Pourquoi les féministes d'aujourd'hui détesteraient-elles Un héros de notre temps de Lermontov?

Culture
OLIVER BENNETT
Le principal personnage de cette œuvre n'était pas bien traité au XIXe siècle, et même le tsar le considérait comme «méprisable». Aujourd'hui, le public contemporain le trouve encore plus dégoûtant.

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Le chef-d'œuvre de 1840 de Mikhaïl Lermontov, Un héros de notre temps, est l'un des romans russes les plus influents et les plus importants. Il se compose de cinq sections, chacune tournant autour du personnage de Petchorine, qui est souvent considéré comme le descendant littéraire d'Eugène Onéguine et de Byron. C'est l'un des personnages les plus ambigus de la littérature mondiale. Il ment, triche et manipule pour obtenir ce qu'il veut, puis n'est pas sûr de le vouloir en fin de compte.

Les femmes sont le plus souvent les victimes de ses manipulations, ou un prix à gagner, mi-désiré, mi-dénigré. Il fait preuve d'une misogynie désinvolte : « La compassion – cette émotion à laquelle les femmes cèdent si facilement », « Rien n’est plus paradoxal que l'esprit féminin » et « Les femmes n'aiment que ceux qu'elles ne connaissent pas ».

Lorsqu'il voit la princesse Marie pour la première fois, il ne fait que des commentaires sur son apparence. Il ne s'agit certainement pas d'un homme moderne éclairé. Mais que doit faire le lecteur moderne de son comportement réel envers la princesse ? Le considérerions-nous aujourd'hui comme abusif ?

« Déstabiliser » l'esprit d'une femme

Dans la section « Princesse Marie », Petchorine s'ennuie et s'agite dans une ville thermale ennuyeuse. Pour s'amuser, il se met à poursuivre la princesse. L'une de ses tactiques est désormais connue sous le nom de « negging ». Il s'agit d'un homme qui dit quelque chose de désobligeant à une femme pour augmenter son besoin d'approbation de la part du manipulateur. Après que la princesse Marie a interprété une chanson lors d'un goûter, alors que tout le monde est en train de faire des éloges, Petchorine lui dit délibérément quelque chose d'assez négligent au sujet de sa voix. Cela fait « grimacer » Marie, qui fait ensuite une révérence « sarcastique ». Petchorine va même plus loin en disant qu'il aime sa musique parce qu'elle l'aide à dormir.

Cet épisode survient après que Petchorine ait dit à la princesse qu'il est en fait très attiré par elle. Il déstabilise consciemment son esprit. Comme l'a dit la critique féministe Jacqueline Rose, « le but du harcèlement [...] n'est pas seulement de contrôler le corps des femmes, mais aussi d'envahir leur esprit [...] il porte une injonction plus sinistre et pathétique : "Tu vas penser à moi" ».

Peut-être n'est-ce toutefois pas si sinistre ? Marie est en effet intriguée et attirée par Petchorine. Cela pourrait donc être considéré comme un flirt franc. Cependant, Petchorine va plus loin. Après s’être adonné à des jeux psychologiques avec elle le soir d'un bal, il se retrouve seul avec Marie, et décrit : « j’ai porté rapidement sa petite main à mes lèvres ». Ce n'est pas une décision prise sur un coup de tête, car plus tôt, il avait dit : « je me suis juré de lui baiser la main dès ce soir ». Il s'agit donc d'une invasion préméditée du corps de Marie. Notez la suggestion subtile de son impuissance physique ici : « sa petite main ».

Saisir l'occasion d'un contact physique

Le comportement de Petchorine s'intensifie lors de son interaction suivante avec Marie. Ils chevauchent l'un à côté de l'autre dans les montagnes pour regarder le coucher du Soleil. Séparée du reste du groupe, Marie se sent faible en traversant un ruisseau et s'évanouit sur sa selle. Petchorine met alors son bras autour de sa taille et la rassure : « Elle s’est trouvée mieux et a eu envie de se débarrasser de mon bras ; mais j’ai enlacé plus solidement sa taille svelte et charmante ». Puis il l'embrasse et elle frissonne.

Petchorine est intelligent ; il ne réalise pas une avance physique de nulle part. Il saisit une occasion d'exercer son pouvoir sur Marie et de s'approprier son corps.

Pourquoi lire le livre aujourd'hui ?

Lors de la publication du roman en 1840, Petchorine était considéré avec méfiance. Le tsar Nicolas Ier en personne l'a qualifié de « méprisable ». Néanmoins, pour un œil moderne, ces moments sont perçus comme abusifs. Comment cela affecte-t-il l'expérience du lecteur moderne ? Quel est l'intérêt de lire le journal d'un agresseur sexuel dans lequel les femmes ont si peu d'influence ?

Lermontov a fait preuve de nombreuses ambiguïtés et couches qui en font une expérience de lecture riche et complexe. Nous ne sommes pas seulement en train de lire les fanfaronnades d'un homme arrogant. Nous ne sommes pas censés encourager Petchorine. Lermontov attire subtilement notre attention sur les contradictions inconscientes de Petchorine. Il reproche à Groutchnitski de jouer un rôle, de vouloir être le héros du roman, mais il est tout aussi coupable de cela lui-même. Il voit sa vie en termes littéraires : « J'ai été le personnage indispensable du cinquième acte ».

Comme l'écrit le critique James Wood, « il est vraiment un parodiste romantique ». Il est prisonnier de l'idéal byronien, mais s'en éloigne constamment. Il dit ne pas se soucier de ce que les gens pensent, mais passe son temps à essayer de contrôler leurs pensées. Lermontov nous invite à voir les contradictions et les insécurités de cet homme faible et mélancolique. La philosophe Judith Butler l’assure, la performance de la masculinité est toujours mélancolique, car l'interprète sait que le rôle qu'il joue n'est qu'à fleur de peau.

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