L’église Saint-Nicolas Nadeïn, héritage séculaire de l’un des plus riches marchands de Iaroslavl

William Brumfield
L'historien et expert en architecture William Brumfield nous présente un monument caractéristique du cœur historique de la Russie.

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01 Iaroslavl. Église Saint-Nicolas Nadeïn. Vue ouest, étages supérieurs avec tour de clocher.

L'une des villes les plus riches en histoire sur la Volga est Iaroslavl, située à environ 265 kilomètres au nord-est de Moscou. Bien qu'elle soit aujourd'hui un centre industriel avec près de 650 000 habitants, elle abrite une grande concentration d'art et d'architecture ecclésiastiques de la période entre les XVIe et XIXe siècles. Chaque année, la cité accueille des milliers de touristes qui viennent via des croisières fluviales ou par voie terrestre depuis Moscou.

Église Saint-Nicolas Nadeïn. Façade sud.

Ils suivent les pas du photographe et chimiste russe Sergueï Prokoudine-Gorski (voir l'encadré ci-dessous) qui a visité la ville aux étés 1910 et 1911 dans le cadre de son projet de photographier la grande diversité de l'Empire russe au début du XXe siècle.

Une histoire distinguée

Iaroslavl a été fondée au début du XIe siècle par le grand-prince de la Rus' de Kiev Iaroslav le Sage, l'un des plus grands monarques de la Rus' médiévale. Son emplacement sur le fleuve Volga était bien choisi, et la colonie disposait, au début du XIIIe siècle, de monastères avec des églises en bois, signe d'opulence à l'époque.

Église Saint-Nicolas Nadeïn. Façade sud-ouest. À droite : chapelle de l'icône de la Vierge de Tolga.

Iaroslavl a été pillée par les Mongols en 1238, lors de leur conquête de l’actuelle Russie centrale. Bien qu'elle ait mis longtemps à récupérer après cette domination, son union avec la grande-principauté de Moscou, au XVe siècle, a permis à Iaroslavl d'intégrer une structure économique et politique plus vaste. La ville a alors tiré profit de sa position centrale non seulement pour le commerce dans l'immense bassin de la Volga, mais aussi pour l'exploitation des étendues boisées du Nord russe.

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Église Saint-Nicolas Nadeïn. Façade nord avec à gauche la Chapelle de l'Annonciation.

À la fin du XVIe siècle, Ivan le Terrible a créé un port au monastère de l'Archange Michel (à Arkhangelsk) sur l'estuaire de la Dvina septentrionale, près de la mer Blanche, avec l'objectif d'ouvrir le commerce avec l'Europe occidentale à la grande-principauté de Moscou. La position de Iaroslavl au sein d'un réseau commercial s'étendant de la mer Blanche à la Sibérie et à l'Orient s'en est alors trouvée renforcée. Grâce à ces nouvelles opportunités de commerce, Iaroslavl a ainsi attiré des colonies de marchands russes comme étrangers (anglais, néerlandais et allemands).

Église Saint-Nicolas Nadeïn. Façade sud.

Bien qu'ayant été épargné par le désordre catastrophique survenu en Russie à la fin du règne d'Ivan le Terrible, le commerce de Iaroslavl a commencé à décliner lors de l'Interrègne ayant suivi la mort du tsar Boris Godounov en 1605. Cette période de chaos politique et social, connue sous le nom de Temps des troubles, a vu une grande partie du pays pillé. Iaroslavl a toutefois de nouveau échappé au pire et, en 1612, a servi de point de ralliement pour organiser la résistance nationale contre les forces polonaises occupant Moscou.

Monument dédié aux succès d'un marchand

L'un des marchands locaux les plus importants était Nadeïa (anciennement connu sous le nom d'Épiphane) Svetechnikov (environ 1580-1646), qui a bénéficié de l'expansion commerciale de la Russie à la fin du XVIe siècle. Sa richesse provenait du commerce des fourrures de Sibérie et du raffinage du sel le long de la moyenne Volga.

Église Saint-Nicolas Nadeïn. Galerie ouest, fresques au plafond. Fragments de la « bataille de Jéricho » (allégorie des victoires des Russes en 1612-1613).

En 1611-1612, lui et d'autres marchands de Iaroslavl ont fourni un soutien matériel important à l'armée populaire menée par le prince Dmitri Pojarski et Kouzma Minine. À l'automne 1612, cette armée a obtenu une victoire décisive sur les forces polonaises, qui occupaient Moscou afin de soutenir un Polonais prétendant au trône de la grande-principauté.

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L'expulsion de Moscou des forces polonaises et lituaniennes de la République des Deux Nations a ouvert la voie à la fondation de la dynastie Romanov l'année suivante. La participation des marchands de Iaroslavl à cette campagne de renouveau national leur a octroyé des privilèges commerciaux considérables sous le règne de Michel Ier, fondateur et premier tsar de la dynastie Romanov ; l'un des premiers bénéficiaires en a alors été Nadeïa Svetechnikov.

Église Saint-Nicolas Nadeïn. Galerie ouest, mur nord Fresques du milieu du XVIIe siècle représentant Adam et Ève lors de l'Expulsion du Paradis.

Au XVIIe siècle, grâce à sa grande richesse, ce dernier a inauguré la pratique de soutien des marchands à la construction d'églises paroissiales dans les quartiers de Iaroslavl. Au cours de cette période, 44 églises en bois ont été érigées dans les 35 paroisses de la région. Seule Moscou pouvait rivaliser avec Iaroslavl en matière de concentration de nouveaux lieux de culte, financés par un ensemble de riches commerçants, de régions locales et d'associations commerciales.

Le premier de ces sanctuaires a été l'église qui porte le prénom de Svetechnikov, l'église de Saint-Nicolas Nadeïn, dont la construction a commencé en 1620, et qui fut consacrée en 1622. Construite près de la haute rive droite de la Volga, à la limite orientale de l'ancienne ville, l'église de Saint-Nicolas Nadeïn avait à l'origine cinq coupoles, dans un design caractéristique de l'architecture des églises russes du milieu du XVIe siècle. 

Église Saint-Nicolas Nadeïn. Iconostase.

À l'été 1910, Prokoudine-Gorski a photographié l'église Saint-Nicolas Nadeïn en détails. Le négatif résultant des trois expositions sur plaque de verre original de cette église est absent de la collection de Prokoudine-Gorski conservée à la bibliothèque du Congrès américain, mais une image monochrome tirée de son album d'épreuves de contact nous donne des informations sur l'état prérévolutionnaire de l’édifice. Mes photographies de l'église couvrent une période de trois décennies, de 1987 à 2017.

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Les éléments distinctifs du bâtiment incluent notamment des dômes revêtus de carreaux de céramique vernissée. Un clocher ancrait le coin nord-ouest de la structure principale, qui était élevée sur une base en arcades. Ce rez-de-chaussée servait de crypte funéraire pour la famille de Svetechnikov ainsi que d'entrepôt pour ses marchandises commerciales de valeur.

Église Saint-Nicolas NadeïnIconostase, portes royales (entrée vers l'autel).

Dans un geste typique des marchands donateurs, Svetechnikov y a inclus une chapelle à l'usage exclusif de sa famille. Dédiée à l'Annonciation, elle était rattachée au coin nord-est de la structure principale.

Modifications et améliorations

Les modifications apportées à l'église durant le siècle suivant incluent le démantèlement des quatre coupoles secondaires et le nivellement du toit. Le clocher d'angle a été agrandi dans les années 1690 avec un étage octogonal supplémentaire et un haut toit en forme de chatior, devenu ensuite la caractéristique visuelle principale de l'église. Peu après, une petite chapelle dédiée à saint Alexandre de Svir a été attachée à la façade sud de la construction.

Église Saint-Nicolas Nadeïn. Dôme et passage central (à gauche) ; allée centrale, travée ouest. Fresques du XVIIe siècle « rafraîchies » à la fin du XIXe siècle.

L'intérieur de l'église fut peint en 1640 par un groupe d'artistes menés par Lioubim Agueïev, un maître peintre de la ville de Kostroma, plus bas sur la Volga. Les nombreux sujets peints ont été classés en cinq niveaux, comportant des épisodes de la vie de saint Nicolas ainsi que des scènes bibliques. À la fin du XIXe siècle, ces fresques ont été « rafraîchies » en accord avec les contours originaux du XVIIe siècle.

Église Saint-Nicolas Nadeïn. Partie supérieure de l'iconostase avec l'icône de la Transfiguration. Au-dessus : croix centrale et dôme (image du Christ Pantocrator abîmée).

La pièce maîtresse de l'intérieur de l'église est une iconostase baroque splendide, installée en 1751. Bien que nous n'ayons pas de preuves que Prokoudine-Gorski ait photographié l'intérieur de l'église Saint-Nicolas, j'ai ajouté une petite sélection de mes photographies pour donner un sens à cet espace vibrant.

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Le premier plan des photos de l'extérieur de l'église prises par Prokoudine-Gorski montre clairement la chapelle de l'icône de la Vierge de Tolga, construite en 1870 au coin sud-ouest. Cette icône était particulièrement vénérée dans la région de Iaroslavl en hommage au monastère voisin de Tolga. Alors que la construction de logements envahissait de plus en plus le territoire de l'église, la chapelle a été démolie au début des années 1930.

Chapelle de l'icône de la Vierge de Tolga (détruite au début des années 30). Arrière-plan : Église Saint-Nicolas Nadeïn.

Malgré toutes ses modifications, l'église de Saint-Nicolas reste un exemple majeur du mécénat des marchands en faveur des arts à Iaroslavl. Malheureusement, le destin de Nadeïa Svetechnikov a pris un tournant radical pour le pire en 1645, avec l'accession au trône du tsar Alexis Ier, qui convoitait ses rentables raffineries de sel. Accusé de mauvais usage d'une propriété d'État, Svetechnikov a été trainé à Moscou en 1646 pour y être interrogé. Âgé de plus de 60 ans, il a succombé à l'humiliation publique et aux châtiments corporels. Il a ensuite été enterré dans la crypte de l'église qu'il a construite.

Avec l'avènement du pouvoir soviétique, l'église Saint-Nicolas a fermé en 1930, et a été transférée au musée historique local, qui l'a préservée de la destruction. Des campagnes de restaurations ont eu lieu régulièrement depuis les années 50, dans le cadre du travail incessant nécessaire pour préserver le plus grand trésor du marchand Nadeïa.

Église Saint-Nicolas Nadeïn. Segment sud-ouest du croisement central avec la figure d'Ananie, évêque de Damas. Fresques repeintes à la fin du XIXe siècle dans le style d'art de Palekh.

Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un processus complexe pour la photographie couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé au travers de l'Empire russe, et a pris plus de 2 000 photographies en utilisant ce processus, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. Il a quitté la Russie en août 1918, et s'est finalement installé en France avec une grande partie de sa collection de négatifs sur plaque de verre, ainsi que 13 albums d'épreuves par contact. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la bibliothèque du Congrès américaine. Cette dernière a digitalisé l’œuvre de Prokoudine-Gorski et l'a mise en libre-accès pour le public au début du XXIe siècle. Un grand nombre de sites internet russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture russe et photographe William Brumfield a organisé la première exposition des photographies de Prokoudine-Gorski à la bibliothèque du Congrès américaine. À partir de 1970, Brumfield, travaillant alors en Russie, a photographié la majorité des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtaposera les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les photographies prises par Brumfield plusieurs décennies plus tard.

Dans cet autre article, nous vous présentions justement les sites touristiques à ne pas manquer dans la ravissante cité de Iaroslavl.

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