Comment l’URSS a pris le contrôle des partis communistes occidentaux et l’a ensuite perdu

Histoire
OLEG EGOROV
Prônant les idéaux de l’égalité et de la liberté d’un côté, tout en étant absolument loyaux envers Moscou de l’autre, les partis communistes occidentaux étaient souvent pris entre deux feux, un ennui et un embarras aux yeux de leurs gouvernements respectifs. Voici comment les leaders soviétiques ont tenté de contrôler et de manipuler leurs alliés présents derrière les «lignes ennemies», dans trois pays de l’Ouest.

1. France

Le monde ne se souvient guère d’Eugen Fried (nom de guerre – « Clément ») et de Michel Feintuch (« Jean-Jérôme »). Ces deux communistes venant d’Europe de l’Est étaient des agents du Comintern (L’Organisation communiste internationale contrôlée par Moscou) et ont tiré les ficelles du Parti communiste français (PCF) et de son dirigeant de longue date, Maurice Thorez. « Sa tâche sera essentiellement de veiller à ce que les ordres de Moscou soient scrupuleusement exécutés », a affirmé l’auteur français Anne Kling, décrivant Fried comme « l’homme de l’ombre » du PCF. Il y est parvenu, puisque la position publique de Thorez a fidèlement suivi celle de Staline.

En 1939, malgré sa critique du nazisme, Thorez s’est ainsi opposé à la guerre contre Hitler lorsque l’URSS et l’Allemagne ont signé le Pacte de non-agression. Mais quand Hitler a attaqué l’Union soviétique, le PCF a également déclaré la guerre aux nazis et a rejoint la Résistance (jouant d’ailleurs un brillant rôle en son sein). Thorez est néanmoins resté à Moscou tout au long du conflit.

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Après la guerre, avec Thorez à sa tête, le PCF a continué de suivre la ligne stalinienne. Les communistes français sont en effet restés loyaux envers Moscou, Michel Feintuch (Fried avait entretemps été tué par les nazis) agissant secrètement comme l’intermédiaire entre l’URSS et le Parti communiste français depuis les années 1970. Ce n’est que dans la dernière décennie du siècle dernier, après la chute de l’Union soviétique, que les communistes français se sont tournés vers l’eurocommunisme, moins doctrinal.

2. Italie

Le dirigeant soviétique Léonid Brejnev et son gouvernement ont éprouvé un choc considérable en 1976, lorsqu’Enrico Berlinguer, chef du Parti communiste italien (PCI), a prononcé un discours à Moscou dans lequel il a déclaré que son parti suivrait dès lors son propre chemin, sans prendre en compte l’avis des Soviétiques. « C’était évidemment un développement inconfortable pour les communistes soviétiques », a avancé le New York Times.

Ce « divorce » avec les Italiens a été particulièrement difficile pour Brejnev puisqu’en 1976 le PCI était le parti communiste le plus populaire en Occident, ayant remporté 34,4% des voix aux élections générales. Le PCI, fort de sa lutte contre le régime de Mussolini et son incroyable popularité, avait été un allié de longue date pour Moscou.

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Palmiro Togliatti, le prédécesseur de Berlinguer, a même vu une ville d’URSS, où FIAT avait construit une usine automobile, être nommée en son honneur. L’Union soviétique ne refusait aucune dépense pour ses camarades italiens, et comme l’indique l’historien Richard Drake, « toutes ces années, aucun parti communiste en dehors du bloc soviétique ne dépendait autant du financement de l’URSS que le PCI ».

Cependant, Berlinguer a mis fin à ce partenariat, proposant de s’engager sur le chemin de l’eurocommunisme (que la majorité des partis politiques occidentaux ont finalement suivi), en tant que système pluraliste et démocratique, libre vis-à-vis de Moscou. En 1979, après l’arrivée des Soviétiques en Afghanistan, le PCI s’est entièrement écarté de l’URSS.

3. États-Unis

À la chute de l’URSS en 1991, les dirigeants du Parti communiste des États-Unis (le CPUSA) ont été dévastés et choqués, leur monde entier s’était écroulé. « Jusqu’à la chute de l’Union soviétique, le CPUSA n’a jamais émis la moindre critique concernant ce que les leaders soviétiques faisaient ou disaient », a écrit Pete Brown, journaliste de gauche. Et il n’avait pas tort.

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Paradoxalement, l’un des partis les plus à cheval sur la doctrine marxiste (en 2014, la Constitution du CPUSA promettait encore allégeance à Marx, Engels et Lénine) est né dans le principal bastion du capitalisme. Les communistes américains ont vu leur popularité augmenter durant la Grande Dépression, lorsque les inégalités ont crû significativement et que le CPUSA a apporté son soutien aux syndicats et à la lutte pour les droits des travailleurs.

La Révolution prolétaire n’a cependant jamais atteint les côtes américaines. Comme Jonathan Lethem l’écrit dans sa nouvelle Jardins de la dissidence, après que Nikita Khrouchtchev a publié son « rapport secret » en 1956, dénonçant les purges sanglantes de Joseph Staline, « les communistes américains se sont transformés en morts-vivants ». Suite à ces révélations, la réputation du CPUSA pro-Staline était compromise aux yeux de la plupart des Américains.

Ajoutez à cette hystérie anti-communiste américaine au début de la guerre froide les constants scandales d’espionnage liés aux communistes, et vous comprendrez comment le cours des événements dans les années 50 a sapé la cause communiste aux États-Unis. Néanmoins, ils ont poursuivi leur combat, rejoignant les mouvements antiguerres et les manifestations pour les droits civils entre 1960 et 1980. De plus, les Soviétiques ont continué de soutenir le CPUSA : on trouve au moins un document prouvant que Gus Hall, le secrétaire général du parti entre 1959 et 2000, a reçu des sommes considérables de la part de Moscou.

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