Cent ans de l'Exode russe, héritage amer de la guerre civile sans merci

Centre de Russie pour la science et la Culture à Paris
Il y a 100 ans, l’histoire russe a connu un virage inédit: les bolcheviks ont pris l'avantage dans la guerre civile, poussant des milliers de Russes à quitter définitivement leur Patrie. Pour commémorer le sort de ces réfugiés, le Centre de Russie pour la science et la Culture à Paris (CRSC) organise plusieurs événements dédiés à cet évènement tragique, connu comme «l’Exode russe». Russia Beyond est allé à leur rencontre.

Russia Beyond désormais sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr

Avec une différence de trois siècles, la Russie a traversé deux périodes complexes, communément appelées « le temps des troubles ». Les intrigues et les rivalités pour le pouvoir suprême, les escarmouches intestines et les invasions étrangères ont accompagné ces époques. Or, si la dynastie régnante des Riourikides a quitté le pouvoir d’une façon non violente à la fin du XVIe siècle, celle des Romanov a été renversée par le vent révolutionnaire et, ensuite, décimée par les bolcheviks. Un profond schisme a donc divisé la société russe. En effet, les opposants de la Révolution étaient soit forcés de se soumettre au nouveau pouvoir en subissant les répressions, soit de quitter leur terre natale avec l’espoir de pouvoir un jour y retourner. L’émigration n’a toutefois guère été une solution facile pour eux.

Foyers de résistance et de départ

L'immensité géographique de la Russie a imposé une empreinte particulière au mouvement d’exil : la difficulté de la quitter. La possibilité restreinte de déplacement s’explique par le fait que les différentes régions ont été contrôlées par des pouvoirs belligérants. Il en ressort que les exilés ont connu des pérégrinations sans fin même avant leur départ du pays. En outre, les voies d’émigration se formaient autour des grands camps antibolchéviques, dont la plupart ne cessaient de mener des combats de fond contre l’Armée rouge. En conséquence, l’Exode russe s’est produit tout au long de l’année 1920 simultanément dans plusieurs régions du pays, où étaient situées les forces blanches.

>>> Ces officiers tsaristes ayant presque réussi à stopper les bolcheviks

Rose des vents: du Nord au Sud 

L’armée du Nord-Ouest, sous le commandement de Nikolaï Ioudenitch, qui s'était battue pour l'ancienne capitale impériale Petrograd, a été forcée de se désarmer au début de 1920. Elle fut obligée de se retirer de Pskov et de se disperser dans la nouvelle république d'Estonie. Le général Ioudenitch lui-même se réfugie d’abord à Londres et, plus tard, s’installe à Nice.

Nikolaï Ioudenitch (1862 – 1933)

Peu après, en février 1920, située en Carélie, l’armée du Nord est contrainte de partir en Norvège sur deux navires et en Finlande par voie terrestre. Dirigés par Ievguéni Miller, plus de 800 militaires et réfugiés civils ont ainsi quitté la Russie à partir des ports de Mourmansk et d’Arkhangelsk. Le lieutenant-général Miller s’exile à Paris avec sa famille et devient un acteur important de l’émigration blanche jusqu’à son enlèvement en 1937 par les agents du NKVD.

Un scénario similaire s'est déroulé à l'autre bout du pays. En Sibérie occidentale et orientale, l’offensive réussie de l'Armée rouge a mis en difficulté les forces contrerévolutionnaires. En même temps, cela a provoqué le retrait progressif des troupes d'occupation japonaises, en causant la défaite rapide de l’armée de l’Extrême-Orient, autrement dit le reste des troupes de l’amiral Koltchak, sous commandant de l’ataman (chef avec des fonctions politiques et militaires chez les Cosaques) Grigori Semionov. 

Alexandre Koltchak (1874 – 1920)

Ainsi, plus de 60 000 soldats et officiers blancs avec leurs familles et divers habitants des villages de Transbaïkalie et de la région d’Amour se sont vus dans l’obligation de quitter la Russie. Leurs voies de fuite ont suivi l'itinéraire suivant : en Mongolie et en Chine à travers la ville Manzhouli, pour s'installer à Shanghai et à Harbin, qui deviendra avec le temps la capitale asiatique des Russes à l’étranger, à l’image de Paris en Occident. De nombreux exilés russes en Chine émigrent à nouveau en 1922, surtout à cause de la pauvreté, mais aussi aux États-Unis, au Canada, en Australie, au Mexique, au Brésil et en Argentine.

Le dernier bastion des Blancs et l'évacuation massive  

Les derniers navires de l’Armée blanche quittent Sébastopol

L’histoire a voulu que la plus grande porte de sortie pour les milliers des partisans de la Russie impériale soit la péninsule de Crimée et ses ports principaux, ceux de Sébastopol, Eupatoria, Kertch, Théodosie et Yalta. C'est là qu’en novembre 1920 s'est produit l'exode des Russes le plus massif et pourtant le plus organisé. Ainsi, plus de 135 000 personnes ont quitté définitivement la Russie dans des conditions rudes et inimaginables à bord de 126 navires. Parmi les évacués, il y avait environ 70 000 membres de l'armée et de la marine, 6 000 blessés, le reste étant des civils.

>>> Du front germano-russe aux aciéries d’Ugine: bouleversant destin d’un Russe blanc émigré en France

Piotr Wrangel (1878 – 1928)

Cette opération humanitaire a vu le jour grâce à la prévoyance du baron Piotr Wrangel. En avril 1920, après avoir pris ses fonctions de commandant en chef de l'armée blanche du Sud, il a en effet ordonné de commencer les préparatifs pour une éventuelle évacuation. Simultanément, le baron a négocié intensivement avec les autorités françaises au sujet de l’assistance, des emprunts et de l’hébergement des Russes évacués sur les territoires sous contrôle français. Par conséquent, la sécurité de l’évacuation a été assurée par un croiseur français. En outre, le reste de l'armée de Wrangel était stationné en accord avec le commandement français dans un camp sur la péninsule de Gallipoli, en Turquie, et les navires de l’Escadron russe ont été amarrés à la base navale française de Bizerte, en Tunisie. 

Paris, point de chute

L’on ne faisait fait de distinction entre réfugiés et migrants avant les années 1920, quand le nombre des réfugiés russes a dépassé le seuil de 1,5 million partout dans le monde. Au fil du temps, de nombreux exilés, environ 400 000, se sont installés en France, et Paris est devenue la capitale des Russes à l’étranger. Cependant, avant d’y venir, ils ont été forcés de se déplacer constamment, souvent sans papiers ni moyens pour vivre, et tout en étant privés de citoyenneté.

Ce n'est donc pas un hasard si le Centre de Russie pour la science et la culture à Paris présente l’exposition photo-documentaire thématique dédiée à cet évènement historique et préparée par la Maison des Russes à l’étranger Alexandre Soljénitsyne. Ces photos uniques, ces preuves documentaires de l’époque, comme la Une de journaux, ces lettres et documents personnels, numérisés pour la première fois, sont des « perles rares ». Ces dernières, fournies par des descendants d'émigrés russes du monde entier, y compris de France, mettent en lumière les conditions dans lesquelles se sont déroulés l’Exode et les dures premières années en fuite.

Actuellement disponible sur le site web et les pages des réseaux sociaux du CRSC en deux langues, il est également prévu que l'exposition soit présentée dans les salles du Centre à la fin du mois de novembre, ainsi que dans d’autres pays francophones, où les originaires de l'Exode russe ont laissé leurs traces.

>>> À la découverte de la diaspora russe de Lyon

« Drame de la division du peuple »

Logo du CRSC pour les événements du centenaire de l'Exode Russe. La base est la célèbre croix de Gallipoli – un signe distinctif authentique des participants aux événements dramatiques de l'évacuation en 1920-1923 – située dans le réticule du drapeau Andreïev.

Bien que magistrale, l’exposition n’est seulement que l’un des nombreux événements organisés par le Centre à Paris en l’honneur de centenaire de l’Exode. Dans leur entièreté, ces derniers sont le résultat du travail collectif du CRSC et des descendants d’émigrés russes. Comme nous l'a raconté Konstantin Volkov, le directeur du Centre, en février 2020, un groupe d'initiative de compatriotes russes, descendants de familles de la première vague d'émigration vers la France, dirigé par Alexandre Troubetskoï, a pris contact avec l’établissement  proposant de couvrir cet événement.

Alexandre Troubetskoï, Asya Ovchinnikova, Pierre Brun de Saint-Hippolyte, Hélène Brun de Saint-Hippolyte, Konstantin Volkov, Alexander Poustobajev, Viktor Skriabine

« Après, un programme que nous avons offert Rossotroudnichestvo (l’Agence fédérale russe pour la coopération internationale) avec une série d'événements a vu le jour pour une mise en œuvre ultérieure ». D’après lui, globalement, tous ces événements commémoratifs ont deux principaux messages. Tout d’abord celui de démontrer qu’« une telle dispersion mondiale ne doit plus se reproduire » et aussi de dévoiler « l’esprit russe », c’est-à-dire comment les Russes sont capables de surmonter des épreuves aussi insupportables.

Outre l’exposition et malgré les restrictions sanitaires, le CRSC a pu organiser des projections de films consacrés au thème de l'Exode, tel que La Fuite (1970) et Coup de soleil (2014). Elles ont été accompagnées par des interventions de personnalités de l'émigration blanche en France. En collaboration avec la filiale de la Société historique russe à Sébastopol, le Centre a organisé un « Dialogue vidéo avec des compatriotes » : un film interactif mené par l’historien Vadim Prokopenkov depuis Sébastopol. Il contient un aperçu des évènements liés à l’évacuation de la péninsule et une partie de questions-réponses de la part des descendants Russes. La plupart des événements commémoratifs auront lieu au CRSC fin novembre et début décembre. Au cours de la semaine spéciale, il est prévu d'organiser un moleben (rituel orthodoxe), des conférences avec des historiens et un concert, ainsi que de montrer de nouveaux films documentaires et des expositions supplémentaires.

Dans cet autre article, découvrez les portraits de descendants d’émigrés blancs en France.

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

À ne pas manquer

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies