Pourquoi Léon Tolstoï avait le sexe en horreur

Histoire
ALEXANDRA GOUZEVA
Moraliste d'un côté, coureur de jupons de l'autre... Qui était l'écrivain russe le plus prolifique, dans tous les sens du terme?

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Tolstoï est un personnage unique et controversé. Dans sa biographie, des dizaines d’histoires d'amour coexistent avec des sermons sur la morale, la chasteté et les valeurs familiales. Se faisait-il moralisateur dans ses œuvres pour expier ses propres péchés?

Honte et fornication

« Quand mes frères m'ont amené au bordel pour la première fois et que j'ai commis cet acte, je me suis ensuite tenu près du lit de cette femme et j'ai pleuré », a rappelé Tolstoï au sujet de sa perte de virginité. Il avait 16 ans.

Tolstoï a éprouvé son premier sentiment romantique et charnel pour une femme vers 13 ans, et il l’a décrit dans son journal : « Un sentiment fort, comme l'amour, je ne l’ai ressenti qu'à 13 ou 14 ans ; mais je ne veux pas croire que c'était de l'amour ; parce que le sujet était une grosse fille (bien qu'avec un très joli visage), et de 13 à 15 ans, c'est le moment le plus insouciant pour un garçon (adolescence) : vous ne savez pas où donner de la tête, et la volupté agit avec une force extraordinaire à cette époque ».

À 18 ans, le futur écrivain a commencé à tenir un journal à l'hôpital, où il s’est retrouvé en raison maladie sexuellement transmissible. Ce fut un véritable choc pour lui, et il avait besoin de faire le point sur ses sentiments. Cependant, même la maladie n'a pas arrêté le jeune homme dans sa quête de plaisirs - il écrit souvent sur la volupté et réfléchit dans ses œuvres à son propre désir charnel.

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En 1854, pendant la guerre de Crimée, la troupe de Tolstoï, 26 ans, a séjourné à Bucarest pendant un certain temps. Avec une déception évidente, il note à nouveau dans son journal comment il s'est « détérioré » : « J'ai eu plusieurs femmes, j'ai menti, j'ai été prétentieux et, pire que tout, je ne me suis pas comporté sous le feu comme je l'avais espéré de moi-même ».

Quelques années plus tard, il arrive dans son domaine Iasnaïa Poliana et, souffrant d’oisiveté, écrit qu'il souffre de ses désirs voluptueux et se sent terriblement mal à cause de cela. « J'ai décidé d'une manière ou d'une autre de prendre une maîtresse pour ces deux mois » ; « Une luxure terrible, atteignant le niveau d’une maladie physique » ; « Je traînais dans le jardin. Une très jolie paysanne, d'une beauté très agréable. Je suis insupportablement repoussant en raison de ce glissement impuissant vers le vice. Il vaudrait mieux le vice lui-même ».

Selon le journal de l'écrivain, il peut sembler que Tolstoï fût un insatiable coureur de jupons, et de nombreux chercheurs sont parvenus à cette conclusion en répandant des rumeurs sur le grand nombre d'enfants prétendument conçus par Tolstoï avec des paysannes (en fait, un seul enfant naturel est connu). Et pourtant, une telle débauche et la fréquentation des maisons closes pour un jeune noble de cette époque étaient monnaie courante. C’est la violence de ses reproches envers lui-même, la façon dont il y a prêté attention, ainsi que son inquiétude à cet égard qui constituent un phénomène inhabituel.

Lutte contre la luxure

L'écrivain médite constamment sur son attitude face à l'amour charnel et imagine ce qu’un homme doit devenir dans l’idéal. Ainsi, en 1855, il a écrit : « Une personne aspire généralement à la vie spirituelle, et pour atteindre des objectifs spirituels, il faut une position dans laquelle la satisfaction des aspirations charnelles ne contredit pas, ou coïncide avec la satisfaction des aspirations spirituelles. [...] Alors, voici ma nouvelle règle en plus de celles que je me suis fixées il y a longtemps - être actif, raisonnable et modeste ».

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Pour étouffer la luxure, Tolstoï décide de s'engager constamment dans quelque chose. À partir de 1856, il cherche activement une femme et décide cesser de mener une vie d’errance. Mais les relations ne débouchent sur rien avec ces prétendantes issues de la noblesse. C’est seulement six ans plus tard, à l'âge de 34 ans, qu’il rencontre Sophia Bers, 18 ans, qui lui « convient ».

Avant le mariage, il essaie de « purifier sa conscience » et montre à sa jeune mariée ses journaux intimes - il ne veut conserver aucun secret entre eux et jure qu'il ne la trompera pas. Les aventures qui y sont décrites font pleurer Sophia. Cependant, elle accepte le mariage, et après les noces, Tolstoï emmène immédiatement sa femme à Iasnaïa Poliana.

Heureux dans le mariage ?

Tolstoï n'est pas seulement un moralisateur, mais aussi très pieux. On estime que c’était un vrai tyran domestique, qui a forcé sa femme à donner naissance à 13 enfants l'un après l'autre. La raison était simple - il avait « peur de mettre Dieu en colère ».

Il existe également un cas connu où Sophia avait une tumeur purulente ; le médecin a demandé la permission de son mari afin de réaliser une intervention chirurgicale. Mais Tolstoï a hésité pendant longtemps, croyant qu’« on ne peut pas résister à la volonté de Dieu », même si la vie de sa femme était en jeu.

Néanmoins, sa femme l'aimait et lui était entièrement dévouée : elle dirigeait ses affaires (et celles de l’ensemble de Iasnaïa Poliana), s'occupait des enfants, du ménage et a réécrit plusieurs fois à la main Guerre et Paix.

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Tolstoï croyait que le destin d'une femme était dans la famille, comme l’illustre le sort de Natacha Rostova, qui a trouvé le bonheur dans les enfants, et de Kitty Chtcherbatskaïa dans Anna Karénine, transformée par la maternité. Et pourtant, tout le monde se souvient de ce que Tolstoï a fait de Karénine elle-même, qui a méprisé sa famille et s'est plongée dans la passion, oubliant jusqu’à son fils...

Renoncement au sexe

Dans les années 1880, Tolstoï subit une révolution spirituelle qui a complètement bouleversé sa vision du monde. Par exemple, il voulait abandonner complètement la propriété et les droits d'auteur de ses œuvres. Il a également repensé son attitude envers le mariage. Si auparavant la famille était la valeur principale de son travail, il était désormais déçu par le mariage - des pensées qu’il exprime dans la Sonate à Kreutzer.

Dans la nouvelle, il évoque la nature inférieure de la passion, le fait que l’homme ne peut pas contrôler la luxure et le pouvoir destructeur de la jalousie. Le protagoniste - dans sa jeunesse aussi libertine que l'auteur lui-même - explique que les femmes n’ont été créées que pour exciter les hommes. Par jalousie, il tue sa femme innocente.

À cette époque, Tolstoï n'était plus seulement un écrivain célèbre, mais un véritable chef spirituel. Le public lisait intensément chaque nouvelle œuvre, qui avait un impact énorme. Par conséquent, la Sonate à Kreutzer a été interdite par la censure du tsar après sa parution. Le chercheur spécialisé dans Tolstoï Pavel Bassinski écrit : « Après avoir lu la Sonate à Kreutzer, les jeunes renonçaient au mariage et à la procréation, au motif que la famille était basée sur un instinct sexuel impur ».

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L'écrivain perçoit désormais les plaisirs sexuels non pas comme une farce de jeunesse, mais comme une grave dépendance. « Fornicateur n’est pas une insulte, mais un état (je pense que c'est la même chose pour la fornicatrice), un état d'anxiété, de curiosité et le besoin de nouveauté, qui vient de la promiscuité dans une recherche de plaisir non pas avec un, mais avec beaucoup de personnes. Comme un ivrogne, il peut s'abstenir, mais un ivrogne est un ivrogne, et le fornicateur - un fornicateur qui tombera à la première perte d'attention », écrit-il dans un journal. « Je suis un fornicateur », admet-il en outre.

Tout en travaillant sur la Sonate, Tolstoï reçoit des brochures de Shakers, cette organisation religieuse américaine qui prêche l'abstinence. Il écrit à son ami Vladimir Tchertkov que ces derniers n'ont fait que renforcer sa vision du mariage. Désormais, il prêche non seulement la morale et la lutte contre la fornication, mais en général la chasteté et le rejet des relations charnelles.

À la fin de sa vie, Tolstoï décide de se libérer complètement du mariage – il quitte sa femme et sa maison. Dix jours plus tard, il meurt dans une gare de la province voisine.

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