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Au début du XXe siècle, le photographe et inventeur Sergueï Prokoudine-Gorski a élaboré un processus complexe de photographie en couleur. Désireux d‘utiliser cette nouvelle méthode pour rendre compte de la diversité de l‘Empire russe, il a photographié de nombreux sites historiques durant la décennie précédente à l’abdication de Nicolas II en 1917.
Au cours de son voyage au nord de la Volga en été 1910, Prokoudine-Gorski a photographié l’ancienne ville de Torjok, située à 55 km à l’ouest de la capitale régionale de Tver.
Citée dans les sources écrites en 1138, mais existant bien avant, Torjok a prospéré en tant que centre de commerce situé sur la rivière Tvertsa, juste au-dessus de sa jonction avec la Volga (son nom vient d’ailleurs de « torg », « marché » en russe).
Parmi les nombreux monuments architecturaux de la ville, celui qui se démarque particulièrement est l’église de la Mère-de-Dieu-de-Tikhvine, située non loin, en aval, du monastère des Saints-Boris-et-Gleb. Bien que la date de construction soit sujette à débats, l’une des versions avance qu’une église en bois a été construite sur le site dans les années 1650, puis reconstruite dans sa forme actuelle en 1717.
Prokoudine-Gorski était évidemment intrigué par cette imposante construction en rondins qui s’élève à 38 mètres de haut en trois tiers octogonaux au-dessus d’une structure de base se tenant sur une fondation en pierre des champs. En grande partie, l’église de Tikhvine est constituée de rondins de pin assemblés par des entailles au bout. Les rondins de l’abside ont été rendus carrés et placés dans un assemblage de queue d’aronde plus serré. La tour est couronnée d’une seule large coupole.
Épargnée par le temps
Heureusement, d’autres exemples de ces églises à plusieurs étages sont encore debout au cœur de la Russie. L’une des mieux préservées est dans la vieille et pittoresque ville de Souzdal, située à 400 km de Torjok. Sans lignes de chemins de fer, desservie par de pauvres routes de campagne, la ville bucolique de Souzdal et ses nombreux anciens monastères et églises ont existé en tant que sorte de capsule temporelle jusque dans les années 1960.
Pendant les années 1960, il a été décidé d’un plan qui convertirait cet environnement unique en une réserve nationale et un aimant du tourisme culturel. En 1967, Souzdal a été officiellement désignée par l’État soviétique site de patrimoine historique.
Un élément important du plan était la création d’un groupe de structures en bois importées de villages des alentours de Souzdal. Ce concept a été développé et supervisé par Valeri Anissimov, un spécialiste en préservation architecturale. Malgré des décennies de négligence, des exemples représentatifs de l’architecture en bois traditionnelle existaient encore dans les régions voisines. Le plan visait à les sauver par le biais de la création d’un musée en plein-air.
Le musée d’architecture en bois de Souzdal repose sur les terres autrefois occupées par le monastère des grottes de Saint-Dimitri (Saint Démétrios de Thessalonique), fondé à la fin du XIe siècle par des moines de la Laure des Grottes de Kiev. Le monastère a fermé ses portes en 1764, durant la sécularisation des monastères et la réorganisation du système monastique commencée par Catherine II. Bien qu’historiquement précieuses, le reste des églises paroissiales ont été détruites dans les années 1930.
L’héritage architectural au parc-musée de Souzdal s‘étend sur une montée à travers la petite rivière Kamenka entre l’ancienne cathédrale de la Nativité et la Cour Épiscopale. Elle contient deux églises, une variété de maisons en bois, des granges et des moulins à vent. Une troisième église se tient dans l’ombre de la cathédrale de la Nativité.
Pièce de résistance
La structure la plus imposante du musée de plein air est l’église de la Transfiguration, construite en rondins de pin en 1756 à Kozliatevo, un village autrefois situé dans ce qui est aujourd’hui le district de Koltchouguino, dans la région de Vladimir. En 1965, ce trésor monumental a été démonté et transporté au musée de Souzdal.
La forme impressionnante de la tour de l’église de la Transfiguration consiste en trois tiers octogonaux ascendants au-dessus d’une large base rectangulaire cruciforme. L’un des aspects remarquables de cette église est son utilisation de la structure dans la création d’un schéma décoratif complexe. Les toits du vestibule et de la structure en-dessous sont surmontés par des pignons en « baril », qui forment les « bras » de la croix et les points cardinaux. Deux pignons supplémentaires couronnent l’abside sur le côté, pour un total de six.
Les pignons en baril nord et sud du toit principal supportent de délicates coupoles vêtues de bardeaux de tremble. Chaque coupole est surmontée d’une croix en bois. Les toits du tiers d’au-dessus ont leur propres petits pignons, et la tour se termine par une coupole en bois culminant en une croix étirée.
Le côté est de l’église est le plus complexe et contient non seulement l’autel principal au centre, mais aussi deux espaces dédiés aux sacrements et habits des clergés (connus comme le prothèse et le diakonikon). De l’autre côté de l’église, se dresse un vestibule et une entrée s’étendant vers l’ouest de la structure de base.
Cette apparence distinctive de l’église de la Transfiguration dérive de la forme de ses murs, qui sont construits avec des rondins carrés placés dans un assemblage de queue d’aronde plus serré (d’habitude, les rondins sont laissés dans leur forme ronde originelle et sont joints à l’aide d’entailles). Il est possible que cette pratique de construction ait dû être utilisée afin de supporter l’audacieux design vertical de la tour. Chaque aspect de cette structure à plusieurs étages combine le fonctionnel avec l’esthétique.
À l’intérieur, l’église a une iconostase blanche néoclassique avec plusieurs icônes arrivées à nos jours. L’iconostase s’élève au premier tiers octogonal de la tour et se termine avec une sculpture du Christ Glorieux. Une autre caractéristique peu commune sont les surfaces nues des rondins du tiers octogonal, qui sont ornés de grandes représentations des saints, faites avec de la peinture à huile dans un style naïf.
Transfiguration et Résurrection
À quelques pas de l’église de la Transfiguration, se trouve celle de la Résurrection venue du village de Patakino (en banlieue de Kamechkovo). Cette structure rustique a été construite en 1776 et servait comme chapelle de cimetière. Dans les années 1969-1970, l’église a été démontée, transportée jusqu’au site du musée, puis rebâtie.
Même si réalisée dans un style plus simple que la tour de l’église de la Transfiguration, l’église de Patakino possède une esthétique visuelle à part. La structure principale de l’église de la Résurrection s’élève depuis un cube jusqu’à un sommet octogonal, supportant un toit incliné avec une petite coupole et une croix. Sur le côté est, il y a une abside prolongée (contenant l’autel) avec des sculptures ornementales au sommet du toit.
Sur son côté ouest, l’église de la Résurrection a un vestibule qui se termine par un clocher au-dessus de l’entrée principale. Cette disposition linéaire d’éléments était typique des églises paroissiales en brique aux XVIIe et XVIIIe siècles. Comme l’église de Kozliatevo, les murs de ce lieu de culte ont été construits de rondins carrés placés dans un assemblage de queue d’aronde. L’intérieur dévoile une iconostase préservée et reste occasionnellement utilisé par les pratiquants.
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Ajouts et Nouveautés
Autour des deux églises, l’on trouve une petite collection de maisons en bois (izba) réassemblées au musée. En pratique soviétique classique, les maisons ont été définies par la strate sociale des paysans qui y habitaient. Elles incluaient : une maison à un étage du XIXe siècle avec des planches sculptées et une chambre mansardée du village d’Ilkino (district de Melenki). Adjacent à l’izba, se trouve un portail en bois qui s’ouvre sur une cour intérieure avec granges et autres structures.
La maison à deux étages au toit pentu est considérablement plus grande. Elle vient du village de Log (district de Viazanki). Bien que les fenêtres aient de simples volets, le toit et les planches sont soigneusement sculptés. Il y a aussi un portail, suivi d’une cour. L’intérieur de la maison reconstitue un espace de vie.
Plus spacieuse encore est la maison de la fin du XIXe siècle avec un toit en fer et une mezzanine du village de Tyntsi (district de Kamechkovo). Cette maison montre certains éléments urbains dans son design. Il y a une dispersion de petites huttes de deux-pièces de taille modeste.
L’une des acquisitions les plus récentes du musée est la maison de la famille du marchand Agapov. Construite à la fin du XIXe siècle, elle est restée sur son site original et a été incorporée au territoire du musée. Le rez-de-chaussée en briques contenait une forge, et dispose maintenant d’outils et d’artisanats de forgerie. L’étage en bois d’au-dessus, qui servait d’espace de vie à la famille, présente maintenant un intérieur typique de maison de marchand.
En hauteur, au bout du parc, il y a deux moulins à vent en bois de pin robuste du village de Mochok (district de Soudogda). Le haut de chaque moulin tourne pour attraper le vent dominant, afin de faire fonctionner le complexe mécanisme de broyage. Ce genre de moulins à vent appartenait aux paysans les plus prospères.
Préserver les traditions
Le chemin retour depuis le musée jusqu’au Kremlin de Souzdal croise la rivière Kamenka près d’une rangée de granges de stockage élevées sur des « pattes de poules ». Ce genre de structures permettaient un accès facile à la rivière et en même temps protégeaient les stocks des inondations de printemps annuelles. La pratique traditionnelle a été attestée par la découverte archéologique de pilotis datant du XVIIe siècle.
La troisième église en bois du musée en plein-air de Souzdal est située dans l’ombre de la grande cathédrale de la Nativité. Dédiée à Saint Nicolas, la petite église au toit aigu a été construite en 1766 au village de Glotovo près de Iouriev-Polski. En 1960, elle a été transportée à Souzdal comme premier exemple d’architecture en bois traditionnelle au complexe du musée.
L’architecture en bois traditionnelle existe à Souzdal à ce jour ; c’est notamment visible sur les maisons en bois bien préservées de la ville ornées de chambranles de fenêtres décorés. Ces maisons montrent souvent des similarités avec leurs homologues de village, démontrant ainsi l’héritage vivant des traditions anciennes.
Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe de photographie en couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé à travers l'Empire et pris plus de 2 000 photographies avec ce nouveau procédé, qui implique trois expositions sur une plaque de verre. En août 1918, il a quitté la Russie avec une grande partie de sa collection de négatifs sur verre et s'est finalement installé en France. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu sa collection à la Bibliothèque du Congrès américain, qui, au début du XXIe siècle, a numérisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise gratuitement à la disposition du public mondial. Un certain nombre de sites web russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture et photographe William Brumfield a organisé la première exposition de photographies de Prokoudine-Gorski à la Bibliothèque du Congrès. Au cours d'une période de travail en Russie débutant en 1970, Brumfield a photographié la plupart des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtapose les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les clichés pris par Brumfield des décennies plus tard.
Dans cet autre article, William Brumfield s’intéresse à l’église de la Trinité de Troïtse-Lykovo, sublime relique du règne de Pierre le Grand.
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