Ida Rubenstein à Paris, la déesse inatteignable du Boléro

Culture
MARGAUX D'ADHÉMAR
De novembre à janvier, l’Opéra National de Rostov-sur-le-Don parcourt la France, à laquelle il propose de découvrir un «Boléro» singulier, centré sur la danseuse russe Ida Rubenstein, également mécène et commanditaire du célèbre «Boléro» de Maurice Ravel. Une orchestration magistrale et un ballet hypnotique.

Sur fond de Ravel, l’Opéra National de Russie nous conte les méandres des amours de Walter Guinness, mécène et homme politique britannique, et d’Ida Rubenstein, danseuse et mécène russe. Mais quel lien entre la vie d’Ida Rubenstein et Maurice Ravel ? Il est artistique : il y a exactement 91 ans, le 22 novembre 1928, Ida Rubenstein et Maurice Ravel créent Boléro, une musique de ballet pour orchestre devenue aujourd’hui l’œuvre la plus célèbre du compositeur.

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Ida Rubenstein, danser la mélodie

C’est donc tout naturellement que le théâtre d’État de Rostov-sur-le-Don a entrepris de nouer définitivement ces deux artistes dans un ballet en hommage à Maurice Ravel. Mais ne vous y méprenez pas, le clou du spectacle, c’est Ida Rubenstein.

La femme et toutes ses facettes, symbolisée par Ida Rubenstein, sont en effet au centre de ce ballet. Le sujet du Boléro initial de Ravel était « Dans une auberge espagnole, une gitane danse sur une table, entourée d'hommes » : le décor est posé. Lorsque Maurice Béjart, dans son interprétation du Boléro (une des interprétations les plus célèbres aujourd’hui), place la danseuse au centre d’un cercle et l’entoure de quarante hommes torses nus, c’est bien pour signifier que la femme, symbole de la mélodie, est encerclée par « un rythme mâle qui tout en restant le même, va en augmentant de volume et d'intensité, dévorant l'espace sonore et engloutissant à la fin la mélodie ».

Mais, dans l’interprétation de l’Opéra National de Russie, bien loin de se faire « engloutir », Ida Rubenstein est représentée tantôt en idéal poétique assimilée à la Lune, tantôt en danseuse orientale (rappelant son rôle clef de Shéhérazade dans les Ballets russes de Serge Diaghilev), et, finalement, Ida devient une femme toute-puissance, magnifiée lorsqu’elle se transforme en un terrible oiseau noir. Une scène de clôture qui se veut être un clin d’œil à Loïs Fuller, célèbre chorégraphe de la « danse serpentine » : une danse moderne où de longs voiles attachés aux bras de la danseuse tournoient, donnant l’effet d’être en présence d’un gigantesque papillon ou d’un oiseau majestueux. Ainsi juchée sur une immense table ronde, Ida Rubenstein, métamorphosée en ténébreux oiseau, se trouve glorifiée.

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Entre danse macabre et ballet « musico-sexuel »

« Même si Ravel définissait Boléro comme un crescendo instrumental et feignait de n'y voir qu'un exercice d'orchestration, il est clair que l'entreprise recouvre bien d'autres choses ; qu'il s'agisse de musique, de poésie ou de peinture, on n’irait pas bien loin dans l’analyse des œuvres d’art si l’on s’en tenait à ce que leurs auteurs ont dit ou même cru avoir fait », écrit Claude Lévi-Strauss dans son étude du Boléro de Ravel. Ce refus de Ravel de définir son œuvre musicale qu’il souhaitait « expérimentale » donne donc lieu à de multiples interprétations.

Ravel lui-même qualifiait son boléro de « musico-sexuel », auquel l’Opéra National de Rostov-sur-le-Don fait référence à travers les magnifiques costumes particulièrement sensuels de l’interprète d’Ida Rubenstein, mais aussi par l’un des décors, représentant une vulve cachée entre un dragon et deux ibis.

D’autres, comme le musicologue Serge Gut ou encore l’écrivain Le Clézio, voient dans Boléro une sorte de « danse macabre ». C’est probablement dans cette optique que l’Opéra de Rostov-sur-le-Don a choisi d’intégrer à son ballet la Danse macabre de Camille de Saint-Saëns, prêtant une tonalité funeste, une fatalité à l’amour déchu de Walter Guinness pour Ida Rubenstein.

C’est donc un ballet hétéroclite que nous propose l’Opéra National de Russie, un ballet ou s’entremêlent les différentes compositions de Ravel, de Saint-Saëns, l’Espagne, le romantisme, le Moyen-Orient, l’histoire d’amour entre Walter Guinness et Ida Rubenstein, l’ascension de cette dernière et la danse serpentine de Loïs Fuller. Un mélange explosif et haut en couleurs qui place Ida Rubenstein, icône artistique de la Belle époque et important mécène du XXème siècle, au centre du spectacle. C’est véritablement elle la clef de voûte du spectacle : c’est elle qui lie toute cette composition disparate et c’est elle qui a rendu possible l’existence de Boléro.

Suivez le lien pour découvrir le programme des représentations en France et en Belgique. 

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