marine, et est apparue dans un documentaire sur la pêche aux dauphins, constatant avec horreur que ceux-ci étaient brutalement abattus et transformés en farine de poisson – un produit utilisé pour nourrir le bétail. C'est là que s'est arrêté son lien avec les dauphins jusqu'en 1967, lorsque l’on est venu sonner à sa porte : « J'ouvre la porte et sur le seuil se tient un marin de deux mètres : "Vous êtes invitée à travailler au centre naval de recherche sur les dauphins à Sébastopol. Je viendrai vous chercher demain" », s’est-elle souvenue.

Chourepova a donc pris son jeune fils, un tricycle et une petite valise, puis est partie pour la baie des Cosaques, en Crimée, avec les militaires.

Une vie dans l’eau

L'armée recherchait quelqu'un qui connaissait les animaux marins, pouvait travailler sous l'eau et était physiquement résistant. À la fin des années 1960, les Américains étudiaient en effet depuis longtemps déjà la capacité des créatures aquatiques à accomplir des tâches militaires, alors que l'Union soviétique ne s’avérait pas très avancée dans ce domaine. Personne, y compris Chourepova elle-même, ne comprenait comment le faire – il n’existait pas de base scientifique.

Galina demeurait donc dans l'eau des jours entiers et ne savait par où commencer. « Je les observais, ils m'observaient, a-t-elle décrit. J'ai perdu du poids jusqu'à 45 kilos... Et un jour, j'ai accidentellement jeté des algues qui me gênaient. Un dauphin a suivi mon mouvement. J’en ai jeté encore une fois. Il m'a à nouveau accompagné du regard. Je lui ai donné du poisson pour renforcer sa réaction. Quand il a poussé les algues vers moi, je lui ai redonné à manger. C'est comme ça que j'ai consolidé le réflexe ».

Puis, d'autres objets sont entrés en jeu – des mouchoirs, des balles. Les dauphins ont appris à rapporter comme les chiens, à effectuer plusieurs gestes, à réagir au discours humain.

Dressés à « neutraliser » les saboteurs

Pendant deux ans, Galina et son enfant ont vécu dans une tente pour deux personnes sur le rivage de la baie, dans un environnement d'entraînement militaire difficile. « C'est une surveillance de tous les instants, être auprès du dauphin dans le bassin. Une minute de libre, aussitôt je m'allonge et je regarde. Parfois, il voit que je regarde et fait des choses pour m'intéresser, pour qu’on lui donne du poisson », a-t-elle relaté.

Galina Chourepova a ensuite été enrôlée dans la marine soviétique en tant que première femme plongeur et son travail a été classé secret. En 1967, le premier océanarium militaire soviétique a été inauguré dans la baie des Cosaques et 50 grands dauphins y ont été amenés. Dans les années 1970, des dizaines d'institutions scientifiques se sont jointes aux travaux. « Des dauphins et des phoques étaient entraînés dans plusieurs domaines : la garde et la patrouille d’une zone, la neutralisation de saboteurs, la recherche et la détection de tels ou tels objets sous-marins », a déclaré Vladimir Petrouchine, entraîneur militaire en chef de l'océanarium de Sébastopol.

« Neutraliser » les saboteurs signifiait qu'un dauphin arrachait le masque de plongée d'une personne et la poussait à la surface. Les scientifiques ont longtemps essayé de faire des dauphins des tueurs, mais la pratique a montré que ces animaux très évolués réagissent de manière trop émotionnelle à un tel stress et sabotent la suite des opérations après une attaque au couteau ou à l'aiguille paralysante. « Les dauphins peuvent penser, parler, aimer, souffrir. Ils vivent jusqu'à quarante ans et meurent de pneumonie et de crise cardiaque », a souligné Chourepova.

Elle a obtenu d'excellents résultats. Certaines de ses techniques de dressage sont encore utilisées aujourd'hui dans les delphinariums. Chourepova a travaillé à l'aquarium militaire durant 40 ans. Des artistes, des acteurs, des cosmonautes et de hauts fonctionnaires sont venus assister au programme du spectacle qu'elle a mis sur pied. Cependant, elle a payé le prix fort pour son service : sa santé. Après avoir pris sa retraite, les articulations de ses jambes ont été remplacées et elle a commencé à se déplacer avec des béquilles. Elle est décédée en 2017 à l'âge de 78 ans.

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