Camembert «Made in Daghestan»: comment l'expertise française a changé la vie de fromagers caucasiens

Économie
DARIA GRIDIAÏEVA
Depuis deux ans, une petite entreprise du Daghestan fabrique des fromages en utilisant les technologies françaises sous la direction du célèbre fromager français Alexandre Pellicier. Durant cette période, les spécialistes de cette république du Caucase russe ont non seulement maîtrisé la production de quatre types de fromages haut de gamme, mais se préparent également à livrer leurs produits à la fromagerie du chef moscovite Michel Lentz.

Le fromage, pour le Daghestan, n’est pas simplement un produit laitier, c’est une partie intégrante de tout festin, qui semble refléter l’ensemble du mode de vie séculaire de la région. Pas étonnant qu'un des plats les plus célèbres de la cuisine caucasienne - le khinkal (pâte luxuriante cuite dans un bouillon de viande) doive être servi avec une sauce à la crème épaisse et du fromage blanc local. Bien sûr, les savoureux fromages européens, que l'on trouve toujours dans les supermarchés, ne sont pas étrangers aux Daghestanais, mais il est aussi possible de les préparer sur place...

C'est ainsi qu'en 2010, des spécialistes de l'Université agricole de Makhatchkala ont décidé d'organiser la production sur place de fromages d'élite et ont au départ assimilé les technologies italiennes - caciotta, montazio, buratta, mozzarella - avant de « mettre la barre plus haut », comme ils le disent eux-mêmes, en 2017, pour faire des fromages français - tomme, raclette, camembert, gruyère. Ce projet, appelé « Outchkhoz prodoukt » (fromagerie Michel), a été rendu possible grâce à l’aide de deux spécialistes français - le fromager renommé Alexandre Pellicier et le chef moscovite Michel Lentz.

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Fromage daghestanais de qualité française

Pour Zemfira Gadjaïeva, chef de la première fromagerie de ce type au Daghestan, travailler avec le lait est toute sa vie. « Mon grand-père avait une grande ferme laitière dans les montagnes, on peut dire que je suis née dans un espace où on produisait du fromage de brebis et de vache, j'ai grandi avec ces produits », explique la jeune femme.

Sans surprise, à l'université, Zemfira a passé beaucoup de temps à étudier l'impact de la qualité du lait sur les produits dérivés. « Vous ne pouvez pas tromper le monde et faire de bons produits avec des matières premières de mauvaise qualité », explique Zemfira. Soutenue par les conseils d'Alexander Pellicier, ainsi que les experts Karim Khassanbekov et Iaroslav Boutko et d'autres spécialistes d'Outchkhoz, elle met en application son expérience dans deux fermes-fromageries. Ensemble, ils surveillent l'alimentation des animaux et procèdent à des analyses thermiques du lait.

Et en ce qui concerne la production, l'expérience d'Alexandre Pellicier est venue à la rescousse. Le fromager français est venu à deux reprises à Makhatchkala, la capitale, pour former les employés de la fromagerie. Il a insisté sur le fait que le travail devait être organisé strictement par étapes et que toutes les conditions nécessaires devaient être remplies. « La difficulté principale avec les fromages français, c’est que chaque fromage nécessite une cave d’affinage différente et ce n’est pas toujours possible dans les petites fromageries », a déclaré à Russia Beyond le maître fromager.

La production de fromage local du Daghestan est beaucoup plus facile à organiser et Zemfira ne cache pas qu’au début, elle a eu du mal à s’habituer à la nouvelle organisation du processus de travail. « Auparavant, je me disais : faire du fromage, rien de sorcier ! Mettez les ferments et faites cuire, se souvient-elle. Mais quand j'ai commencé à étudier, j'ai compris qu'il s'agissait d'un véritable art ». Quant à son professeur, il apprécie énormément les résultats obtenus : « Grâce au travail très sérieux, Outchkhoz a réussi à faire d’excellents fromages », se félicite M. Pellicier.

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Le boom du fromage haut de gamme en Russie?

D’ici cinq ans, Outchkhoz espère croître de 2 à 3 fois par rapport au niveau actuel, tandis que des spécialistes se consacrent à l’amélioration de la production. « Nous avons besoin de connaissances plus poussées, mais nos projets sont grandioses ! », assure Zemfira. Selon elle, la production de fromages haut de gamme est en général très demandée au Daghestan, et beaucoup tentent de pénétrer le marché, même si le succès n’est jamais garanti dans ce domaine...

Alexandre Pellicier, qui a dû former plusieurs fois des fromagers russes, ce qui lui a permis de se familiariser avec les tendances du secteur, abonde dans son sens. « Aujourd’hui, beaucoup d’artisans se lancent, mais il est vraiment important de bien étudier le marché et la technologie avant de produire », dit-il. Selon l’expert, la principale difficulté va être l’éduction des consommateurs à ces nouveaux goûts, ainsi qu’à la façon d’acheter et de conserver un fromage dans les meilleures conditions.

Bien sûr, le Daghestan ne manque pas de gourmets qui n'achètent que des fromages d'élite, mais la plupart de ces fromages sont une délicatesse qu’on ne déguste qu’à de rares occasions. Par exemple, le fromage Outchkhoz le plus cher, le gruyère, coûte 1 500 roubles le kilogramme (par exemple, un kilogramme de Maasdam dans un supermarché coûte de 700 à 1 200 roubles). Néanmoins, selon Zemfira, le consommateur local n’économise pas sur le fromage - s’il est satisfait de la qualité, il reviendra encore et encore. Afin de « montrer les marchandises directement », Outchkhoz organise régulièrement des dégustations et assure des visites de la fromagerie ouverte à tous.

Parallèlement, le « chef créatif du fromage », Michel Lentz, envisage de lancer un petit magasin de produits laitiers dans la capitale en septembre, où des fromages d'Outchkhoz seront vendus. « Nous allons ouvrir notre propre laiterie à Moscou, chez mon partenaire Don David, et ce sera l’image de ce qui se fait en Savoie, avec un chalet et une cave pour affiner nos fromages », a-t-il déclaré.

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En dépit des nombreux pièges présents dans l'industrie du fromage haut de gamme, Alexandre Pellicier est convaincu que ce secteur a de grandes perspectives. « Les points forts de la Russie sont bien évidemment l’immensité du pays et son potentiel agricole, mais surtout la volonté très forte des producteurs de fromages de monter en gamme en cherchant plus de qualité et plus de diversité, explique-t-il. С’est une période très excitante pour le pays, beaucoup d’énergie et d’innovation ! »

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