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Les monts Oural, qui divisent la Russie en ses parties européenne et asiatique, ont longtemps été l'une des sources les plus importantes de richesses minérales pour le pays. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la découverte de fer, de cuivre, de sel et d'autres gisements de minéraux précieux a transformé des avant-postes miniers isolés en villes prospères, comme Ekaterinbourg. Certains gisements minéraux - en particulier la potasse - sont toujours en cours d’exploitation le long de la rive gauche de la rivière Kama dans des villes telles que Berezniki et Solikamsk (« sel de Kama »).
À l'été 1909, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (voir l'encadré ci-dessous) a entrepris la première d’une série d’expéditions dans l'Oural. Voyageant avec le soutien logistique du ministère des Transports, ses photographies comprennent des vues allant de paysages et monuments architecturaux aux grandes usines et installations ferroviaires. Prokoudine-Gorski était particulièrement actif dans le vaste territoire centré autour de la ville de Perm du côté européen de l'Oural. Mon travail dans la région s'étend sur près de deux décennies, de 1999 à 2017.
Perdue pour l'histoire
Avant l'expansion du réseau ferroviaire russe dans l'Oural au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, la livraison des richesses minérales de la région aux centres de peuplement représentait un défi majeur. Une solution partielle à ce problème a été fournie par le vaste réseau fluvial de la région. La rivière la plus importante du côté européen de l'Oural est la Kama, qui traverse le vaste territoire de Perm et se jette dans la Volga au sud de Kazan, la capitale du Tatarstan. À la fin du printemps 1912, Prokoudine-Gorski a entrepris une expédition prolongée dans l'Oural qui a commencé sur la rivière Tchoussovaïa, un important affluent de la Kama.
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En plus des paysages d'une beauté sauvage, tels que des vues sur les rochers le long de la Tchoussovaïa, Prokoudine-Gorski a également photographié le village de Verkhnié Gorodki, fondé par la famille Stroganov peut-être dès 1568 pour protéger leur territoire riche en ressources qui affichait une expansion rapide. Le centre de la vue de Prokoudine-Gorski est occupé par la grande église de la Nativité-du-Christ, construite en 1773 et complétée par un clocher du XIXe siècle. Lors de l'achèvement du réservoir de la Kama en 1954 (voir ci-dessous), le village et le territoire environnant ont été submergés.
Ville née du sel
Le même sort aurait pu concerner la ville d'Oussolié, située sur la rive droite de la Kama en face de la ville de Solikamsk (le nom des deux villes est dérivé du mot sel, sol’ en russe.) Située à environ 170 km au nord de la capitale régionale, Perm, dans une région riche en sources salées, Oussolié a été fondée en 1606 par Nikita Stroganov en tant que centre de la production de sel de la famille Stroganov sur la rivière Kama.
Les Stroganov étaient déjà devenus le premier producteur de sel de Russie grâce à leurs activités centrées sur la ville septentrionale de Solvytchegodsk. La colonie de Novoïé Oussolié a consolidé leur capacité à traiter et transporter les ressources des territoires récemment mis en valeur dans l'Oural.
La richesse croissante d'Oussolié au XVIIIe siècle s'est reflétée dans la construction d'églises telles que l'imposante cathédrale de la Transfiguration, construite en 1727-33 avec des fonds fournis par le baron Sergueï Stroganov (Pierre le Grand a élevé les Stroganov au rang de nobles en remerciement pour leurs largesses pendant la Grande Guerre du Nord).
Comme d'autres églises bâties par les Stroganov, la cathédrale de la Transfiguration présente une riche ornementation en briques sur sa façade. En 1820, elle a été agrandie avec l'ajout d'une demi-rotonde inhabituelle à l'extrémité ouest. Saccagé pendant la période soviétique, l'intérieur restauré révèle aujourd'hui à nouveau les proportions sereines de son espace tout en hauteur. La cathédrale est complétée par un haut clocher construit en 1730 et renforcé en 1830.
La cathédrale de la Transfiguration et son clocher formaient le noyau autour duquel la ville s'est développée au XIXe siècle avec des bâtiments commerciaux, des entrepôts et des raffineries de sel. Les structures les plus imposantes au début du XIXe siècle étaient des manoirs construits par les Stroganov et d'autres grands propriétaires de salines tels que les Golitsyne et le prince Sergueï Abamalek-Lazarev, qui ont racheté les propriétés locales des Stroganov dans les années 1830.
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Sauvée pour la postérité
La richesse d'Oussolié dépendait de la rivière Kama, mais il y avait un revers de la médaille. Les inondations printanières périodiques ont été remplacées par un changement beaucoup plus radical à l'époque soviétique : des projets massifs d'électricité et de navigation achevés au cours de la décennie ayant suivi la Seconde Guerre mondiale ont conduit à la création de vastes réservoirs fluviaux. L'augmentation des niveaux d'eau des principaux cours d’eau a submergé des centaines de villages.
Dans le cas d'Oussolié, la partie de la ville la plus proche de la rivière a été inondée lors de la formation du réservoir de la Kama au début des années 1950. La construction de digues a sauvé certains des monuments les plus importants, tels que la cathédrale de la Transfiguration, d'une destruction pure et simple, tandis que d'autres ont subi des dommages catastrophiques au niveau de leurs fondations. Un autre coup dur est venu de l'abandon du centre historique en tant que quartier résidentiel.
Heureusement, les efforts du personnel du musée et le soutien de l'administration régionale ont permis de préserver plusieurs monuments historiques d'Oussolié, notamment des maisons du début du XIXe siècle. En plus de la cathédrale de la Transfiguration (maintenant rouverte au culte), l'église néoclassique de la Trinité (1813-1820) est en cours de restauration. Ceci est particulièrement important, car sa conception est attribuée à Andreï Voronikhine (1759-1814), l'un des plus grands architectes de Russie et natif d'Oussolié. La construction de l'église a été entreprise par le baron Grigori Stroganov pour honorer la contribution de la famille Stroganov à la résistance à l'invasion napoléonienne de 1812.
La plus grande réussite d'Oussolié réside peut-être dans la restauration des chambres Stroganov, construites en 1724 en tant que résidence principale des Stroganov dans l'Oural. Malgré la date de sa construction, la structure montre peu d'influence occidentale et ressemble beaucoup aux « chambres » moscovites de la fin du XVIIe siècle, avant les changements architecturaux introduits par Pierre le Grand.
L'intérieur des chambres Stroganov contient de grands poêles en céramique qui ont été soigneusement recréés à partir de fragments conservés des originaux. Le rez-de-chaussée du bâtiment sert de centre administratif pour le musée et pour les festivals culturels sur la rivière Kama. D'autres salles servent désormais d’amphithéâtres et accueillent des expositions itinérantes. Un atelier de céramique se trouve en outre en ces lieux.
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Autres sites le long de la Kama
Le district d'Oussolié contient d'autres sites historiques tels que Pyskor (à environ 21 km au nord), dont le terrain vallonné offre certaines des vues les plus pittoresques le long de la Kama. Au sommet de la colline du monastère se trouve la charmante église Saint-Nicolas sur la colline, construite en 1695 et actuellement en cours de restauration.
Au sud d'Oussolié se trouve le village d'Oriol, site de l'église de la Louange de la Vierge (1735). Les murs blanchis à la chaux de l'extérieur, dénués, recèlent parmi les intérieurs les plus colorés de l'architecture des églises provinciales russes, avec une chapelle inhabituelle au centre de l'église principale, ainsi qu'une iconostase provenant d'une ancienne église en bois. Oriol est facilement accessible par la route, mais la voie d’accès la plus pittoresque est le bateau depuis Oussolié.
Plus au sud le long de la rivière Kama se trouve le village de Taman, avec les ruines massives de l'église des Saints-Pierre-et-Paul. Construite par la famille Kirianov au début du XXe siècle dans un mélange éclectique d'éléments occidentaux et russes, l'église a perdu ses coupoles et la plupart de sa décoration intérieure pendant la période soviétique. Pourtant, sa structure en ruines, solidement construite, se dresse toujours, telle une apparition obsédante, le long de la rivière Kama.
Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un processus complexe pour la photographie couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé au travers de l'Empire russe, et a pris plus de 2 000 photographies en utilisant ce processus, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. Il a quitté la Russie en août 1918, et s'est finalement installé en France avec une grande partie de sa collection de négatifs sur plaque de verre. Après sa mort à Paris en septembre 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la bibliothèque du Congrès américaine. Cette dernière a digitalisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise en libre-accès pour le public au début du XXIesiècle. Un grand nombre de sites internet russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture russe et photographe William Brumfield a organisé la première exposition des photographies de Prokoudine-Gorski à la bibliothèque du Congrès américaine. À partir de 1970, Brumfield, travaillant alors en Russie, a photographié la majorité des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtaposera les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les photographies prises par Brumfield plusieurs décennies plus tard.
Dans cet autre article, William Brumfield vous emmène à la découverte des superbes églises en bois du littoral de la mer Blanche.