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Lorsqu'il étudie le russe, un étranger se heurte à de nombreuses difficultés. L'une d'elles est le cyrillique, l'alphabet russe. Il comporte plus de lettres que l'alphabet latin et elles ont un aspect très différent.
En outre, il y a deux lettres qui ne sont pas prononcées : « Ъ » et « Ь », respectivement appelées signes dur et mou. Elles ne se trouvent jamais en début de mot (tout comme la lettre « Ы » (« Y »)), et ont seulement une fonction « technique » – elles indiquent comment prononcer la consonne précédente. Analysons aujourd’hui le cas du signe dur.
Une du premier numéro du journal Kommersant, daté du 23 juillet 1909
Bibliothèque nationale de Russie (CC BY-SA 4.0)Étonnamment, si un Russe lit la phrase « Comment l’écrit "Ъ" », il n'y aura pas de malentendu. En effet, le signe dur est tout simplement le logo très reconnaissable de la maison d’édition Kommersant, dont le nom, en russe, a d’ailleurs été enjolivé de cette lettre en terminaison.
Ainsi, si vous tapez « Ъ » sur Internet, la première ligne ne sera pas une référence linguistique ou un dictionnaire, mais une référence à cette célèbre institution, qui gère un journal économique, plusieurs magazines et une station de radio.
Le rédacteur en chef du département de la culture du journal, Sergueï Khodnev, affirme n’avoir jamais vu dans la pratique mondiale une autre publication de ce type, qui ne serait reconnaissable que par une lettre. Des abréviations – oui, mais pas une lettre, qui ne se prononce même pas !
Le mot « kommersant » en russe n'est pourtant en temps normal pas orthographié avec un signe dur à la fin. D'où vient donc cet ornement accolé au nom de cette publication ?
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On peut ici voir sur les devantures et enseignes une multitude de mots se finissant par le signe dur.
SputnikAvant la Révolution de 1917, cette lettre s'appelait « Ier » (« Еръ » en russe) et on l’utilisait notamment à la fin du mot après une consonne. Le plus souvent, elle indiquait l'appartenance d'un nom commun, d'un verbe ou même d'un nom de famille au genre masculin : « Санктъ-Петербургъ » (« Saint-Pétersbourg »), « я понялъ » (« j’ai compris », au masculin) ou encore « Д. Свифтъ » (« D. Swift ») avaient ainsi tous un signe dur en terminaison. Sur les enseignes des échoppes l’on apercevait souvent le nom des marchands ou du magasin, tels que « Граммофоны А.Бухардъ » (« Gramophones A. Boukhard »), « Салонъ » (« Salon »), tandis que le signe dur se rencontrait également dans la presse : « журналъ » (« revue »), « альманахъ » (« almanach »).
Après la Révolution, une réforme orthographique a néanmoins été initiée et la lettre « Ier » à la fin des mots a été supprimée. Cela a permis d'éliminer beaucoup plus facilement l'analphabétisme et de gagner environ 4% d'espace dans les textes imprimés.
« À la fin des années 1980, les pères fondateurs de Kommersant ont trouvé qu'il était psychologiquement important de construire un pont entre la réalité reconstruite de la Russie post-soviétique et celle d’avant la Révolution », déclare Sergueï Khodnev à Russia Beyond. Un moyen d’oublier l'expérience soviétique et l'économie planifiée, et en même temps de nous rappeler le commerce qui existait avant la Révolution. D'ailleurs, un journal appelé Kommersant existait réellement avant 1917 et traitait aussi des questions commerciales.
Couverture de la "Revue des Dames"
Piotr Chalinov/Typographie universitaire, 1823-1827L'orthographe prérévolutionnaire a également été au goût des créateurs de la chaîne de magasins Miasnov (« МясновЪ » en russe). On peut aisément imaginer une boucherie portant ce nom dans les galeries commerciales prérévolutionnaires, et cet exemple n'est pas le seul aujourd'hui.
L'ajout du signe dur à la fin d’un nom porte une référence sémantique au capitalisme tsariste, et donc au bon service et à la lutte pour son client. Après tout, dans un contexte de pénurie, il n'y avait pratiquement pas de concurrence entre les magasins soviétiques.
Un article du journal Kommersant, lu sur tablette
SputnikToutefois, en plus de servir d’enjolivure à la fin d’un nom, un signe dur a toujours eu une autre fonction : celui de séparateur de lettres. Le « Ъ » était en effet placé entre le préfixe et la racine, si le préfixe se terminait par une consonne et la racine par une voyelle. Par exemple, avant la Révolution, les mots « сэкономить » (« économiser ») et « двухаршинный » (« de deux archines », l’archine étant une ancienne unité de mesure russe) étaient écrits « съэкономить » et « двухъаршинный ».
Après la Révolution, l’on a également voulu supprimer cette fonction et utiliser une apostrophe comme séparateur (par exemple, écrire « об’езд » (« détour ») et « об’явление » (« annonce »), au lieu de « объезд » et « объявление »), un système qui n'a cependant pas pris racine.
De nos jours, « Ъ » est toujours placée entre la racine et le préfixe, mais seulement lorsque la racine commence par l’une des quatre voyelles suivantes : « Е » (« IÉ »), « Ё » (« IO »), « Ю » (« IOU ») et « Я » (« IA »). Le fait est que selon ce qui se trouve devant ces lettres, elles sont prononcées avec ou sans le son « I » au début. Par exemple, le mot « подъезд » (« entrée d’immeuble ») sans signe dur se lirait « podezd », mais grâce à cette lettre, nous comprenons clairement que nous devons prononcer « podiezd ».
En suivant ce lien, retrouvez un quiz concernant l’autre signe de l’alphabet russe, le signe mou.
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