Le salon du livre Russkaya Literatura a ouvert ses portes le 7 octobre au Centre spirituel et culturel russe du quai Branly pour trois jours d'échanges et rencontres autour de la littérature russe et sur la Russie. Le thème central de cette troisième édition est le centenaire de la Révolution d’octobre 1917, un événement qui a marqué l’histoire du vingtième siècle.
Plus de soixante auteurs, éditeurs, personnages publics, critiques littéraires, journalistes, chercheurs et collectionneurs russes et français participent aux rencontres, débats, expositions, projections et séances de dédicaces.
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« En voyant autant de gens à l’ouverture de ce salon, je regarde l’avenir avec l’optimisme, parce que nos craintes concernant la disparition des livres imprimés à cause des gadgets numériques, ne se réalisent pas, apparemment », s’est réjoui le ministre russe des Communications Mikhaïl Seslavinski qui a inauguré le salon le vendredi soir.
Il a indiqué que le bilan du premier semestre 2017 montre une augmentation de 20% de l’édition de livres en Russie par rapport à la même période de l’année précédente, « ce qui veut dire que les consommateurs votent pour le livre traditionnel, en papier ».
Les thèmes des tables-rondes qui font partie du programme de trois jours et le thème du salon en général sont déterminés pour chaque édition en fonction des livres qui sortent durant l’année qui s’écoule.
« Nous avons réuni pour chacune des tables rondes des spécialistes qui sont censés approfondir et enrichir le discours autour du thème posé », explique Irina Rekchan, présidente du salon Russkaya Literatura.
« Si on regarde l’ensemble de ces livres, ils englobent toutes les problématiques majeures du phénomène de la Révolution bolchevique en Russie », ajoute-t-elle.
Ainsi la première table ronde a permis d'évoquer le thème La femme et la Révolution. « Nous, les femmes russes nées en Union soviétique, ne nous rendions même pas compte que la Révolution a donné aux femmes en Russie des libertés et droits auxquels les femmes en Occident ont eu accès des décennies plus tard, comme, par exemple, le droit d’avoir un compte en banque ou de voter aux élections », a indiqué Irina Rekchan.
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Pour animer la table ronde sur ce sujet, les organisateurs ont invité l'écrivain Maureen Demidoff qui a consacré son livre La Tête et le cou, Histoire de femmes russes aux femmes russes, la directrice du Centre des arts modernes Sergueï Kouriokhine Anastassia Kouriokhina, une femme indépendante, à succès et très représentative de la femme russe moderne, ainsi que la présidente de l’Association Femmes-Monde, Annie Richard, auteur de nombreux livres sur l’exploration du féminin.
Dans le cadre de la table ronde Art et Révolution, le public pourra rencontrer le collectionneur Alain Gesgon, qui possède la plus belle collection privée d'affiches de propagande politique en France (Ocna Rosta, Demi Moor, Viktor Deni ), Nicolas Liucci-Goutnikov, conservateur de l’exposition Kollektsia ! au Centre Pompidou ainsi que l’écrivain et spécialiste d’histoire culturelle Catherine Bertho, auteur du livre Révolution, 100 ans d’octobre rouge. Cet ouvrage est un voyage au cœur du pays aujourd’hui disparu. Véritable patchwork visuel, il illustre toutes les dimensions de ce que fut le style soviétique : l’architecture constructiviste, les affiches de propagande, la mode féminine des années 1960, la conquête de la Sibérie. Les commentaires, rigoureusement documentés, replacent les images dans leur contexte, donnant naissance à un récit historique passionnant et inédit.
Une autre table ronde importante, intitulée 100 ans plus tard, un nouveau regard sur la révolution de 1917, sera animée par Andreï Gratchev, ancien conseiller politique et porte-parole de Mikhaïl Gorbatchev, Marc Ferro, célèbre historien, spécialiste de l’histoire russe et Alexandre Jevakhoff, écrivain, auteur de nombreux et brillants ouvrages sur la Russie d’antan. Cette table ronde est modérée par le journaliste Michel Lefebvre, responsable des hors-séries au journal Le Monde.
Une table ronde qui complète logiquement la thématique autour de 1917 porte sur la guerre civile russe et les émigrés de la Révolution. Alexandre Jevakhoff, descendant d'émigrés russes lui-même, présentera son livre La guerre civile russe (1917-1922) et l’historienne Sophiе Hasquenoph, auteur de l’ouvrage "Les Français de Moscou face à la révolution russe" parlera de ses recherches sur la colonie française à Moscou au début du XXe siècle et sa tragédie due aux événements révolutionnaires.
Beaucoup d’autres rencontres et présentations d’ouvrages sont programmées pour les 7 et 8 octobre afin de donner place au débat transdisciplinaire, proposant une lecture du présent sous le prisme du passé.
« Les auteurs français en général examinent la Révolution russe comme un maillon dans la suite des autres événements historiques, tandis que pour la plupart des auteurs russes, c’est une période dans l’histoire, qui saigne comme une plaie incurable, ils essaient de creuser pour trouver les réponses aux questions +pour quelle raison ?+ et +comment tout cela a pu arriver ?+ », résume Irina Rekchan.
En répondant à la question « Que reste-t-il de la révolution de 1917 ? » l’écrivain et publiciste russe Guermann Sadoulaïev a remarqué qu'aujourd'hui, lorsqu’on célèbre ces événements centenaires, tout le monde parle de la guerre, de la ruine, du désordre et de la faim, de la terreur rouge et blanche. Mais selon lui, il y avait aussi quelque chose d’autre.
« Il y avait de surhumain, qui donnait naissance à la prose d'Andreï Platonov, à toute l'avant-garde soviétique, et qui a même réalisé les idées du cosmisme russe, estime-t-il. La révolution de 1917 est notre Prise de la Bastille, la prison du temps gelé, notre voyage au ciel et, par conséquent, la naissance de notre civilisation, prédite par la littérature russe, qui est devenue elle-même une sage-femme lors de l’accouchement et par la suite - l’éducatrice de l'enfance fatidique du pays. Et quand le nouveau siècle a disloqué nos avant-bras et fait de notre peuple un retraité handicapé, qui, sinon elle, la littérature russe, est restée au chevet du patient, lui chantant des chansons et racontant des contes doux ».