Chœur Georges Brassens de Moscou, 30 ans de passion pour la musique et le français

Culture
VALERIIA ANIKUSHINA
«La France, mère des arts», écrivit Joachim du Bellay encore au XVIe s. Et que ce fût l’époque tsariste, soviétique ou celle d’aujourd’hui, ce pays a toujours influencé de manière particulière le développement culturel en Russie. La composante musicale de la culture française n’échappe pas non plus à cette règle – des générations entières connaissent et aiment la musique française et le chœur Georges Brassens de Moscou, qui vient de fêter son 30e anniversaire, en est la preuve. Une rencontre.

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En plein cœur de Moscou, au Centre Théâtral « Na Strastnom » se trouve un petit coin musical français où enfants et adultes fascinent le public russe avec des interprétations exceptionnelles de chansons populaires françaises. Doté d’une longue histoire, il s’agit d’un chœur amateur qui vous fait redécouvrir le meilleur de la scène musicale française, que ce soit des œuvres classiques bien connues en Russie ou de nouveaux hits d'artistes modernes.

Le début d’une aventure musicale

L’amour pour la langue française fait de certaines gens des francophiles et francophones à perpétuité et les pousse à consacrer leur vie entière à la popularisation de la langue de Molière. Ce fut le cas d’Alexandre Avanessov  qui a créé en 1990 à Moscou le chœur de jeunes de la chanson française contemporaine nommé en l’honneur de son poète et chanteur favori, Georges Brassens. Véritable maître de la langue française, Alexandre Avanessov était un traducteur et journaliste de grande vigueur, mais aussi un fin connaisseur des chansons de Brassens. Sa prédilection pour ce grand chanteur français s’est manifestée principalement par la traduction unique et extrêmement précise en russe de plusieurs dizaines de ses titres et leur performance à la guitare, ce qui faisait de lui un vrai barde.

Cette passion l’a donc amené à rassembler de jeunes francophones russes au sein du collectif musical qu’il a dirigé pendant 27 ans sans interruption, jusqu’à son dernier souffle. Pendant tout ce temps, le chœur sous sa direction a pu visiter plus d’une fois tous les pays francophones d’Europe, ainsi que se rendre au Canada et en Italie. En plus, pour son mérite en éducation et son travail de popularisation de la langue française, l'Académie française lui a décerné l’Ordre des Palmes académiques. Malheureusement, en décembre 2017, Alexandre Avanessov a brusquement quitté ce monde, mais son héritage continue d’exister aujourd’hui.

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Un engouement pour la vie à transmettre

« C'était un homme formidable et extraordinaire: Le rôle de Saсha Avanessov [diminutif d’Alexandre] ne peut être surestimé : il avait un talent spécial pour attirer et inspirer les gens. Son influence allait bien au-delà des affaires du chœur, car il a aidé beaucoup de gens à réussir dans leur vie et même à les changer complètement », raconte Danila Sokolov, actuel directeur du chœur. Ancien choriste lui-même, Danila fait partie de cette famille artistique depuis le début et avoue avoir appris beaucoup d’Alexandre Avanessov, tant sur le plan professionnel que personnel. « J'étais une personne qui s'est retrouvée dans la troupe par un pur hasard et qui a simplement chanté jusqu'en 1998 comme tous les autres choristes, puis j’ai commencé à faire des harmonisations vocales », relate Danila ses souvenirs. Il est devenu l'un de ces nombreux jeunes francophones russes pour qui l'engouement banal pour le français à travers la musique est devenu l'affaire de toute sa vie. Ainsi, sous sa direction se trouvent actuellement environ 40 choristes, réunis par l’amour pour la langue et la chanson françaises, qui se donnent à corps perdu pour préserver l’ambiance unique de leur chœur. D'ailleurs, leur activité de promotion de la culture française a été récompensée en 2019 par la Médaille de Bronze des Valeurs francophones, l’une des distinctions de La Renaissance française.

En tant que gardien de la mémoire et de l'héritage laissés par Alexandre Avanessov, Danila met l’accent sur l'importance du contexte et du moment historique où le chœur a été créé. « C’était une période hors du temps… l’Union soviétique n’existait plus, la situation laissait beaucoup à désirer, expose-t-il, malgré le fait que les frontières étaient officiellement ouvertes, la plupart des gens ordinaires n'avaient pas la possibilité de voyager à l'étranger. À l'époque, partir en France ou dans un autre pays francophone était un événement exceptionnel et rare ». Partout où le chœur se produisait, il était accompagné des regards surpris et pleins d’admiration du public francophone, qui ne croyait pas que ces adolescents étaient Russes. « C’est sûr qu’on donnait une drôle d'impression. Quelque chose d’hors-norme, d’exotique. Mais l'effet final était et reste toujours le même – le public francophone couine de joie », raconte Danila.

Une famille musicale qu’il est impossible de quitter

Bien qu’à l'aube de sa création, le chœur Georges Brassens n'ait accueilli dans ses rangs que des adolescents et écoliers, ce n’est plus le cas aujourd'hui. En effet, le collectif compte aujourd’hui parmi ses rangs plusieurs générations de choristes, car au bout d’un certain momentil est sûrement difficile de quitter cette famille musicale. Pour ce qui est des autres conditions d’entrée au sein du collectif, elles demeurent les mêmes : une connaissance minimale du français, surtout un bon niveau de compréhension écrite, et la présence d'une certaine notion musicale. En réalité, une bonne et impeccable prononciation du français est une clé de la réussite de chaque concert, c’est pourquoi, explique Danila, un grand travail à ce sujet est réalisé soigneusement lors de la préparation.

Au début de son parcours artistique, le chœur a fait beaucoup de tournées, se produisant dans différents festivals et concours. En effet, la conquête du public francophone se faisait avec un programme spécial divisé en deux parties : d’abord, des chansons folkloriques russes et ensuite, des chansons françaises. À partir des années 2000, le collectif musical a donné de plus en plus de concerts en Russie et, depuis 2006, des prestations annuelles sont organisées sur la scène du Centre Théâtral « Na Strastnom » à Moscou.

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« La chanson française c'est trois minutes de spectacle »

Alors que le répertoire est entièrement renouvelé chaque année, le schéma de sélection des chansons reste inchangé depuis longtemps. « Au début, on choisit un thème qu’on aimerait aborder et qui sera une sorte de fil rouge reliant le répertoire. Ce choix est souvent associé à un événement de l'année d'une importance particulière, mais aussi peut tout simplement être rallié à un sujet tel que le bonheur ou l'amour », explique toute la procédure l’actuel directeur du chœur. Par exemple, le dernier concert, célébrant à 30e anniversaire du collectif lui-même, portait le nom « 30 ans dans la chanson française : tout pour la musique » avec un répertoire composé de chansons françaises consacrées au thème de la musique en tant que telle.

En outre, pour la première fois depuis longtemps, il s'agissait d'un concert théâtralisé avec tous les attributs nécessaires : danses, costumes, blagues et petites mises en scène. Avec cette approche de la réalisation de la prestation, la troupe dans une certaine mesure a rendu hommage à nouveau à Alexandre Avanessov. Il expliquait ainsi le concept qu'il a mis en gage en tant que créateur, voire le genre dans lequel le chœur se produit : « l'essentiel pour nous consistait à ne pas rester sempiternellement figés sur scène pendant le concert, à introduire le mouvement scénique et des éléments de chorégraphie, bref, à faire nôtre la thèse selon laquelle la chanson française c'est trois minutes de spectacle».

La vie reprend son cours habituel

Ce dernier concert en date a donc été un retour triomphal sur scène après une longue pause en raison des restrictions dues à la Covid. Si son ambiance fait revivre chez les choristes des émotions fortes et même celles de la nostalgie, le public fidèle a pu de nouveau se plonger dans le monde de la chanson française. Ainsi, la choriste Alissa Alexander avoue que « c’est vraiment un privilège incroyable et un bonheur immense de faire partie d'un si merveilleux collectif », tandis que sa collègue Maria Korabina, choriste de longue date et actuelle metteuse en scène au sein du collectif musical, constate que « c'était [pendant ce concert] encore le chœur dont je suis tombée amoureuse et au sein duquel je rêvais de chanter depuis 1998 ». En ce qui concerne l’avenir, le directeur actuel Danila Sokolov confirme avec confiance que le chœur Georges Brassens de Moscou continuera à suivre les mêmes étapes et à appliquer les mêmes méthodes, pour grandir et se développer encore plus, tout en gardant la mémoire de l’« ambassadeur de la chanson française à Moscou », Alexandre Avanessov. 

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