« La Sibérie et point final » : Ergaki

Le massif montagneux des Saïan est situé dans le sud de la Sibérie, au nord-est de l’Altaï, à l’ouest du lac Baïkal, tandis que la pointe sud de ces montagnes s’étend jusqu’au territoire de la Mongolie. La cordillère d’Ergaki constitue le cœur des Saïan occidentales, l’un des parcs naturels les plus populaires de Russie, accueillant chaque année des dizaines de milliers de touristes amateurs de camping, venus du monde entier.

Comme au cinéma

Crédit photo : Anna Grouzdeva

Le panneau en bois « sentier écologique » situé près de l’autoroute fédérale M-54 nous promet un trajet facile et décontracté jusqu’à notre premier arrêt: le lac Svetloye (clair). Devant nous s’étend une route droite, bordée de tas de poutres en bois et de sciure.

Mais après une centaine de mètres, ce chemin facile cède la place à un sentier de taïga impraticable: la terre est délavée par la pluie, parsemée de flaques, d’arbres abattus et de blocs de pierre. 

Les sentiers écologiques, les petites maisons de bois douillettes et les cafés situés à proximité de la route sont destinés aux amateurs de « randonnée du week-end ».

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Mais dans l’ensemble, les monts Ergaki sont des montagnes ardues qui ne font pas de cadeaux aux touristes sur le compte de leur inexpérience, distraction ou imprudence. Vous ne pourrez vous en prendre qu’à vous même si vous n’emportez qu’un imperméable et oubliez vos chaussettes en laine.                 

Ici, là où débute l’étroit sentier Ergaki et où se déploient les premiers paysages pittoresques de montagne, le pouvoir de la ville s’interrompt sur des dizaines de kilomètres, offrant à la place un espace dédié au silence et à la beauté sauvage de la taïga.

Peter Jackson pourrait sans conteste y tourner « Le Hobbit ». Mais Ergaki est précieuse et unique non seulement du fait de ses panoramas spectaculaires stimulant l’imagination mais aussi pour son aspect compact (vous pourrez en une semaine visiter la moitié des sites de montagne les plus remarquables), de la variété de ses reliefs et paysages susceptibles de surprendre jusqu’aux voyageurs les plus chevronnés.          

La zone de tourisme et de loisir du parc s’étend sur 160 000 hectares, sur lesquels se dressent plus d’une soixantaine de sommets, de massifs montagneux et de cols. L’on y trouve également de nombreuses chutes d’eau, dont quelques unes d’entre elles s’élancent depuis une hauteur de 200 mètres. 

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Crédit photo : Anna Grouzdeva

Les paysages de roches acérées perçant les nuages cèdent ensuite la place à des forêts de cèdre ou aux prairies alpines et aux marais, les glaciers immaculés côtoyant des trolles ardentes et des lacs turquoises avec leurs torrents limpides.

Dans aucune ville du monde il n’est possible d’acheter une eau semblable à celle d’Ergaki : glacée, pure et douceâtre.    

La variété et la qualité du patrimoine naturel d’Ergaki a permis d’entamer ici le développement de l’escalade et de l’alpinisme, ainsi que d’une combinaison de tourisme écologique sportif, équestre et de rafting.

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La pression humaine croissante pesant sur le territoire du massif montagneux a débouché en 2005 sur la création à Ergaki d’une zone spéciale protégée: le parc naturel.    

Nuit blanche dans sa tanière

- Vous entendez ?

Un bruit fort d’ustensile en métal accompagné d’un long cri humain retentit depuis la tente rouge voisine, située à une centaine de mètres de notre camp. La peur paralysant notre corps ne laisse aucune place au doute: l’ours est venu.

Décrire cette peur, inconnue des citadins et des téméraires qui n’ont vu des ours que dans les zoos est comme tenter de parler d’un arc en ciel à un aveugle: cette vérité n’est rendue par aucun épithète.  

Tout tremblant dans ma tente et pas à cause du froid, l’on arrive involontairement à la conclusion que l’ours brun n’est pas un mythe sibérien, pas un stéréotype éculé ou un symbole inoffensif pour un logo mais une bête réelle et bien vivante, tapageuse et lourde mais capable de se déplacer sans bruit.

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Et il vaut mieux ne pas la rencontrer en raison de sa propre négligence. Dans les monts Ergaki, le problème des ours n’est pas fantasmé mais pleinement réel. 


Crédit photo : Anna Grouzdeva

La bête sauvage a ici depuis longtemps été attirée par les touristes imprudents: elle a appris à habilement transpercer de sa griffe les boîtes de lait condensé, à déguster le corned-beef, elle a pris goût aux douceurs industrielles.

Mais le plus important est qu’elle a perdu la peur de l’homme, c’est pourquoi chaque année la liste des personnes ayant demandé aux employés du parc naturel de les sauver s’allonge.       

Donc, dans notre camp, chez nos voisins, l’ourson (comme les empreintes nous l’on indiqué par la suite) est venu parce que les touristes n’ont rejoint le lac Svetloye qu’à la tombée de la nuit et ne sont pas parvenus à accrocher leur sac à provision à un cèdre (ou bien étaient-ils trop paresseux pour ça).

L’ourson a dévasté le sac à dos, à vidé une bouteille d’huile végétale et a pointé à nouveau le bout de son nez du côté de notre campement la nuit suivante. Il est vrai que les aboiements du gros chien ayant fait son apparition sur la berge en même temps que les nouveaux vacanciers ont chassé l’ourson vers la forêt de conifères une fois le soir venu.

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Mais une fois la nuit tombée, cela n’est guère rassurant: là où il y a un ourson, il y a aussi une ourse.      

La popularité des monts Ergaki est croissante. Comme l’on remarqué les employés du parc naturel, le flux de touristes augmente chaque année de 10 à 15%. Cela signifie  que la proportion de touristes inexpérimentés et maladroits augmente, et la question de l’ours reste ouverte. Les touristes sont avertis.

Mythologie vivante

Les monts Ergaki sont aussi une terre de mythes, d’histoires profondes de la taïga, circulant de sommet en sommet et de sentier en sentier. L’ethnographe Mongush Kenine-Lopsan, chercheur spécialisé dans le chamanisme de la région de Touva, indique que les monts Ergaki sont pour les Touvains depuis des temps très anciens un territoire sacré au sein duquel les chamans sont initiés à leur art.

Aujourd’hui, sa variante « initiatique » propose de nombreux itinéraires yogas dans ces montagnes légendaires, c’est pourquoi il arrive que l’on puisse parfois observer dans les monts Ergaki des exercices collectifs ou bien entendre des chants s’élever depuis la forêt. 

         

Crédit photo : Anna Grouzdeva

Mais les touristes qui ne se plongent pas dans les pratiques spirituelles dans les monts Ergaki mais se reposent simplement l’âme continuent à construire, moudre, découper autour d’eux quelque chose qui semble avoir pour ces derniers un pouvoir secret: accrocher aux arbres et aux buissons des rubans colorés.

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Sur l’aire de repos « Strelka » (situé au confluent des rivières Taïgichonok et Levi Taïgich), nous avons rencontré une idole singulière des touristes: un vieil arbre sculpté avec un visage terrible et une bouche grande ouverte.     

Durant la nuit, avec une lumière brûlant dans cette bouche, la sculpture de bois semble être un gardien fiable de notre petite ville de tentes. Toutefois, dans la réalité cette protection magique ne fonctionne pas: des crottes d’ours sont visibles sur l’aire de repos et dans les environs. 

Carte du ciel

Notre périple de deux semaines s’est fort heureusement déroulé sans incident. Malgré les chaussures mouillées, le mal au dos causé par le sac et le mal aux jambes causé par les passages difficiles à travers les cols, on ne souhaite pas quitter les monts Ergaki.

Nous cuisinons un succulent kisel à partir de véritables myrtilles des bois et je regrette à nouveau de ne pas avoir emporté une carte du ciel pendant mon voyage: par temps dégagé, le ciel d’Ergaki est un véritable manuel d’astronomie brillant de mille feux.         

Il n’est pas surprenant que pour nous autres, habitants d’environnements urbains saturés de stress, ces majestueuses montagnes et forêts paisibles constituent une alternative au monastère, une escapade réussie hors de la civilisation, grâce à cet exotisme sibérien découvert de fraîche date.

Comment s’y rendre

Les villes les plus proches d’Ergaki sont les suivantes: Kyzyl, Abakan, Minousinsk et Krasnoïarsk. Mais le plus pratique est de s’y rendre depuis Abakan. Il faut compter entre 2 heures et 2 heures et demie de voiture depuis la capitale de la Khakassie, en suivant la route Abakan-Kyzyl (M54, également appelée la route Ousinsky).

Vous pouvez laisser votre voiture sur le parking en payant une somme fixe. Par la même route, il est possible de s’y rendre en prenant l’autobus Abakan-Kyzyl, les arrêts sont le pont de Tormozakov, la rivière Touchkantchik ou la source Podiomny, en fonction de votre itinéraire.  

Dans les monts Ergaki, il n’est pas interdit de:

-Grimper au sommet d’une montagne ou d’un col pour admirer d’incroyables panoramas de montagne

-se délecter de myrtilles des bois, airelles et chèvrefeuille en juillet et en aout
-Nager dans un lac de montagne  

Pendant l’été, la majorité des voyageurs vont directement dans les montagnes et vivent en conséquence sous la tente dans un environnement sauvage.

Mais l’on trouve dans les monts Ergaki 6 bases de loisirs proposant durant l’été des ballades à cheval et des itinéraires de randonnées et proposent durant l’hiver aux voyageurs de petits maisons confortables avec café et saunas.

Durant l’hiver à Ergaki, se sont le plus souvent des amateurs de ski alpin, de ski de fond, de snowboard et de motoneige qui s’y rendent ou simplement des personnes en quête de vacances d’hiver actives. C’est véritablement un endroit sublime pour y passer les vacances du nouvel an.

Où manger

De nombreux cafés sont situés sur le territoire du parc, à proximité de la route et des bases de loisirs. Mais l’été dans la taïga, la nourriture est de la responsabilité des touristes.

Il est indispensable de savoir et de se rappeler qu’il n’est pas autorisé de couper de bois pour faire un feu sur le territoire du parc, les touristes doivent donc cuisiner en utilisant des réchauds à gaz.

Ce qu’il est important de savoir

Dans le cas d’une randonnée en montagne, il convient d’être accompagné par un guide expérimenté connaissant les itinéraires du parc naturel, leurs caractéristiques, les sites remarquables ainsi que tous les « pièges » des monts Ergaki, y compris durant la saison plutôt pluvieuse de l’été (par exemple, nous avons compté durant notre séjour sept jours de pluie sur quatorze).

A Ergaki, il est indispensable de respecter les règles de conduite que l’on peut lire sur le site officiel, dans la rubrique « Ecotourisme ».

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