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Le 22 septembre à Paris, cette femme, dont la contribution au rapprochement et à l'enrichissement mutuel des peuples de Russie et de France ne doit pas être sous-estimée, a reçu la médaille Pouchkine des mains de l'ambassadeur russe.
Toujours élégamment vêtue, Zoya Arrignon est probablement connue de toute personne immergée, d'une manière ou d'une autre, dans les relations culturelles franco-russes. Cependant, sa silhouette n'a pas seulement brillé parmi les convives d’événements caritatifs solennels, mais est également apparue dans des endroits tels que l’appartement ordinaire, à Iaroslavl, d'un homme hors du commun – l'un des derniers mécaniciens du régiment aérien de Normandie-Niemen, Valentin Ogourtsov. Zoya est également connue pour sa contribution à la préservation du patrimoine culturel franco-russe – son initiative a permis de collecter des fonds pour la restauration de la pierre tombale du compositeur russe Sergueï Liapounov en France.
Madame Arrignon, présidente de la branche russe de la Renaissance Française, n'aime pas beaucoup parler d'elle-même, mais s’épanche volontiers au sujet de ses projets dans l'association et du soutien des personnes sans lesquelles son action serait impensable. Russia Beyond a souhaité présenter à ses lecteurs l’œuvre de cette femme, dont nous entendrons parler encore plus d'une fois.
Qu’est-ce qui vous a conduite en France ? Peut-on parler de destin ?
Je ne sais pas si c’était le destin, mais au début, quand j’étais au lycée en Russie, j’avais le choix entre la médecine et le français, parce que ma mère était médecin et mon école était spécialisée en langue française. J’ai donc suivi des cours particuliers pour entrer à l’Académie de médecine, mais sans passion extraordinaire, car je n’aime ni la biologie, ni la chimie.
Au mois de mai, quand on doit passer [l’analogue du] bac en Russie, j’ai accompagné une copine pour la Journée des portes ouvertes à l’Institut pédagogique de Iaroslavl à la faculté des langues étrangères et cela m’a fait changer d’orientation. J’ai donc choisi le métier de professeur de français et d’interprète du français vers l’allemand. La deuxième partie de mes études, je l’ai faite en France, à l'Institut d'Administration des Entreprises de l'Université de Poitiers. Ensuite, j’ai rencontré mon mari, et depuis on partage notre vie entre la France et la Russie.
Il parait que les relations culturelles unissant les deux pays vous attiraient bien avant votre arrivée dans l’association. Par quoi ce domaine vous passionne-t-il et qu’est-ce que vous y trouvez ?
L’association a été créée en 1915 par Raymond Poincaré, elle est représentée par des délégations au sein de chaque région en France et à l'étranger. Mais la délégation russe n’est apparue qu’en 2012, elle est donc très jeune. Je suis devenue la présidente de la délégation de la Fédération de Russie de la Renaissance Française parce que, comme je l’ai déjà dit, je suis une personne franco-russe : je suis native de la Russie et, en même temps, je suis Française par alliance. Quand le Préfet Antoine Guerrier de Dumast, le président international de la Renaissance Française, cherchait un président pour la délégation en Russie, il a tout naturellement pensé à moi.
Je dois dire aussi que c’est la culture en général qui m'intéresse et pas spécialement les relations franco-russes. Mon époux est professeur des universités et l’un des meilleurs spécialistes de la Rus’ de Kiev et de la Russie. Effectivement, nous avons plus de projets entre la Russie et la France qu’avec les autres pays. Mais cela nous arrive de faire aussi des projets purement français.
Qu’est-ce qui vous motive et quels objectifs vous fixez-vous ?
C’est la passion, car il faut préciser que nous sommes tous des bénévoles. Vous savez, quand les gens viennent et qu’après chaque manifestation ils repartent avec des étoiles dans les yeux car ils ont trouvé le projet formidable, c’est un réel plaisir.
Je me souviens d’un de nos premiers projets, la tournée du trio Concordia. On a fait une tournée à Moscou, à Iaroslavl, à Rybinsk et à Saint-Pétersbourg pour promouvoir le disque de Pierre Crémont Saint-Pétersbourg-Paris qui a été le maître de chapelle auprès de la cour d’Alexandre Ier, puis le premier violon et directeur du Théâtre français de Moscou. Le concert a commencé dans la capitale russe – justement où ce compositeur et chef d'orchestre français a œuvré, avec l’orchestre de chambre du сonservatoire de Moscou, et il a eu un succès fou, il y avait tant d’applaudissements après !
Pour moi il s’agit d’une vraie passion. Mais il est vrai que parfois il m'arrive de penser à arrêter notamment par manque de temps. Et après un long répit, quelqu’un me dit : « Ahh ! j’ai un projet, j’aimerais le mettre en place, qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce qu’on peut associer la Renaissance Française ? », et ça repart. C’est infini !
De plus, je dois dire, que ça m'enrichit également – je découvre beaucoup de choses grâce aux projets que l’on organise. Il s’agit de rencontres avec des gens passionnés et passionnants, et ce n’est pas uniquement lié à la culture, ça peut être aussi la cuisine, la gastronomie, etc. Il y en a beaucoup d’autres. Par exemple, la restauration. Nous avons restauré la tombe du compositeur russe Sergueï Liapounov au Cimetière des Batignolles.
Mais vous devez sans doute aussi vous heurter à des difficultés, n’est-ce pas ?
En fait, la difficulté c’est toujours de trouver le financement. Comme je vous l’ai déjà dit, nous sommes bénévoles et donc il faut financer tous nos projets. C’est toujours très difficile, surtout lors de la crise actuelle, de trouver des sponsors. Ensuite il faut convaincre. Parfois, tu penses que c’est un projet exceptionnel pour tout le monde, mais malheureusement il n'intéresse que toi et ne « rentre pas dans la ligne budgétaire » des sponsors.
Moi, personnellement, je considère que chaque travail doit être rémunéré, on ne peut pas demander aux artistes de travailler toujours bénévolement, mais je suis très reconnaissante envers ceux qui participent gracieusement à nos actions. C’est surtout, par exemple, le cas du conservatoire de Moscou, c’est notre partenaire principal. Chaque année les professeurs et les élèves participent gracieusement à notre cérémonie de remise des distinctions qui se tient à Moscou et à chaque fois c’est un concert exceptionnel.
Quand nous avons organisé la soirée caritative pour collecter les fonds pour la restauration de la tombe de Sergueï Liapounov, c’était encore une fois l’un des brillants élèves du conservatoire de Tchaïkovski, Konstantin Khatchikian, qui est venu à Paris pour jouer gracieusement à notre soirée de bienfaisance. Je me souviens, qu’il m’a dit qu’il était prêt à jouer gracieusement pour les bonnes causes chaque soir ! Voyez-vous, c’est fantastique.
On ne peut pas sans arrêt solliciter et dire aux artistes qu’ils doivent tout faire gratuitement, donc la difficulté principale est de trouver le financement. C’est très-très difficile et parfois cela retarde le projet parce que l’on n’arrive pas à trouver de l’argent et ça, c’est triste.
Quels projets avez-vous mis sur les rails dans le cadre de l’association et lequel estimez-vous comme étant le plus important. Nous savons que vous assurez la médiation entre les familles de pilotes français de l’escadrille Normandie-Niemen et celles de mécaniciens soviétiques qui ont servi côte à côte pendant la Seconde Guerre mondiale. Je parle là de la famille d’Yves Mourier et de Valentin Ogourtsov...
Tous les projets sont passionnants. Le bénévolat n'existe pas sans passion.
Vous avez évoqué Monsieur Ogourtsov, âgé de 94 ans, l'un des derniers survivants de l'escadrille Normandie-Niemen, Chevalier de la Légion d’Honneur. Il était le mécanicien d'Yves Mourier et de Georges Henry. Je l'ai rencontré la première fois en 2013. Le 10 décembre 2013, je lui ai remis la Médaille d'Or de la Renaissance Française en présence de Général Guy Nuyttens (Attaché de Défense de l'Ambassade de France en Russie). Depuis, nous ne nous quittons plus. Monsieur Ogourtsov vit avec sa femme Olga et son fils Alexandre à Iaroslavl, dans ma ville natale. Il est devenu une tradition pour moi de lui rendre visite lors de mes venues à Iaroslavl. C'est toujours un moment de bonheur.
Il y a quelques années, Frédéric Mourier, petit-fils d'Yves, a établi contact avec Valentin Ogourtsov, qu'il considère comme « l'ange gardien de son grand-père Yves ».
L'année dernière, j'ai été très heureuse et honorée d'être choisie par la famille Mourier pour apporter les cadeaux à la famille Ogourtsov. Russia Beyond m'avait gentiment accompagnée dans cette mission.
Nous avons fêté cette année le 75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et c’est fabuleux que les familles continuent à garder les liens, cela enrichit beaucoup nos rapports. À chaque fois que je viens chez monsieur Ogourtsov, à Iaroslavl, je suis toujours accompagnée par les élèves de l’école 42 spécialisée en langue française. С’est une rencontre de plusieurs générations et elle me motive beaucoup, parce que je vois l’intérêt des jeunes envers les aînés.
Nous tenons à vous féliciter à l’occasion de votre réception de la médaille Pouchkine. Qu’avez-vous ressenti en apprenant la nouvelle ? Cet événement marque-t-il une nouvelle étape dans votre mission ?
Comme l’ambassadeur de Russie l'a souligné lors de la cérémonie de remise, c’est la plus haute distinction dans le domaine culturel et elle n’évalue pas spécialement moi en tant que personne, mais reconnaît et honore toutes les actions que nous avons menées depuis 2012 et que l’on va continuer à mener. Oui, effectivement ça donne des ailes, si vous êtes reconnu et tout ce que vous faites est apprécié.
De plus, dans mon discours, j’ai signalé que la médaille Pouchkine pour moi, en tant que présidente de la délégation de la Fédération de Russie à la Renaissance Française, n’est pas seulement honorifique, mais aussi symbolique. Elle porte le nom du plus grand poète russe, mais aussi le plus francophone et francophile des poètes russes, car il a écrit une grande partie de ses œuvres dans la langue de Voltaire et il a même été appelé par ses ami « le Français », donc pour notre institution qui est la plus ancienne des associations de la défense de la francophonie dans le monde, c’est très significatif.
Sur quels projets travaillez-vous dernièrement ?
On vient de commencer un projet très important et j’espère qu'il aboutira. On se prépare à offrir à la ville de Saint-Pétersbourg une statue de Marius Petipa, célèbre chorégraphe franco-russe, danseur et maître de ballet qui est considéré comme « le père du ballet russe » puisqu'il y a consacré 60 ans de sa vie. Il repose au cimetière de la laure Saint-Alexandre-Nevski à Saint-Pétersbourg. À notre grande surprise, il n'y a pourtant aucune statue lui étant dédié à Saint-Pétersbourg ni à Marseille, sa ville natale. Pourtant, c'est à lui que nous devons les chorégraphies divines des célèbres ballets Le Lac des cygnes, Casse-Noisette ou encore La belle au bois dormant et beaucoup d'autres.
Le projet a été imaginé dans l’esprit de la Renaissance Française, c’est-à-dire la promotion de la culture et du savoir-faire français. Nous avons choisi un sculpteur français, Bénédicte Dubart, c’est une femme sculpteur du Nord de la France. L'année dernière, elle a été primée à la Biennale de Venise. Pour la réalisation de la sculpture Hommage à Marius Petipa, elle a choisi des PME françaises (fondeur, moulage, structure etc.). Elles viennent toutes de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Ce projet mettra en valeur les talents de plusieurs régions de France et leur offrira une belle vitrine à Saint-Pétersbourg.
Il y a un comité d’honneur qui est composé de personnalités importantes dans le domaine de la culture mais qui ont des liens avec la Russie naturellement. Andreï Makine, Dominique Fernandez, Laurent Hilaire, Pierre Lacotte et beaucoup d’autres. Mais je voulais associer encore quelques personnalités qui ont personnellement des liens avec la ville de Saint-Pétersbourg et la Renaissance Française, c’est Tamara Gverdtsiteli, Nikolaï Tsiskaridzé, Aleksandr Sokolov, le recteur du conservatoire Tchaïkovski, et beaucoup d’autres.
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C’est la France qui offrira cette statue. Ce projet a reçu le soutien personnel de S.E.M. Alexeï Mechkov, Ambassadeur de Russie en France. Nous sommes actuellement en négociation avec l'administration de Saint-Pétersbourg pour trouver un lieu adapté dans le centre historique. J’aimerais ajouter que cette composition sculpturale « gracieuse et légère » a été appréciée par les Russes et correspond parfaitement à l'âme de cette ville. C'est un point très important car le cadeau doit plaire avant tout à celui que tu offres. Ce sera la première sculpture réalisée par la France dans la ville. C’est notre réponse à la très belle initiative du monde artistique russe d’offrir une statue de Marius Petipa à la ville de Marseille.
L'année prochaine sera l'année croisée franco-russe et nous espérons que notre hommage à Marius Petipa sera considéré comme l’un des projets-phares de cette belle année. Si tout se passe bien, l'inauguration devrait avoir lieu à l'automne 2021.
Dans cet autre article, nous vous présentons, d’Anne de Kiev à Charles de Gaulle, les hauts faits de l’amitié franco-russe.