Mikhaïl Barychnikov, danser vers la liberté

Culture
VALERIA PAÏKOVA
Mikhaïl Barychnikov n'est pas du genre à passer inaperçu. Véritable légende vivante du ballet, c’est l'un des plus grands danseurs de l'histoire moderne. Si les inconditionnels du ballet russe classique l’adulent pour ses sauts puissants et sa soif de liberté, ses plus jeunes admirateurs, qui l'ont découvert sous les traits du petit ami russe de Carry Bradshow dans la série Sex and the City, l'adorent pour avoir propulsé le ballet contemporain à un niveau inédit.

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S’il semble que Barychnikov nage à contre-courant depuis son enfance, il a cependant choisi ses batailles avec sagesse, et s'est avéré être un brillant « nageur » de longue distance. La vie de ce danseur de légende est l’histoire passionnante d’une quête de soi et d’une affirmation personnelle.

Une étoile est née

Comme dans beaucoup de familles soviétiques, le père de Mikhaïl était un militaire strict et un communiste dévoué, tandis que sa mère était d’origine paysanne. C'est elle qui a inculqué l'amour de l’art au petit Mikhaïl. La famille vivait à Riga, capitale de la RSS de Lettonie à l'époque. Encore enfant, il est tombé amoureux du ballet et s'est inscrit tout seul à sa première école de danse. Il a dit à ses parents qu’il n’avait pas besoin de leur soutien moral. « Micha » (diminutif du prénom russe « Mikhaïl ») a littéralement prouvé qu'il « tenait tout seul sur ses jambes » alors qu’il n'avait que 9 ans. Il a réussi les examens d'entrée et a été accepté.

Deux ans plus tard, Barychnikov a déménagé à Leningrad (aujourd'hui Saint-Pétersbourg) pour se former dans la célèbre école de ballet de la ville (actuellement connue sous le nom d'Académie Vaganova). Là, il a suivi les cours d’Alexandre Pouchkine, homonyme du grand poète russe et professeur d'une autre légende du ballet, Rudolf Noureev, qui a fui en Occident en 1961.

Des années plus tard, Barychnikov serait lui-même reconnu comme l'un des plus grands virtuoses du ballet au monde, avec Vaslav Nijinski et Rudolf Noureev.

Mikhaïl a intégré la légendaire troupe de ballet Kirov (désormais Mariïnski) en 1967. Insufflant au ballet une bonne dose d’énergie, il est devenu célèbre en tant que danseur expressif, à la technique impeccable et au jeu de jambes puissant.

Le charismatique Barychnikov a été récompensé pour ses rôles dans Vestris de Leonid Jakobson en 1969 et Giselle, la pierre de touche du ballet classique. Et pourtant, malgré un avenir prometteur, Barychnikov, avec une taille modeste de 1,68 cm, était condamné à jouer des seconds rôles en URSS. Une perspective inacceptable pour ce leader né. En Union soviétique, le ballet classique était volontairement enfermé dans le carcan des traditions du XIXe siècle. L’influence de la danse contemporaine n'était pas la bienvenue. Barychnikov, au contraire, était à la recherche d'un vent de changement et d'une fenêtre d'opportunité. Celle-ci s’est présentée à l'été 1974.

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Chances et défis

Le danseur casse-cou a définitivement quitté l'Union soviétique en 1974. Barychnikov, 26 ans, a demandé l'asile politique à Toronto après une représentation du Ballet du Bolchoï. Il a ensuite déménagé aux États-Unis, où il a rejoint l'American Ballet Theatre (ABT) en tant que danseur étoile. Exhalant confiance et puissance dans chacun de ses mouvements, Barychnikov a subjugué le public américain avec son rôle emblématique d’Albert dans Giselle. Sa partenaire était Natalia Makarova, ancienne danseuse étoile du ballet Kirov qui avait également quitté l'URSS, mais pour le Royaume-Uni, faisant faux-bond à sa compagnie lors d’une tournée à Londres en 1970.

Barychnikov a mis en scène et chorégraphié Casse-Noisette, qu’il a créé au Metropolitan Opera de New York en 1977. La performance impressionnante de Mikhaïl et sa présence sur scène ont rendu le ballet, déjà très populaire, encore plus singulier.

À la fin des années 1970, Barychnikov rejoint le New York City Ballet, où il travaille avec George Balanchine. Le chorégraphe d'origine russe (qui a révolutionné le ballet classique américain et dont le vrai nom était Balanchivadze) a eu une grande influence sur Barychnikov. Mikhaïl a réalisé une performance stupéfiante dans Le Fils prodigue de Sergueï Prokofiev et Apollon musagète, mis en musique par Igor Stravinsky. Balanchine a souligné la joie de vivre caractéristique de Barychnikov avec des sauts épiques et des mouvements emplis de maturité.

Barychnikov avait également besoin d'espace pour déployer sa créativité. Il ne voulait pas se limiter exclusivement à des classiques comme Don Quichotte. En 1979, il devient directeur artistique de l’ABT. À ce titre, il a façonné une nouvelle génération de danseurs et de chorégraphes.

Si Barychnikov était resté en Union soviétique, cantonné au seul répertoire classique, il n’aurait pas pu se lancer dans un véritable défi : la recherche de la liberté d’expression. Son rêve ultime était de travailler avec la jeune génération, éprise d’innovation.

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Aux États-Unis, Barychnikov se passionne pour la chorégraphie contemporaine. Des chorégraphes de renom, tels que Twyla Tharp (qui a contribué à catapulter la carrière de Barychnikov dans la danse contemporaine), Jerome Robbins, Glen Tetley et le fondateur de l'American Dance Theatre, Alvin Ailey, ont littéralement brisé les carcans, transformant leurs performances de danse en un jaillissement de pensées et de mouvements.

En 2005, le danseur, père de quatre enfants, a ouvert à New York le Barychnikov Arts Center, un laboratoire de création pour les artistes émergents du monde entier.

Des « Nuits blanches » à « Sex and the City »

Connu pour ses prouesses d'acteur et son sex-appeal, Barychnikov a également eu du succès sur grand écran. Dans la comédie musicale White Nights de 1985, ses partenaires n’étaient autres que Hellen Mirren et Isabella Rossellini.

Barychnikov incarnait le personnage central de ce drame quasi-autobiographique - un danseur de ballet soviétique qui fuit l’URSS. Ironie du sort, l'avion qui l’emmène vers un spectacle au Japon s'écrase en Sibérie. Les agents du KGB se frottent les mains à l’idée de mettre la main le fugitif….

Dans un épisode mémorable de ce film, la star des claquettes Gregory Hines et Barychnikov dansent ensemble. Leur danse vaut mille mots.

Dans une autre scène captivante, Barychnikov demande à sa compatriote Galina, interprétée par l'actrice britannique à moitié russe Helen Mirren : « Sais-tu ce que signifie être vraiment libre ? »

Barychnikov répond lui-même à cette question à plusieurs millions de dollars en exécutant une danse sur la célèbre chanson de Vladimir Vyssotski Chevaux capricieux, chorégraphiée par Twyla Tharp. C’est la meilleure scène du film, et elle définit en outre le personnage de Mikhaïl.

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Ses talents d’acteur ont également été exposés au public dans Le Tournant de la vie (1977), avec Shirley MacLaine et Anne Bancroft. Son portrait du playboy russe Iouri Kopeïkine a valu à Barychnikov une nomination aux Oscars.

L'apparition de Barychnikov dans la série à succès Sex and the City (2004) sous les traits du petit ami de Carrie Bradshaw, Aleksandr Petrovsky, a littéralement fait un carton. Il pensait que ce ne serait que pour quelques mois, mais en réalité, l'icône du ballet russe a fini par incarner la conquête de Sarah Jessica Parker pendant un an. (Pour information, Barychnikov est marié à l'ancienne ballerine Lisa Rinehart)

Barychnikov à Broadway

« Micha », comme tout le monde l’appelait en Amérique a fait ses débuts théâtraux à Broadway dans La Métamorphose de Franz Kafka. Son interprétation de Gregor Samsa lui a valu une ovation debout et une nomination aux Tony Awards.

L'artiste aux multiples casquettes a également joué avec la star de Cabaret Liza Minnelli dans un spectacle intitulé Barychnikov à Broadway. Unis par une puissante chimie sur la scène – elle au chant, lui à la danse – tous deux formaient un duo étonnant.

Autodidacte et homme d'action, Barychnikov a eu la chance de partager la scène avec des partenaires d’une immense renommée.

« Je suis chanteur de bar depuis de nombreuses années maintenant. Et je n'ai jamais rêvé que quiconque voudrait utiliser l'une de mes chansons à des fins culturelles. Et un jour, j'ai reçu un appel d'une dame de très grande classe nommée Twyla Tharp. Elle voulait savoir si elle pouvait utiliser une de nos chansons pour créer une chorégraphie pour un danseur. Et là je me suis dit : « La respectabilité, enfin ! » Ce danseur est ici ce soir et il a promis de me donner un coup de main, ou plutôt de pied pour l’occasion. Mesdames et messieurs, le brillant Mikhaïl Barychnikov ! », a déclaré Frank Sinatra, ouvrant leur performance en duo avec sa chanson mélancolique One for My Baby.

Brodsky / Barychnikov

D’un caractère légèrement pessimiste, Barychnikov a toujours possédé une grande force intellectuelle. Il semblait souvent qu'il dansait avec son cerveau, prêtant attention à la perfection technique, renforcée par la confiance, la souplesse et la force intellectuelle.

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« C’est un homme à l’intelligence et à l’intuition vigoureuses, s’est souvenu Joseph Brodsky, ami de Barychnikov pendant 20 ans. Une personne qui – entre autres – peut réciter de mémoire plus de poèmes que moi. C'est très étrange, mais je jure que je ne me souviens pas comment j'ai rencontré Micha. Néanmoins, une chose est sûre : il m'a fait forte impression, et c’est toujours le cas. Pas du tout par ses compétences de danseur, car je suis loin d’être un expert dans ce domaine… Barychnikov est un être humain absolument unique. Il fête son anniversaire le même jour que Wolfgang Amadeus Mozart. Et je pense qu'ils ont beaucoup en commun ».

En plus de partager l’amour de la poésie, Barychnikov et Brodsky sont en outre devenus copropriétaires du restaurant russe Samovar à New York (l’établissement où Aleksandr Petrovsky emmène Carry Bradshaw à leur premier rendez-vous).

En 2015, Barychnikov a eu la chance de rendre hommage au célèbre poète et prix Nobel dans la performance Brodsky / Barychnikov, mise en scène par le Letton Alvis Hermanis. Symboliquement, la première mondiale de ce « one man show » a eu lieu à Riga, ville où Mikhaïl est né et a grandi. Contrairement à ses pairs, Barychnikov n’est jamais retourné en URSS, ni plus tard en Russie, après son évasion chanceuse. Apparemment, il avait atteint un point de non-retour. Heureusement, il n'a jamais cessé d'être un grand admirateur et un participant actif du rayonnement de la culture russe.

« Ce qui m'a amené au théâtre, en fait, s’est souvenu Barychnikov dans une interview avec la légende américaine du talk-show Larry King en 2002, c’est que vous soyez juif, Russe, Arménien ou Letton, toutes ces disparités sont soudainement éliminées par la lumière de la scène et la magnifique image de la danse. Et tous ces éléments deviennent soudain hors de propos ».

Au cours d’une carrière révolutionnaire s’étendant sur plus de cinquante ans, Barychnikov a touché à tout, dansé, mais surtout fait ce que bon lui semblait. Insatiable, mais pas imprudent, en toutes circonstances, il a choisi d'agir. Bravo !

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