Le village de Nyrob, sanctuaire du premier Romanov martyrisé

Un village du nord de l’Oural préserve la mémoire de la dynastie tsariste de Russie.

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Nyrob. Croix commémorative sur le site du sanctuaire de Michel Nikititch Romanov. Août 2000

Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe permettant de réaliser des photographies en couleurs vives et détaillées. Sa vision de la photographie en tant que forme d’éducation et d’illumination a été démontrée avec une clarté particulière par ses photographies de monuments architecturaux dans les sites historiques du cœur de la Russie.

La visite de Prokoudine-Gorski dans l’Oural du Nord, qui s’est vraisemblablement déroulée au printemps 1913 à l’occasion du tricentenaire de la dynastie Romanov, comprenait le petit village de Nyrob, situé à 305 kilomètres au nord du centre régional, Perm. Mentionnée dans des sources écrites dès 1579, l’isolée Nyrob est devenue un lieu de punition tsariste peu après sa fondation, au début du XVIIe siècle.

Nyrob. Église Saint-Nicolas, vue nord-est. 1913

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Une histoire mouvementée

C’est ici, en 1601, que le tsar Boris Godounov a exilé le boyard Michel Nikititch Romanov, dont la tante était Anastasia, la première épouse tant aimée d’Ivan le Terrible. L’ambitieux Godounov avait des raisons de s’inquiéter de ses propres capacités à conserver le trône moscovite après la fin de la dynastie des Riourikides en 1598. Afin d’éliminer un rival potentiel solide, il a donc soumis Michel Nikititch à un traitement sévère à Nyrob. Tenu enchaîné et jeté dans une fosse profonde, Michel est mort l’année suivante.

Église Saint-Nicolas, vue sud-est. Août 2000

Cependant, les jours de Godounov étaient eux aussi comptés et, après sa mort en 1605, la Russie a plongé dans une crise dynastique dévastatrice connue sous le nom de Temps des troubles. Bien que ses conséquences aient perduré pendant des décennies, cette crise s’est officiellement terminée en 1613 avec l’accession au trône de Michel Fiodorovitch Romanov (Michel Ier), neveu de Michel Nikititch et fils de Fédor Nikititch Romanov, qui a dirigé l’Église orthodoxe russe en tant que métropolite, puis patriarche, et sous le nom de Filaret.

Nyrob a ainsi acquis des prétentions impressionnantes en tant que lieu significatif de la sacralisation de l’ascension des Romanov vers l’autorité dynastique. Après la fondation de la dynastie Romanov, le site de la mort de Michel Nikititch a par conséquent été commémoré par deux églises en rondins dédiées à l’Épiphanie et à Saint-Nicolas. La seconde a été construite près du lieu de sépulture original de Michel Nikititch presque immédiatement après l’établissement de la dynastie en 1613.

Église Saint-Nicolas et clocher, vue du sud. 1913

Au début du XVIIIe siècle, les églises en rondins ont été remplacées par deux autres en maçonnerie : l’église Saint-Nicolas (1704-05) était une structure non chauffée utilisée pour le culte en été, tandis que celle adjacente, de l’Épiphanie (1736), plus modeste, servait pour le culte hivernal. L’ensemble des églises était relié par un haut clocher octogonal (démoli en 1934).

Les intérieurs des deux édifices ont été rapidement peints. L’église de l’Épiphanie, qui abritait le cercueil original de Michel Nikititch Romanov, était particulièrement richement décorée. Tous ces ouvrages existaient encore au moment de la visite de Prokoudine-Gorski. Ses photographies constituent un témoignage inestimable, d’autant plus que la plupart des éléments du mémorial des Romanov, y compris l’intérieur de l’église de l’Épiphanie, ont été détruits pendant la période soviétique.

Église Saint-Nicolas, étage supérieur, vue sud-est. Août 2000

Heureusement, la structure distinctive de l’église Saint-Nicolas a survécu, comme le montrent mes photos d’août 2000. La riche ornementation de la façade de l’église – des entourages de fenêtres et de la corniche à arcades aux tambours sous les coupoles en oignon – est inhabituelle, même selon les normes russes. Pour couronner le tout, les bardeaux des coupoles en bois contribuent au jeu de texture et d’ombre sur la surface de ce temple remarquable.

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Autres monuments des Romanov

Église Saint-Nicolas, façade sud, niveau supérieur, détails décoratifs. Août 2000

L’ensemble de l’église n’était qu’une partie du complexe commémoratif des Romanov. Une chapelle en bois érigée sur le site de la fosse au début du XVIIe siècle a été reconstruite en briques en 1793 sur ordre de l’impératrice Catherine la Grande et avec le soutien du riche paysan Mikhaïl Ponomarev. Sur les photographies de Prokoudine-Gorski, la chapelle est masquée par du feuillage et enfermée dans une clôture de maçonnerie et de fer délabrée.

À l’occasion du tricentenaire des Romanov, en 1913, le territoire de la chapelle a toutefois été considérablement agrandi pour former une place de parc entourée d’une élégante clôture conçue dans le style moderne par l’artiste de Perm Alexeï Zelinine (1870-1944). Cette clôture, dont la construction a duré de 1913 à 1915, n’existait pas encore au moment de la visite de Prokoudine-Gorski.

Clôture autour de la chapelle de l’Archange Michel (sanctuaire de Michel Nikititch Romanov). 1913

La chapelle commémorative, également rénovée en 1913, a été détruite en 1932 par les autorités soviétiques, antireligieuses. La clôture, cependant, a survécu avec ses carreaux de céramique, comme on peut le voir sur ma photo. En 2001, un pavillon-chapelle octogonal a par ailleurs été érigé à l’emplacement de la croix que j’avais photographiée en 2000. Enfin, en 2012, une belle chapelle reprenant la forme de celle en briques d’autrefois a été consacrée sur le site.

Nyrob. Croix commémorative sur le site du sanctuaire de Michel Nikititch Romanov. Août 2000

La lointaine bourgade de Nyrob est ainsi redevenue un lieu de pèlerinage, et les photographies de Prokoudine-Gorski ont joué un rôle inestimable dans la préservation de ce souvenir des Romanov.

​Clôture avec céramiques ornementales placée autour du sanctuaire de Michel Nikititch Romanov en l’honneur du tricentenaire des Romanov (1913). Août 2000

Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe pour la photographie en couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé à travers l’Empire russe et pris plus de 2 000 photographies avec ce nouveau procédé, qui implique trois expositions sur une plaque de verre. En août 1918, il a quitté la Russie avec une grande partie de sa collection de négatifs sur verre et s’est finalement installé en France. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu sa collection à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis. Au début du XXIe siècle, cette dernière a numérisé la collection de Prokoudine-Gorski et l’a mise gratuitement à la disposition du public mondial. Un certain nombre de sites web russes en proposent désormais des versions. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield a organisé la première exposition de photographies de Prokoudine-Gorski à la Bibliothèque du Congrès. Au cours d’une période de travail en Russie débutant en 1970, Brumfield a photographié la plupart des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d’articles juxtapose les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les photographies prises par Brumfield des décennies plus tard.

Dans cet autre article, William Brumfield s’intéresse au domaine de Znamenskoïe-Raïok, le charme suranné de la noblesse russe.

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