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Une chronique de guerre de 1945 montre un groupe de soldats américains et britanniques, tout sourires et agitant les mains, alors qu'ils avancent vers l'est de la France libérée en direction des villes allemandes. Ils appartenaient à une unité très spécifique - l'équipe conjointe américano-britannique « Mission Alsos », dont la mission était de mettre la main sur les secrets atomiques de l'Allemagne nazie avant les Soviétiques, dans l'intérêt des programmes nucléaires américains et britanniques. Et la Mission Alsos a connu un énorme succès.
« L'uranium, les documents et les scientifiques capturés valaient leur pesant d'or pour le projet Manhattan et pour la future guerre froide », explique l'historien britannique Mark Felton dans le documentaire À la poursuite d’Heisenberg : capturer les secrets nucléaires de l’Allemagne.
Dans ce documentaire, vous pouvez voir la personne qui a dirigé la mission Alsos - un homme un peu court sur pattes mais costaud avec des lunettes, le colonel Boris Pash. « Il n'y aurait pas eu Hiroshima et Nagasaki sans Boris Pash », note l'historien russe Ivan Kourilla de l'Université européenne de Saint-Pétersbourg. Pash a fait de son mieux pour devancer l'Armée rouge dans la course visant à s’emparer du projet atomique allemand - après tout, celui qui s’appelait en réalité Boris Pashkovsky détestait les « rouges » qui avaient « mis la main » sur son pays.
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Pash contre bolcheviks
Bien que russe ethnique, Boris Pashkovsky est né sur le sol américain en 1900. Son père était Feodor Pashkovsky, un prêtre servant dans la mission américaine de l'Église orthodoxe russe. Élevé dans les traditions de l'orthodoxie et bilingue en russe et en anglais, Boris, dix ans, a suivi son père en 1913 lors de son retour dans l'Empire russe – il a réussi à conserver sa citoyenneté américaine, ce qui s'est avéré extrêmement utile par la suite.
En 1916-1917, le père et le fils ont rejoint les rangs de l'armée russe alors qu'elle luttait contre l'Allemagne et l'Empire austro-hongrois pendant la Première Guerre mondiale : Feodor - en tant qu'aumônier militaire, Boris, 16 ans - en tant que soldat d'artillerie. Les Pashkovsky, chrétiens dévoués et monarchistes, étaient opposés à la révolution communiste de 1917 et Boris a servi dans l’Armée blanche, tentant d’empêcher les bolcheviks de prendre le contrôle de la Russie. En vain.
« En quittant la Russie sur un navire de la Croix-Rouge, Pashkovsky s'est souvenu des visages de milliers de personnes qui se pressaient sur le quai dans l'espoir de fuir. Pendant de longues années à venir, ceux qui étaient alors partis rêveraient de rentrer chez eux et de se venger », a écrit Oleg Beida, historien militaire spécialisé dans l'émigration russe. Après plusieurs années en Europe, Boris est retourné aux États-Unis, où il a abandonné la terminaison slave de son nom de famille - à partir de là, il était Boris Theodore Pash. Comme de nombreux émigrés blancs, il est devenu un anticommuniste intransigeant.
Pash dans le contre-espionnage
Pendant un certain temps, Pash a vécu comme un citoyen ordinaire - femme, enfants, église le dimanche (orthodoxe, bien sûr). Il a déménagé de Springfield à Chicago puis à Los Angeles pour travailler comme professeur de gymnastique dans les écoles. En 1930, il rejoint à nouveau l'armée - cette fois, la Réserve de l'armée américaine. Le commandement a noté sa connaissance du russe et ses compétences en communication : en cas de mobilisation, il devait servir dans le contre-espionnage. De plus, comme Pash l'affirmerait plus tard, à partir de 1925, il a travaillé avec le FBI en tant que réserviste.
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« Il n'a jamais été officiellement un employé du FBI, mais il est possible qu'il ait rempli des tâches ponctuelles et informé le Bureau sur certaines choses », suggère Ivan Kourilla. En tout cas, en 1940, Pash, déjà capitaine, est entré dans l'armée active. Pendant la Seconde Guerre mondiale, sa carrière est fulgurante : en 1942, le major Pash est nommé chef du contre-espionnage au quartier général du 9e Corps à San Francisco. Tout au long des années 1942-1943, il a parcouru les États-Unis en combattant des « ennemis intérieurs », au premier rang desquels – « ces satanés cocos ».
Dans le cadre de ce travail, il s'est illustré comme un officier persuasif et talentueux - Kourilla, citant les impressions d'officiers américains qui connaissaient Pash, conclut qu'il était « un manipulateur, propagandiste et recruteur né. Il semblait impossible de le tromper ». Néanmoins, tout le monde n'était pas satisfait de Pash - George Kistiakowsky, un physicien du Manhattan Project, le désignait ainsi : « Un Russe vraiment sauvage, d’extrême droite, une sorte de passionné du Ku Klux Klan. C'était vraiment un personnage, ce Boris Pash ».
Pash n’a pas été très poli avec les scientifiques qu'il a rencontrés alors qu’il coordonnait la sécurité du programme nucléaire américain. Il détestait particulièrement Robert Oppenheimer, le futur « père de la bombe » pour ses opinions de gauche, le soupçonnant d’être un espion de Moscou et exigeant même son renvoi du projet - mais le général Leslie Groves, le patron de Pash, a insisté pour qu'Oppenheimer soit maintenu.
Pash en Europe
S’il n’était pas « Monsieur Gentil » aux yeux de ses collègues, Pash s'est avéré être un officier exceptionnel tout au long de la mission Alsos (1943-1945), qu'il dirigeait en tant que commandant militaire. Les scientifiques et les soldats d’Alsos se sont illustrés par leur courage - non seulement ils étaient les premiers parmi les Alliés à entrer dans les villes libérées des Allemands, mais en 1945, ils travaillaient derrière les lignes ennemies pour empêcher les Soviétiques de mettre la main sur les capacités nucléaires de l'Allemagne.
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Boris Pash en fut un bon exemple. Par exemple, en avril 1945, son groupe a découvert un entrepôt secret de radium radioactif dans la ville de Weida, quelques heures avant que les Soviétiques ne prennent la ville - malheureusement, le radium n’était pas protégé (et donc très dangereux). Pash, refusant de risquer la vie de ses soldats, a mis le radium dans son sac et l'a ramené dans sa voiture jusqu'à la zone contrôlée par les Alliés, le sac radioactif littéralement à côté de lui. Par la suite, comme le rappelait dans les années 1990 une connaissance de Pash, alors âgé de 92 ans, même 50 ans après la guerre, « il souffrait d'une brûlure par radiation douloureuse à sa jambe droite ».
Un autre exemple de l'audace de Pash est décrit par Oleg Beida - derrière les lignes ennemies, sans attendre que l'armée américaine ne vienne capturer la ville allemande de Tannheim, Pash a appelé le bourgmestre par téléphone depuis un hôtel près de la ville et a déclaré : « Je suis colonel de l'armée américaine, vous avez 15 minutes pour hisser le drapeau blanc ». Tannheim a capitulé immédiatement, bien que Pash n'ait pas eu assez d’hommes pour donner l'assaut - les Allemands ont cru à son bluff audacieux. Il n'est pas surprenant que ses soldats aient été extrêmement fidèles à leur chef charismatique, comme l'ont rapporté des collègues de Pash.
Retour dans le secret
Les activités du colonel après la guerre ne sont pas aussi bien documentées (pour être plus précis – elles sont toujours classées). En 1948-1951, il a travaillé en tant que représentant militaire auprès de la CIA, en charge du programme controversé PB-7, qui serait étroitement lié aux activités anticommunistes en Europe, comprenant des meurtres et des enlèvements.
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« Les documents récemment déclassifiés indiquent que Pash obtenait de grandes quantités d'informations que le PB-7 utilisait pour torpiller les régimes prosoviétiques », écrit Oleg Beida. Par exemple, une courte note adressée à Pash par son adjoint prouve qu'en 1949, les Américains avaient ourdi une tentative de coup d'État en Albanie - sans succès. L'ampleur du travail du PB-7 en Europe reste inconnue des masses : toute sa vie, Boris Pash a affirmé qu'il ne se souvenait de rien concernant le programme PB-7, tout comme ses collègues.
Il a pris sa retraite en 1963, passant les 42 années restantes de sa vie à écrire ses mémoires, à voyager et - parfois - à commenter vaguement les détails de son travail lors d’audiences. Boris Pash est décédé en 1995 et bien que l'Union soviétique se soit effondrée en 1991, Boris Pashkovsky n’est jamais retourné en Russie, la terre natale de ses ancêtres.
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