«Le dernier citoyen soviétique»: l’histoire d’un cosmonaute «oublié» dans l’espace

Alexader Mokletsov/Sputnik
Au moment où l’URSS s’est effondrée, Sergueï Krikalev était dans l’espace. En raison des changements qui ont secoué son pays, il a passé deux fois plus de temps que prévu en orbite. Il ne pouvait en réalité pas retourner sur Terre.

En août 1991, lorsque des chars étaient stationnés sur la place Rouge et que des barricades s’élevaient sur les ponts pendant que le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev était en vacances en Crimée, le cosmonaute Sergueï Krikalev était dans l’espace. 350 km le séparaient de la Terre et la station orbitale Mir lui servait de maison provisoire.

« Le dernier citoyen soviétique », telle est l’appellation qu’il a alors reçu. En 1991 la superpuissance communiste s’est effondrée, donnant naissance à quinze États indépendants et Krikalev a appris qu’il ne pourrait revenir sur Terre, le pays l’ayant envoyé dans l’espace n’existant tout simplement plus.

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Qu’est-ce qui s’est passé?

À trois mois de ces événements, le mécanicien de bord Krikalev, 33 ans, avait été envoyé dans l’espace au sein d’un équipage, dont les membres ont quitté le sol soviétique depuis le cosmodrome de Baïkonour (aujourd’hui au Kazakhstan). Sa mission devait durer 5 mois et c’est justement pour cette période que lui et son corps étaient préparés.

Mais un putsch s’est produit en août de la même année. « Pour nous, c’était une surprise totale. On ne comprenait pas ce qui se passait. Lorsqu’on en discutait, on cherchait  à comprendre comment cela se répercuterait sur le secteur spatial ».

Et cela a eu un impact. « Pas d’argent », a-t-on dit à Krikalev. Un mois plus tard il a entendu cette même réponse : la Terre le prie de reporter son retour. « Ils disent que c’est difficile pour moi et mauvais pour ma santé. Mais le pays éprouve actuellement des difficultés et la chance de préserver l’argent doit primer sur tout », citait ses propos Discover Magazine.

Cinq mois d’attente

En réalité, il aurait pu revenir à l’aide de la capsule Radouga qui se trouvait à bord de la station justement à cette fin, mais cela aurait signifié la fin de Mir, dont il fallait en permanence assurer la maintenance.

« Je me demandais si j’étais capable de trouver des forces pour rester en vie jusqu’à la fin du programme. J’avais des doutes », avoue-t-il. Atrophie des muscles, radiation, risque de cancer, perte d’immunité – ce n’est qu’une partie des risques qui pesaient sur lui.

Prévue donc pour cinq mois, sa mission en a donc duré 10 – 311 jours pour être précis – et sans le vouloir, Krikalev a alors établi un record mondial. Pendant qu’il attendait le feu vert de la Terre, quatre expéditions spatiales programmées par Moscou devaient être envoyées en orbite. Seules deux ont été finalement envoyées, mais on n’a pas trouvé à leur bord de place pour ce mécanicien.

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Sous le fardeau de l’hyperinflation, la Russie cherchait où trouver l’argent et vendait des places à bord des Soyouz aux pays occidentaux. Par exemple à 7 millions de dollars à l’Autriche et à 12 millions de dollars au Japon pour être acheminés vers la station. Il y a même eu des discussions sur une vente urgente de la station Mir, pendant qu’elle était encore en service. Ainsi, les autres membres de l’équipage sont retournés sur Terre et Krikalev, seul mécanicien de bord et donc unique personne à pouvoir entretenir la station, n’en a pas eu la chance. Enfermé à bord, loin de chez lui, il a demandé à ce que lui soit apporté du miel pour remonter son moral. « Pas de miel », lui a-t-on répondu, avant de lui expédier des citrons et du raifort.

Le retour

Il est retourné sur la planète bleue le 25 mars 1992, après que l’Allemagne a payé 24 millions de dollars pour y envoyer son mécanicien de bord Klaus-Dietrich Flade.

Lorsque la capsule de Soyouz a atterri, on en a extrait un homme sur l’uniforme duquel on pouvait voir le drapeau rouge soviétique et quatre grosses lettres « CCCP » (URSS en russe). « Blanc comme un cachet d’aspirine et en sueur, tel un morceau de pâte mouillée », ont alors écrit des journaux occidentaux. Tout le monde était déjà au courant du sacrifice effectué par Krikalev. Quatre hommes l’ont aidé à se poser sur le sol. L’un d’entre eux l’a couvert d’un manteau en fourrure, l’autre lui a apporté une assiette de bouillon.

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Les alentours de la ville d’Arkalyk, où s’est posée sa capsule, n’étaient plus soviétiques, mais appartenaient déjà à la République indépendante du Kazakhstan. Sa ville natale ne s’appelait plus Leningrad, mais Saint-Pétersbourg. Pendant la période durant laquelle il a effectué 5 000 révolutions autour de la Terre, son pays  avait perdu plus de 5 millions de km2. Au pouvoir depuis les années 1920, le Parti communiste de l’Union soviétique avait cessé d’être en situation de monopole, devenant un parti parmi tant d’autres. Quant à son salaire mensuel de 600 roubles, qui au moment de son départ dans l’espace paraissait quelque chose d’inaccessible pour la plupart des citoyens du pays, il avait perdu toute sa valeur et un chauffeur de bus lambda touchait deux fois plus.

« Les changements ne sont pas si radicaux, dira Krikalev lors d’une conférence de presse tenue quelques jours après son retour. Je vivais en Russie pendant que les républiques formaient l’URSS. Je suis retourné en Russie qui fait partie de la Communauté des États indépendants ».

Il obtiendra le titre de héros de Russie et deux ans plus tard il reprendra la route vers les étoiles, devenant le premier cosmonaute russe à effectuer un vol à bord d’une navette de la NASA. Dès 1998, il sera en outre le premier homme à débarquer à bord de la nouvelle Station spatiale internationale.

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