Comment la passion du ballet a donné naissance à l'union unique de Béjart et des étoiles russes

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Le chorégraphe Maurice Béjart a, au cours de sa carrière, collaboré avec plusieurs artistes de ballet russes, un partenariat ayant porté ses fruits puisque ses représentations sont parvenues à séduire tant le public soviétique que mondial.

Maurice Béjart

« Danser Béjart », durant plusieurs décennies en URSS cela a été le rêve secret des plus grandes étoiles de ballet russes. Dans les années 50-80, il a en effet été le symbole des changements révolutionnaires survenus dans la danse. C’est, il est vrai, précisément lui qui a radicalement mélangé ballet classique et danses contemporaines et folkloriques, qui a extirpé ses représentations des théâtres d’opéra aristocratiques pour les proposer au sein des stades, et qui a en ces occasions eu recours à des accompagnements musicaux incroyables : de Boulez à Stockhausen, de Brel à Barbara. Béjart et son alter ego dansant Jorge Donn ont été pour les foules de la jeunesse des idoles comparables aux rockstars. Pour le puritain ballet soviétique, c’était impensable, et donc invraisemblablement séduisant.

Maurice Béjart a lui-même fait à plusieurs reprises part de son rêve de collaborer avec des artistes russes. Mais durant l’époque soviétique, ses ballets n’étaient ici pas les bienvenus, considérés trop libres, trop érotiques, trop animaux.

Maïa Plissetskaïa et Maurice Béjart

Mais un beau jour, alors en tournée, Maïa Plissetskaïa a constaté comment la troupe de Béjart, « le Ballet du XXe siècle », dansait son Boléro : « C’était inimaginablement bon. Je suis devenue folle. Je délirais. Le Boléro devait être mien. Puissé-je ne pas être la première. Je deviendrai la première. C’est mon ballet. Le mien ! ». Plissetskaïa n’était pas simplement une étoile. Artiste du peuple de l’URSS, lauréate du prix Lénine, le pouvoir l’utilisait comme figure incarnatrice, proposant invariablement aux présidents et rois des représentations du Lac des cygnes avec sa participation au théâtre Bolchoï. Grâce à cela, elle est parvenue à obtenir l’autorisation de travailler avec Béjart, dans sa troupe. Il a ensuite été décidé d’inclure Le Boléro avec Maïa dans un film franco-belge. En une semaine, Plissetskaïa a donc dû apprendre la chorégraphie, une assimilation qui nécessitait habituellement trois mois. Mais la ballerine était obsédée par ce travail.

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Ne l’a alors pas arrêtée le fait que, tans la musique que dans la chorégraphie, se répétait seize fois et se développait crescendo un même thème. Pour retenir ses différentes composantes, les artistes leur ont donné des noms : « Crabe », « Soleil », « Hongroise », « B.B. », « Chat », « Ventre », non pas pour leur signification, mais pour les mouvements leur étant associés. Néanmoins, apprendre par cœur un tel enchaînement avant le tournage, Plissetskaïa n’y est pas parvenue. Et quand, de désespoir, elle a fait le choix de tout abandonner, c’est Béjart en personne qui est venu à son secours.

« On me demande parfois quel spectacle a été le plus inhabituel de ma vie. Eh bien c’était celui-ci », a-t-elle écrit. Le Boléro à Bruxelles, avec un souffleur caché du public dans un passage lointain, éclairé par-dessous par un faisceau lumineux. Un souffleur qui n’était autre que Béjart. Sautant en plier, je dévorais du regard cette tâche éclairée au fond de la salle, me montrant par des gestes, tel un agent de la circulation routière, les mouvements à effectuer ensuite ».

Le Boléro a posé la première pierre de ce duo artistique qui perdurera de longues années. La dernière œuvre conjointe du chorégraphe et de la ballerine a été le numéro Ave Maïa, dont la première représentation s’est tenue l’occasion du 75ème anniversaire de Plissetskaïa, au théâtre Bolchoï.

À Moscou, Béjart et son légendaire « Ballet du XXe siècle » se sont pour la première fois produits en 1978. Les tournées se sont déroulées principalement grâce à leur résonnance internationale, engendrée par la participation de Plissetskaïa. Mais au Palais des congrès du Kremlin, l’étoile russe n’a participé qu’au troisième spectacle de la troupe, dansant le ballet Isadora, spécialement mis en scène pour elle. La participation à ces tournées d’Ekaterina Maksimova et Vladimir Vassiliev était alors sur toutes les lèvres à Moscou. Pour eux, collaborateurs heureux de l’illustre chorégraphe, le travail avec Béjart a également été un cadeau du destin, pour lequel ils ont cependant dû consentir à de considérables efforts. « La première fois qu’avec Vladimir nous avons vu Béjart c’était en 1961, alors qu’il faisait ses débuts dans la mise en scène, s’est remémorée Maksimova. À Paris nous nous sommes retrouvés à une répétition et avons été absolument frappés ».

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La rencontre avec Béjart dans la salle de répétition s’est toutefois encore fait attendre plus de quinze ans. Inspiré par son succès avec Plissetskaïa, Béjart a proposé à Vassiliev un rôle principal dans le ballet Petrouchka. Dans ce ballet, écrit par Stravinski sur la base du folklore russe, le chorégraphe ne s’est que peu préoccupé du conte russe : son Petrouchka était un homme solitaire et blessé dans un monde contemporain cruel. Vassiliev, de par son ouverture, son charme et son courage, convenait à merveille pour ce rôle. « Je suis allée aux répétitions à Bruxelles simplement pour regarder comment travaillait Béjart, a confié Maksimova. Je me suis assise. Et soudain Béjart a dit : "Qu’est-ce que tu fais assise ? Danse quelque chose pour le concert. Par exemple l’adagio de Roméo et Juliette avec Jorge Donn" ». Il restait trois jours avant la représentation, mais Maksimova a appris ce duo de 18 minutes et y a eu un immense succès, qu’elle a réitéré en montant sur scène pour le ballet entier à Moscou.

La seconde tournée de Béjart en URSS est elle aussi devenue légendaire. C’était en 1987, commençait alors la pérestroïka. Toujours est-il que la troupe (il s’avèrera qu’il s’agissait de la dernière tournée du Ballet du XXe siècle, car à son retour de l’Union soviétique il sera dissout et Béjart fondera une nouvelle compagnie à Lausanne) n’a pas été autorisée à se produire à Moscou, et a pu conquérir uniquement la scène de Leningrad. Béjart y a principalement présenté des ballets récents, qui y ont fait sensation.

Au dernier moment est apparue l’idée de produire un documentaire portant sur les tournées du Ballet du XXe siècle à Leningrad, qui s’est rapidement transformé en film au sujet des représentations conjointes des artistes de Béjart et des danseurs de ballet du théâtre Kirov (l’actuel théâtre Mariinski). Durant dix journées de juin, le tournage s’est ainsi déroulé tant sur la plateforme spécialement érigée pour eux au Jardin d’été, qu’aux musées-résidences de banlieue ou encore dans l’un des pavillons de la télévision de Leningrad. Les locaux ont alors pour la première fois dansé librement les numéros de Béjart appris en quelques jours, tandis que ses artistes ont pu interpréter de classiques pas de deux russes, presque sous les yeux du public, qui a également pris part au tournage. Ont par conséquent été formés des duos internationaux, le tout, s’achevant sur l’interprétation du Soldat amoureux, réunissant les deux troupes.

Ce film demeure l’un des plus populaires disques de ballet, connus par cœur par les amateurs russes de cet art.

En suivant ce lien, retrouvez notre projet spécial entièrement dédié à Maïa Plissetskaïa, légende du ballet russe.

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