«Oudelka»: Immersion dans l’atmosphère du marché aux puces le plus connu de la Russie

Ioulia Khakimova
Petite promenade au milieu d’étalages où l’on vend et achète des poupées glauques, des miroirs de carrosse du XVIIIe siècle et autres objets délaissés.

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Le dimanche, les rangs étroits de ce marché aux puces saint-pétersbourgeois sont encombrés. Entre les vacillants touristes, attirés ici par pure curiosité, grouillent ceux pour qui ce lieu situé à deux pas de la station de métro Oudelnaïa est un lieu de « chasse » habituel : d’habitude, ce sont des décorateurs d’intérieur, des revendeurs ou des collectionneurs « professionnels ». Certains n’hésitent pas à négocier avec les vendeurs et à diviser leurs prix par deux – pour des achats en gros.

Il y a aussi ceux qui mettent en vente leurs propres produits. Devant moi, un jeune homme a sorti de son sac une pendule à coucou penchée. J’ai à peine eu le temps de voir la date de fabrication – 189… Le détenteur du stand, ennuyé, a tout de suite repris ses esprits et les hommes ont commencé à négocier un prix pour cette vieillerie.

En 2012, la version russe du magazine Forbes a honoré Oudelka – c’est ainsi que l’appellent les locaux – en le classant deuxième dans le palmarès des meilleurs marchés aux puces à l’échelle mondiale. Et en 2016, le britannique The Guardian a inclus ce même endroit dans sa liste des meilleures attractions touristiques « soviétiques » de la capitale russe dite du Nord. Effectivement, cet endroit est une sorte de machine à remonter le temps, sauf qu’elle transporte les visiteurs dans l’univers des marchés post-soviétiques du début des années 90. Ici, les boutiques d’antiquaires côtoient des piles d’objets en tout genre, vendus à même le sol.

>>> Le guide ultime des marchés de Saint-Pétersbourg

Excursion dans son passé

Les habitants d’un immeuble ont mis la vaisselle et les livres de mamie à la poubelle ? Des vieilles cartes d’URSS pourries par le temps ont été retrouvées derrière une armoire ? Les « pilleurs de tombes » ont mis au jour dans un marais des casques allemands datant de la Seconde Guerre mondiale ? Des journaux Leningradskaïa pravda ont été retrouvés au grenier ? Un papi vétéran a laissé une montre et des jumelles en héritage ? Apparemment, tout cela finira tôt ou tard à Oudelka.

Lorsque l’on se balade entre les stands de vaisselle, qui a servi autrefois à nourrir trois ou quatre générations d’une famille soviétique, un sentiment étrange apparaît. Surtout quand l’on remarque des objets familiers : une tasse en porcelaine, dont on avait une copie, laquelle ne servait qu’une paire de fois par an – mamie gardait ce service pour les grandes occasions.

Au bout d’un moment, je constate que beaucoup achètent par nostalgie.

« Dites-moi, combien pour cette statuette ? Avant, j’en avais deux, mais ma petite-fille en a cassé une, quand elle était petite. Maintenant, elle a 25 ans, elle habite en Allemagne, et est très occupée. À l’époque elle n’en avait que 5 et moi, agacée, je lui ai donné une sacrée fessée. Mais bon, il y avait un grand déficit. Mon mari, quand il était vivant, les avait eues grâce à des connaissances, on ne pouvait pas en acheter autrement », soupire une dame âgée et bavarde à côté de moi, racontant à la vendeuse, ou à moi, pourquoi cette figurine en porcelaine lui est si chère. Il y a longtemps, beaucoup de familles en avaient chez elles, presque toutes, mais maintenant, c’est un objet vintage, qui coûte pas mal d’argent – à partir de 100 dollars la figurine.

Pour combien ?

Les principes de prix à Oudelka sont un mystère à part. On pourrait croire que les badges, les pièces et les billets soviétiques – des objets de collection phares – devraient coûter en conséquence, or, ils sont vendus à des prix presque symboliques. Des ronds brillants avec Lénine ou les anneaux olympiques sont présents à un tiers des stands.

Cependant, des choses nettement plus intéressantes peuvent aussi être achetées à moins de 1 000 roubles (17 euros environ). Par curiosité, j’ai demandé à l’un des vendeurs combien coûtent des jumelles de théâtre françaises, recouvertes de cuir naturel. Elles ont facilement cent ans.

15 euros? À ce prix-là, impossible de passer à côté ! Et une raison de plus d’aller au théâtre Mariinsky, regarder une représentation sur la scène historique.

Plus l’on s’introduit loin dans le marché, plus les conditions de vente sont primitives. Au fin fond d’Oudelka, les vendeurs ne s’embêtent plus et disposent leurs produits directement au sol. Ici, on peut trouver des objets pour « amateurs » : de vieilles poupées plastiques déformées, des valises anciennes, des samovars (bouilloires typiques russes) rouillés, et des portraits de Lénine ayant perdu leurs couleurs ; l’on dirait des objets sortis tout droit d’une décharge. De vieux tapis sont accrochés à la clôture. Attendent-ils leur propriétaire depuis longtemps ?

Soudain, le terrain de ruines au sol se transforme peu à peu en une rue marchande décente. Ici, s’étend une véritable réserve naturelle d’antiquités : de spacieux pavillons meublés avec style, des peintures intéressantes aux murs, les stands sont recouverts de velours, le cristal et l’argent sont polis. Beaucoup moins de monde – les prix aussi sont tout autres.

- C’est un miroir de carrosse. France, XVIIIe siècle. - le vendeur a remarqué mon intérêt pour cet objet élégant et a décidé de discuter – ça coûte 1 200 euros.

Certainement, il n’y a pas d’équivalent pour cet objet ici.

- Et comment l’avez-vous obtenu ?

- Les fournisseurs nous les ramènent ! Ça fait longtemps que je suis dans le business, j’ai un magasin antiquaire au centre-ville, je viens ici les dimanches surtout pour moi-même.

Aucun acheteur à part moi dans la boutique. Maintenant, je comprends mieux pourquoi le vendeur n’est pas attristé de ne voir personne. L’avantage, c’est qu’il a le temps de raconter l’histoire de certaines pièces.

- Là-haut, il y a des dessins, ce sont des brouillons de l’Académie des arts. Les étudiants s’entraînaient. Peut-être Répine [l’un des plus grands peintres russes] lui-même ! – continue-t-il d’un air important.

- Vous deviez recevoir pas mal d’étrangers avant le Сovid ?

- Oui ! Une fois, toute une délégation de diplomates chinois est venue pour acheter un vase chinois. Grand comme ça, plus d’un mètre de hauteur ! Ils ont dit qu’ils l’offriraient en cadeau. Ils n’en ont plus chez eux, tout a été vendu à l’étranger.

Dans les pavillons voisins, l’assortiment n’est plus aussi unique : généralement de la vaisselle en porcelaine (j’ai aperçu des assiettes Villeroy & Boch), de la quincaillerie, des bustes de Lénine présents partout… Subitement, des vitrines d’armes blanches apparaissent. « Ne pas toucher ! » – avertit l’écriteau à l’entrée. À l’intérieur, les vendeurs discutent sport. Au seuil, deux jeunes Chinoises hésitent à rentrer, mais pointent les lames avec fascination et prennent des photos sur leur téléphone.

Puis, les filles se retournent et perdent tout de suite leur intérêt pour les outils de chasse, car devant elles se tient un magasin de poupées orientales. Elles s’y précipitent.

Que ce soit avant ou maintenant, la concentration d’objets étrangers à Oudelka est plus forte que dans n’importe quel magasin russe. Ce qui veut dire que cet endroit vous rendra nostalgique, peu importe l’endroit où vous avez grandi.

Dans cet autre article, nous vous emmenions à la découverte du marché aux puces le plus étonnant de Moscou, Izmaïlovo, au sein d’un kremlin haut en couleur.

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