Des symptômes évidents de franco-mélomanie
Je me rappelle encore comme, lors de mon premier voyage en Russie, dans une marchroutka (minibus typique) de la ville de Toula, a retenti une sonnerie de téléphone qui n’était autre que la voix de la légendaire Édith Piaf. Ou encore lorsque, alors que je contemplais récemment les alentours de la place principale de Khanty-Mansiïsk, en Sibérie, les haut-parleurs d’un restaurant voisin ont entonné l’un des tubes de Stromae. Mais aussi mes colocataires kazakhs qui, un dimanche matin, ont augmenté le volume de la radio sur le hit de Desireless Voyage, voyage. Sans oublier cet album de Lara Fabian situé en tête de gondole d’une enseigne locale, dans la ville industrielle de Lipetsk, ainsi que ce jeune passager qui, tandis que je somnolais dans un train de nuit en direction du Grand Nord russe, m'a tiré de ma torpeur par une si agréable mélodie, s'échappant de ses écouteurs et signée Maître Gims.
Les affiches placardées ici et là dans les rues sont également révélatrices et je me souviens y avoir aperçu les visages de Garou, d’Aznavour, de Zaz, de Patricia Kaas, et bien entendu, de l’incontournable Mireille Mathieu.
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Chantons sous la neige
Désirant en savoir plus sur les connaissances franco-musicales des Russes, rien ne me semble plus opportun qu’un sondage orchestré directement dans les rues de Moscou. Interpelant les passants sous des cieux enneigés et leur demandant de me citer le nom des artistes francophones qui leur passent par la tête, me voici par conséquent à entendre de familiers patronymes et pseudonymes, de Brassens à Gainsbourg, de Farmer à Piaf.
Tandis que certains, il est vrai, notamment chez la jeune génération, avouent ne pas être en mesure d’en mentionner, d’autres iront jusqu’à fredonner quelques mélodies, à l’instar d’Evgueni, employé municipal tout d’orange vêtu.
Si plusieurs d’entre eux affirment connaître ces artistes depuis l’époque soviétique, d’autres, plus jeunes, s’appuient sur les nouvelles technologies et Internet pour élargir leurs horizons musicaux. C’est le cas notamment d’Ekaterina et de Dmitri, la vingtaine, qui m’inondent d’exemples : Sexy Sushi, La Femme, Mylène Farmer, le duo Paradis, Céline Dion (évoquée toutefois comme « Céline Dior »), Mr. Oizo, Juniore, Pomme, Charles Aznavour ainsi que Damso.
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La Russie, une terre conquise
S’il est une voix retentissant chaque année dans la capitale russe, c’est indéniablement celle de Mireille Mathieu. Véritable star au pays des tsars, en 2010, elle a notamment reçu des mains de Dmitri Medvedev, alors président de la Fédération, la prestigieuse médaille de l'Ordre et de l'Amitié. Elle est par ailleurs depuis plus d’une décennie la vedette du Festival international musical et militaire Tour Saint-Sauveur (Spasskaïa), se déroulant sur la place Rouge, à l’occasion duquel elle endosse même la lourde tâche d’interpréter l’hymne national russe.
De son côté, Patricia Kaas s’impose comme une véritable icone en Russie. Son timbre inégalable et son style bien à elle ont depuis longtemps conquis les foules moscovites, mais pas que, puisque fin 2017 encore elle effectuait une tournée dans pas moins de 12 villes du pays, devant des milliers de fans. Elle a par ailleurs été durant plusieurs années l’égérie de la plus grande marque nationale de cosmétiques. Kaas s’est en outre elle aussi à maintes reprises produite au Kremlin de Moscou, où elle a notamment pu interpréter son titre Mnié nravitsia (« J’aime », en russe).
Autre talentueuse vocaliste francophone, Lara Fabian doit son prénom à l’amour que vouaient ses parents pour la littérature russe et notamment pour Le Docteur Jivago de Boris Pasternak. Ce n’est ainsi pas une surprise si, en collaboration avec le compositeur et producteur musical Igor Kroutoï, est né son album Mademoiselle Zhivago, comptant plusieurs morceaux dans la langue de Pouchkine. Performeuse adulée par les Russes, elle se rend régulièrement dans le pays où ses concerts font salle comble.
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D'autres artistes encore sont parvenus à se faire une place sur les scènes de Russie, notamment grâce au succès retentissant de la comédie musicale Notre-Dame de Paris, au début des années 2000. Ainsi, Garou, Hélène Segara, Patrick Fiori ou encore Bruno Pelletier ont à leur tour vu leur nom être à l'affiche dans le pays.
Si elle se fait plus discrète, la nouvelle vague d’artistes francophones n’est pour autant pas absente des salles de concert russes. Zaz, par exemple, y compte à son actif une pléiade de représentations et foulait il y a peu encore, en décembre 2018, les pavés de la place Rouge, pour y revenir dès février prochain. Le Belge Stromae figure également parmi les artistes en vogue auprès du public russe.
Ainsi, si de grands noms de la chanson francophone sont parvenus, bénéficiant d’une aura planétaire, jusqu’aux oreilles de la population russe, d’autres, relégués au second plan dans leur pays d’origine, y ont trouvé un public fidèle et y jouissent encore d’une popularité considérable, loin des projecteurs parisiens.
Propulsées sur la scène internationale, les deux membres du groupe russe Tatu ont connu au début des années 2000 un succès fulgurant. Que sont-elles devenues depuis ? Nous vous l’expliquons dans cet autre article.