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Les cinéastes de Iakoutie, la région la plus froide et la plus cinématographique de Russie, ont connu le succès à bien des égards. Leurs films dépassent ceux d’Hollywood au box-office local et remportent des prix dans les grands festivals. Ils ont également recueilli des centaines de milliers, voire des millions de vues sur Internet, comme le drame de guerre Ryadovoy Cheerin (Soldat Tcheerine, 2021). Toutefois, le cinéma iakoute a encore un gros désavantage : même les films à succès sur YouTube ne sont souvent pas accompagnés de sous-titres en anglais. Il existe cependant des exceptions à la règle. Voici quatre films que vous pouvez regarder dès maintenant. Il y est question de fantômes, d’une grande roue métaphorique, ou encore de morses. Et l’un de ces films a même été nommé aux Oscars !
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L’industrie iakoute n’est pas appelée « Sakhawood » (Sakha étant le nom que se donnent les Iakoutes dans leur langue, tandis que la Iakoutie est officiellement appelée République de Sakha) avec une ironie compréhensible pour rien – la diversité des genres ici est assez semblable à celle d’Hollywood. Le public local respecte toutes sortes de films – comédies, films d’horreur et drames historiques. Néanmoins, le cinéma asiatique a eu autant d’influence qu’Hollywood sur l’industrie locale. Le drame mystique Ferrum, par exemple, ressemble d’abord à un thriller coréen – élégant, effrayant et drôle.
Un jeune tueur à gages vêtu d’un costume coûteux cherche à découvrir auprès d’un ancien collègue le secret de l’endroit où il a caché le magot. Il ne se salit pas les mains – sur son ordre, deux voyous plongent avec enthousiasme le pauvre type dans une baignoire remplie d’eau. Or, accidentellement, ils le tuent avant qu’il n’ait le temps de leur révéler l’emplacement de l’argent. Il n’y a rien à faire – le héros principal se rend dans les bois pour enterrer personnellement le cadavre. Toutes sortes de choses folles commencent alors à lui arriver : des visions étranges, des compagnons de voyage bizarres. Le thriller coréen se transforme en un road movie dans la veine de Dead Man de Jim Jarmusch.
Les Iakoutes étant des païens, leurs histoires ont souvent une dimension mystique. Alors que dans les scènes urbaines de Ferrum, ils parlent russe, la langue de la civilisation urbaine, dans la forêt, les personnages passent au iakoute – en dehors de la ville, le monde vit selon des lois païennes. Ici, même les choses ordinaires ne sont pas ce qu’elles semblent être. Le bonbon bon marché que le tueur engloutit dans un moment de stress présage une rencontre avec l’autre monde ; le chemin de fer (ferrum en latin) devient quant à lui une métaphore du destin.
Le premier long métrage du jeune réalisateur Prokopi Bourtsev (qui est également scénariste, monteur et producteur), comme la majorité des films iakoutes, a été réalisé avec un budget misérable. En l’occurrence, il s’élevait à environ 10 000 dollars.
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Dmitri Davydov est probablement le réalisateur iakoute le plus célèbre en dehors de la république. Il n’y a pas si longtemps, il était enseignant et directeur d’une école de village, et il s’adonnait à la réalisation de films pendant les vacances. Il a réalisé son premier film, un drame intitulé Bonfire, dans son village natal d’Amga. Tous les acteurs étaient des villageois (y compris ceux du Théâtre populaire d’Amga). C’est ce film, tourné de facto par un réalisateur amateur, qui a fait connaître le cinéma iakoute sur la scène internationale. Le film a remporté un prix à ImagineNATIVE, au Canada, a été nommé au Festival du film de Busan (Corée du Sud) et aux Oscars asiatiques – le prix de l’Académie du film d’Asie-Pacifique.
Le film raconte l’histoire d’un jeune homme qui, ivre, a écrasé son compagnon de beuverie avec un tracteur, puis s’est pendu par honte. Il laisse son père, Ignat, un vieil homme bourru, seul avec son éternelle disgrâce. Le village est petit – tout le monde se connaît. Ignat n’a pas fait de mal, n’a pas pris l’argent de quelqu’un d’autre, ne s’est pas conduit lâchement, mais il rencontre la vieillesse comme ça, seul contre tous. Un garçon vagabond aide alors Ignat à retrouver le sens de la vie : le vieil homme l’accueille chez lui et lui transmet ses talents de sculpteur sur bois. Puis Ignat rencontre même un nouvel amour – à son âge ! Et c’est ainsi que le feu de la vie, en apparence éteint, est rallumé par un vent fort. Cependant, tout le monde ne se réjouit pas du bonheur d’Ignat.
La dureté de la nature et des gens fait penser aux œuvres d’Ingmar Bergman et au thème du mal contagieux de Martin McDonagh.
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Après Bonfire, Davydov a réalisé un autre drame poignant, mais cette fois-ci, presque toute l’action se déroule en ville. Rouslan, un bûcheron, est contraint par ses covillageois de quitter sa bourgade natale. Tout le monde le respecte, mais la mère de Rouslan va très mal. La maladie d’Alzheimer lui fait perdre la reconnaissance de ses proches, effraie les enfants du village et elle est un jour entrée dans la maison d’un étranger avec un fusil de chasse. Rouslan l’emmène donc en ville pour la faire soigner. Il loue un appartement, trouve un nouvel emploi, mais traîne pour la conduire à l’hôpital – comment pourrait-il confier sa mère à quelqu’un d’autre ? Or la maladie progresse, et tout le monde convainc Rouslan que tous se porteront mieux s’il accepte le traitement.
Davydov est une sorte d’Asghar Farhadi iakoute. Comme le classique iranien (deux fois oscarisé pour Une séparation et Le Client), il s’intéresse aux dilemmes moraux insolubles qui détruisent lentement mais sûrement les plus forts de l’intérieur. Le drame le plus proche de Farhadi est précisément Net boga krome menya (Il n’y a pas de dieu à part moi), qui a eu moins de chance avec les prix que son premier film, mais qui montre une croissance indéniable dans le talent du réalisateur. L’austérité des images et les métaphores simples (comme la grande roue, ici symbole d’un avenir impossible) ne font que renforcer l’impression de documentaire.
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Cette année, la Iakoutie a pour la première fois fait parler d’elle dans le cadre des Oscars. Haulout, une œuvre commune de Maxim et Evguenia Arbougaïev, frère et sœur du village iakoute de Tiksi, a été nominée dans la catégorie du meilleur court métrage documentaire. Il s’agit d’un portrait filmé de 25 minutes du biologiste marin Maxim Tchakilev, qui observe la vie des morses sur la côte de la mer d’Okhotsk – un témoignage magnifiquement filmé et en même temps terrifiant de l’impact du réchauffement climatique sur la vie sauvage.
Le cap Serdtsé-Kamen (Cœur-Roche) connaît une véritable invasion de morses. Ne trouvant pas de glace dans la mer, les sublimes animaux s’échouent par milliers et meurent littéralement dans la cohue. Au cours des trois mois de tournage, Tchakilev et les Arbougaïev (qui faisaient également office de caméramans) se sont retrouvés trois fois enfermés dans leur cabane – il y avait tellement de morses à l’extérieur qu’ils ne pouvaient tout simplement pas ouvrir la porte. Le film lui-même est publié sur la chaîne YouTube du magazine TheNew Yorker.
Evguenia Arbougaïeva est une photographe dont le travail a été publié dans de grandes publications occidentales telles que Time, National Geographic et autres. Maxim Arbougaïev est quant à lui caméraman, lauréat du festival Sundance pour son travail dans Genesis 2.0 de Christian Fry, sur les chasseurs de défense de mammouth. Le premier long métrage de Maxim Arbougaïev, le drame Summer end soon (coréalisé avec Vladimir Mounkouïev) avec Iouri Borissov dans le rôle principal, devrait sortir en 2023.
Dans cet autre article, découvrez comment le cinéma iakoute a connu un essor phénoménal, y compris à l’international.
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