Le sort des Français de Moscou piégés par la Révolution

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Après Napoléon en 1812, la révolution bolchevique lamine, une seconde fois, la colonie française de Moscou. Le livre de Sophie Hasquenoph Les Français de Moscou face à la révolution russe (1900-1920) raconte la tragédie de ces familles d’entrepreneurs prospères, industriels et gros négociants français face au tourbillon destructeur de la révolution.

Au mois de juillet 1904, deux religieux jésuites en route vers la Sibérie et en transit à Moscou témoignent de leur première impression. « Moscou, c’est d’après notre guide, un immense village ; et c’est vrai. On monte, on descend, on tourne, on se heurte à des culs-de-sac sans nom, à des magasins immenses, dernier style, brillants et luxueux, à des étalages de fripiers, à des mares, à des rues défoncées pour mettre sous terre les téléphones qui étaient en l’air », rapporte l’historienne Sophie Hasquenoph leurs propos pour le public moderne dans son livre Les Français de Moscou face à la révolution russe(1900-1920).

C’est dans une Moscou répondant à cette image que la révolution a pris par surprise la communauté française en 1917. Puisant dans de nombreuses sources jamais étudiées jusqu’alors, le livre de l'historienne française fait la lumière sur un aspect méconnu des événements de l’époque, celui du sort de la communauté française moscovite prise dans le tourbillon révolutionnaire.

À l’aube du XXe siècle, la communauté française, décimée par la campagne napoléonienne de 1812, se reconstitue peu à peu. En 1900, la Russie est un pays en pleine croissance qui s’ouvre à la modernité, multiplie les échanges internationaux, économiques et financiers, scientifiques et culturels. Cette seconde communauté est foncièrement dynamique : elle investit, s’enrichit et s’enracine sur plusieurs générations. Elle vit une brillante histoire avant d’être emportée par la vague révolutionnaire.

Des sources inédites sur les Français de Moscou à l’aube du XXe siècle

Pour reconstituer le contexte de la vie des Français à Moscou à cette période, Sophie Hasquenoph s’appuie sur des sources françaises encore mal exploitées – les sources religieuses, notamment les archives privées inédites de l’église Saint-Louis-des Français, point de chute et de rassemblement de la colonie française de Moscou depuis 1789.

Cette église, rebâtie en 1835, est toujours debout et possède des archives sur la vie de la paroisse et des structures qui en dépendent : école française, asile, immeubles de rapport. L’auteur a découvert dans les sous-sols de l’église des cartons remplis de documents : des lettres, des bulletins paroissiaux, des comptes, des registres sur les écoles français et d’autres papiers témoignant de l’importance de la communauté.

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D’autres sources exploitées par l’auteur, parmi lesquelles se trouvent les archives des religieuses de Saint-Joseph de Chambéry, sœurs missionnaires installées à Saint-Pétersbourg et Moscou depuis la fin du XIXe siècle et ayant en charge les soins hospitaliers et scolaires des Français, fournissent un supplément d’information très précieux sur les familles françaises. Comme, par exemple, un cahier tenu par la mère supérieure A.Dejay, qui contient l’histoire de l’école de filles Saint-Catherine entre 1889 et 1917.

Les sources religieuses sont complétées par la littérature de voyage (guides touristiques, récits), documents diplomatiques et journaux, les archives d’entreprises et les souvenirs de familles comme celle du banquier Jean Morin, travaillant pour l’agence moscovite du Crédit Lyonnais ou de l’ingénieur Emile Germinet, employé par Gnome et Rhône (devenu Snecma) à la veille de la guerre 1914-1918.

Une vie confortable qui bascule dans le chaos

Avant 1905, les Français, investis massivement dans les affaires, fréquentaient une paroisse catholique dynamique et généreuse, créant des infrastructures francophones utile et modernes, et menaient une vie très confortable à Moscou. C’était une communauté très aisée à la veille de la révolution, comme le témoigne le banquier Jean Morin, « certainement la plus riche des colonies françaises ». « À Moscou les Français gagnaient largement leur vie », déclare-t-il, cité dans le livre de Sophie Hasquenoph.

À partir de 1905 commence une période moins favorable, pour s’achever par l’épreuve de la Révolution de 1917. La communauté française de Moscou bascule progressivement d’un extrême à l’autre, sans toujours bien se rendre compte que l’Ancien régime tsariste est mourant et qu’il les entraîne dans sa perte. Les Français de Moscou face à la révolution russe (1900-1920), c’est l’histoire d’un second échec pour une communauté française qui avait tout pour perdurer.

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