Palais des Thés: ce français ayant réussi à se faire un nom sur le marché russe de l’«or vert»

Économie
ERWANN PENSEC
En avril 2017 s’est implantée en plein cœur de Moscou la première boutique russe de l’enseigne française Palais des Thés. Russia Beyond s’est entretenu avec Jean-Luc Foucher-Créteau, directeur général de la société, afin qu’il puisse aborder le bilan de son expérience sur ce marché, comptant parmi les plus gros consommateurs de thé au monde, les perspectives futures, ainsi que les spécificités de la clientèle locale dans son approche de l’«or vert».

Sur la très fréquentée rue Pokrovka, à quelque dix minutes de marche du Kremlin, se dresse un palais d’un genre nouveau : le Palais des Thés, filiale de l’enseigne française fondée en 1986. Cela fera bientôt deux ans que ce lieu consacré au thé et à l’art de sa dégustation a ouvert ses portes dans la capitale russe, deux ans qu’il s’efforce d’apporter un autre regard sur une pratique profondément ancrée dans le pays.

En effet, si cette boutique se rapproche fortement des 52 autres établissements du groupe établis en France et de la quinzaine répartie entre la Belgique, la Norvège, Israël, la Géorgie et le Luxembourg, elle se distingue grandement des magasins spécialisés d’ores et déjà présents en Russie.

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« Là, on favorise un contact direct, ce qui est, par rapport à la Russie, un gros point de différence dans la vente de thé, qui est ici très traditionnelle. Il y a dans ce pays beaucoup de boutiques un peu old style, qui ont des comptoirs, et où il y a donc une barrière entre le vendeur et le client, ou des kiosques, où tout est dans des armoires en verre », explique Jean-Luc Foucher-Créteau, directeur général de la compagnie, précisant qu’ici, chaque visiteur est accueilli avec un gobelet de thé.

S’ouvre ainsi à nous un premier espace de self-service, proposant les best-sellers en format préconditionné, mais aussi des cloches olfactives, permettant à qui le veut de constater le voluptueux arôme et la qualité des feuilles de thé agrémentées de fleurs et autres épices. Vient ensuite une zone plus experte, offrant la possibilité d’acheter, au poids, tant des thés accessibles, à 250 roubles les 100 grammes (3 euros), que des grands crus allant jusqu’à 9 000 roubles (120 euros). Cette seconde partie se veut en perpétuel renouvellement, la production étant rythmée au gré des saisons.

Un troisième espace enfin, inédit pour l’enseigne, joue le rôle d’école et de coin détente. Si les Moscovites peuvent y prendre place pour découvrir les saveurs d’un thé, ils ont également l’opportunité d’y prendre part à des ateliers divers, allant de simples leçons théoriques sur la préparation de cette boisson à des dégustations à l’aveugle ou cours de cuisine au thé.

L’art du thé à la française

En réalité, comme le souligne notre interlocuteur, l’air amusé, la clientèle locale fait régulièrement part de son étonnement en voyant un acteur français sur le marché du thé, qui est en Russie fortement influencé par la tradition chinoise. D’ailleurs, en passant le seuil de l’enseigne, les Russes se montrent souvent intrigués par les thés de provenance autre que l’empire du Milieu, la boutique en proposant de multiples variétés originaires du Japon, des autres nations d’Asie, mais aussi d’Afrique et d’Amérique du Sud.

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« En France, il y a une certaine façon de regarder le monde de l’alimentaire, la gastronomie, et les Français, dans le thé comme dans d’autres domaines, ont une approche particulière qui est avant tout gustative, gastronomique. Et puis on leur parle d’association thé et mets, de boire du thé avec du fromage, avec des charcuteries, boire des thés différents selon le type de pâtisserie, et là, ils commencent à se dire "Ah ouais ça y est, on comprend pourquoi ils sont Français, pourquoi ils font du thé, ils ont quelque chose de différent" », nous confie-t-il, évoquant certaines innovations inattendues promues auprès de la clientèle, telles que la dégustation de thé dans des flutes à champagne.

En effet, Palais des Thés s’inscrit dans une démarche que l’on pourrait indubitablement comparer à l’œnologie, proposant une approche analytique, sensorielle, et créant de nombreux parallèles entre le métier de sommelier en vins et celui de sommelier en thés. À ce propos, Sofia, responsable du magasin moscovite, est la première étrangère à avoir obtenu son diplôme de sommelière en thés au sein de l’École du Thé, à Paris.

Autre trait distinctif vis-à-vis de ses concurrents locaux, Palais des Thés a étendu à la Russie, de manière proactive, son label SafeTea, certifiant un taux de pesticides en-dessous des normes européennes. Or, le pays des tsars ne disposant pas de réglementation en la matière, il s’agit là d’un acte précurseur sur un marché où le consommateur apparaît de plus en plus sensible à cette problématique. La firme propose en outre une gamme croissante de thés bio certifiés Écocert, dont une offre en produits détox particulièrement prisée.

Bilan et perspectives économiques

Le choix de la Russie pour cette implantation ne résulte pas du hasard. La population russe se classe en effet en quatrième position au niveau mondial pour la consommation de thé par habitant. Il s’agit donc d’un marché considérable, doté d’une appétence pour les thés de qualité. Un pari gagnant pour la société, puisque cette filiale moscovite a affiché des résultats en hausse de 40% sur sa deuxième année d’exercice et se plaçait d’ores et déjà, fin 2018, au niveau de la première moitié des points de ventes situés en France.

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« Il y a une frange de la population en Russie qui a une meilleure connaissance du monde du thé que les Français, affirme Monsieur Foucher-Créteau, caractérisant la clientèle locale. Vous le voyez ici, sur les menus des restaurants par exemple, vous avez facilement une offre assez diversifiée avec différents types de Oolongs, de thés verts, de thés noirs, des pu-erhs, chose que l’on voit quand même plus rarement en France. Ici, il y a donc un niveau de connaissance, d’appréciation, d’attente, qui est très avancé, mais cela se limite généralement à des thés de Chine ».

Suite au succès incontestable de cette première boutique-mère russe, sont ainsi espérées des inaugurations prochaines dans d’autres quartiers de la capitale, mais également dans les douze plus grandes villes de Russie, où le modèle principal sera celui de franchises en centre commercial. Pour 2019, l'objectif principal de l'entreprise est d'ailleurs de trouver des partenaires aptes à étendre l'emprise de Palais des Thés sur le territoire russe, en ouvrant leurs propres points de vente.

Le développement de l’entreprise se fait en outre au travers de nombreux partenariats avec divers établissements, qu’il s’agisse de chaînes d’enseignes alimentaires et établissements de restauration (Azbouka Vkoussa, Globus Gourmet, boulangeries François et le Gastronome №1 au Goum), d’hôtels de prestige (Novotel de Moscow-City), mais aussi de salles de sport et autres salons de coiffure hauts de gamme. Palais des Thés a également récemment lancé sa boutique en ligne pour la Russie, promise à un avenir radieux, puisque l’entreprise, avant même son implantation dans le pays, comptait d’ores et déjà une centaine de clients se faisant livrer aux quatre coins de la nation.

Enfin, interrogé sur une potentielle collaboration avec des cultivateurs de thé russes, Jean-Luc Foucher-Créteau se dit fortement intéressé par le sujet, et ce, même pour une exportation à l’international d’un tel produit, mais précise avec regret avoir déjà visité les cultures du Caucase et ne pas y avoir trouvé de marchandise respectant les critères d’originalité et de qualité recherchés par la firme.

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Toutefois, en raison de l’embargo imposé par la Russie sur les produits alimentaires occidentaux en réponse aux sanctions économiques, les infusions ont, contrairement au thé, été interdites à l’importation. Ainsi, afin de palier à un manque en la matière, Palais des Thés est parvenu à nouer un partenariat avec des producteurs de l’Altaï, lui permettant de proposer au sein de sa boutique moscovite sept variétés d’infusions Made in Russia, de quoi combler un peu plus les amateurs locaux de boissons chaudes aux saveurs diverses, mais toujours avec cette exigence et ce savoir-faire bien français.

Dans cet autre article, nous vous proposons un détour par les cultures de thé du Caucase russe.