«Patrie du bon lait»: quand des vaches venues de France produisent des fromages russes

Introduit en 2014, l’embargo alimentaire a poussé aussi bien des PME que de grandes entreprises laitières russes à se lancer dans des aventures audacieuses. L’une d’entre elles consiste à faire venir de France des vaches laitières, à construire pour elles la plus grande ferme en Europe et même à essayer de produire du parmesan industriel. Plus de détails dans ce reportage de Russia Beyond.

« Le bon lait, c’est dans 2 km ! », dit un panneau routier. Suivant cette indication, on tourne à droite et l'on débarque deux minutes plus tard devant l’entrée du plus grand complexe laitier d’Europe : la ferme de la compagnie Molvest, dans le village d’Arkhanguelskoïe, dans la région de Voronej. Actuellement, elle accueille 5 000 vaches, dont plus de la moitié sont de race française Montbéliarde, leur lait étant utilisé dans la production de fromages savoureux.

La plus grande ferme d’Europe

Étonnant, mais vrai : la compagnie Molvest, qui possède aujourd’hui dix fermes et trois complexes laitiers et compte au total plus de 24 000 têtes de bétail, n’était engagée avant 2013 que dans la transformation du lait.

La préparation de la conquête du marché des fromages, sur lequel régnaient à l’époque des produits européens, a commencé trois ans avant la mise en place de l’embargo alimentaire, soit en 2011. C’est précisément cette année-là que Molvest a entamé des négociations avec l’entreprise danoise Arla Foods avec laquelle il lancera plus tard une production conjointe. Alors, nul ne savait que quelques années plus tard, les autorités du pays mettraient le cap sur la substitution aux importations, ce qui coïnciderait avec les projets de la compagnie.

Lire aussi : La Russie, prochain acteur de poids sur l’échiquier mondial de l’industrie fromagère?

Et voilà qu’en 2015, Molvest prend la décision d’élargir la gamme des fromages proposés. Or, les nouveaux produits demandent un lait riche en matières grasses et en protéines.

Après avoir consulté des spécialistes, ce géant laitier - numéro trois sur le marché russe - mise sur les montbéliardes et jersiaises. Et si les vaches françaises peuvent céder à leurs consœurs danoises en termes de matières grasses et de protéines contenues dans le lait, elles devancent ces dernières en termes du volume.

Les premières vaches laitières de France ont été transportées vers leur nouvelle demeure en juillet 2015. Alors, les travaux de construction d’un complexe laitier ultramoderne à Arkhanguelskoïe battaient leur plein. « Ce genre de projets étaient subventionnés par l’État - taux d’intérêt des prêts, construction, achat d’animaux », explique Elena Efimova, directrice générale de Moloko Tchernozemia [l’entretien ayant été réalisé début août, les personnes interviewées dans le cadre de cette publication peuvent ne plus occuper les mêmes postes au sein de l’entreprise, ndlr].

Lire aussi : Le dilemme laitier russe: le pays a-t-il appris à faire du bon fromage?

Avant de prendre la tête de Molvest, Elena avait déjà travaillé pendant neuf ans au sein de Danone où elle dirigeait la seule ferme de l’entreprise sur le sol russe, comptant 1 200 vaches laitières.

Visite de la patrie du bon lait

« La patrie du bon lait », comme on appelle ici ce complexe laitier, accueille les visiteurs avec les toitures blanches de huit bâtiments flambant neufs. Les rideaux brise-vent sont baissés et les museaux curieux des espiègles jersiaises, sveltes tels de jeunes cerfs, et des lentes et volumineuses montbéliardes pointent depuis l’étable. Les animaux mâchent lentement le fourrage - foin sec et maïs. Un système automatique évacue le fumier, qui sert en hiver à maintient une température naturelle à l'intérieur de l’étable.

Fixées sur les pattes du bétail, les puces transmettent des informations sur les moniteurs des salles de traite. Elles révèlent aux employés les informations concernant chaque vache : quand elle a été nourrie, si elle suit un traitement, quelle quantité de lait elle a donné et dans quelle étape de la grossesse elle se trouve.

Nous arrivons pendant la traite - les Montbéliardes tournent sur le carrousel, cette plate-forme mobile giratoire qui déplace les vaches vers l'opérateur. À la fin de 2018, le complexe laitier d'Arkhanguelskoïe prévoit de produire de 32 000 à 33 000 tonnes de lait par an, dont 17 000 seront donnés par les vaches françaises. Certaines d’entre elles inscrivent d’ores et déjà des records. C’est notamment le cas de Julie, qui donne 57 400 litres de lait par jour.

Lire aussi : Le président de la CCI France Russie: «La Russie reste un pays dans lequel il faut investir»

Vers le statut de ferme d’élevage

Les vaches pour cette ferme de Molvest ont été achetées avec le soutien de l’État. Toutefois, en vertu des nouvelles lois axées sur la stimulation de l’élevage national, l’achat de bétail à l'étranger n’est plus subventionné.

Cependant, ces amendements n’affecteront que très peu le complexe laitier de l'entreprise, où à l’issue de près de trois ans d’une intense coopération avec la société française Coopex, les employés ont appris à assurer en toute autonomie la reproduction au sein du troupeau. Ainsi, d’ici la fin de l’année, le nombre des montbéliardes augmentera de 300 têtes.

Néanmoins, les spécialistes français continuent d’épauler leurs collègues russes, car la « patrie du bon lait » ne recevra le statut de ferme d’élevage qu’à l’hiver 2019. « Les Français ont évalué le physique de nos vaches de première et de deuxième lactation, et maintenant ils étudient les taureaux pour éviter la consanguinité et pouvoir compenser les défauts individuels de chaque animal », explique Elena.

« Aujourd'hui, en France on enregistre des problèmes liés au bien-être vétérinaire. Les départements d’où vous pouvez apporter la semence ne sont pas très nombreux, ajoute-t-elle. La partie française fait un geste, il y a un dialogue non seulement au niveau des spécialistes de l'élevage, mais aussi au niveau de Rosselkhoznadzor [contrôle vétérinaire russe, ndlr]. Les animaux sont exportés spécialement vers des territoires propres ».

Lire aussi : Voyage à la ferme: comment renaît la production russe de fromage

Fromages

Le lait de ces vaches danoises et françaises sert à la production de formages industriels et la liste de leurs variétés ne cesse de s’allonger. Les fromages à pâte dure sont produits dans l’usine de Kalatcheïevsk [sud-est de la région de Voronej, ndlr] et ceux à pâte molle - la mozzarella, la burrata, le soulougouni [fromage géorgien, ndlr] - à Arkhanguelskoïe. La société a même entrepris une tentative de produire du parmesan industriel. Si ce projet n’a pas pour le moment connu de succès, Molvest possède désormais son propre fromage à pâte dure à longue période de maturation.

Les résultats sont impressionnants. De 2014 à 2017, les ventes des fromages produits par Molvest ont été multipliées par trois pour atteindre 10 000 tonnes par an. Le plus populaire est le fromage Rossiïski, à pâte demi-ferme. « En Russie, la demande de fromages demi-fermes est la plus importante, explique à Russia Beyond Natalia Jouravleva, responsable des projets fromagers de Molvest. Parmi les fromages à pâte molle, les plus grandes parts de marché reviennent au fromage techerkesse, 11%, la bryndza [fromage répandu dans les pays slaves, ndlr] et le tchetchil [fromage arménien, ndlr] se partageant 8% du marché. La mozzarella et le soulougouni ne viennent qu’après avec 6% et 5% des parts du marché respectivement. La part de la burrata est inférieure à 1%, beaucoup de nos concitoyens ignorent tout simplement son existence ».

Lire aussi : L’embargo dans l’assiette: les chefs cuisiniers ont-ils tiré leur épingle du jeu?

Les produits de Molvest sont commercialisés dans des magasins de marque et des chaînes de grande distribution tels Auchan et Atak, dans 13 régions du pays, dont la Crimée et l'Oural. Si les fromages ne traversent pas cette chaîne de montagnes, c’est en raison du souci du fabriquant de fournir aux clients un produit frais. En outre, la société effectue des exportations, même si elles sont pour le moment insignifiantes, vers l’Abkhazie (Caucase), et coopère non sans succès avec des restaurants et des cafés.

Dans cet autre article, découvrez comment des chèvres venues de France ont rendu possible la production de fromage dans l’Oural.

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

À ne pas manquer

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies