Projet Vavilov: la Russie à la rescousse du patrimoine génétique de l’agriculture française

Sciences & Tech
ERWANN PENSEC
Alors que l’appauvrissement de la diversité des espèces végétales cultivées plane sur notre société telle une épée de Damoclès dans un contexte de bouleversements écologiques, a vu le jour le Projet Vavilov, développé conjointement par l’Institut saint-pétersbourgeois du même nom, plus ancienne banque de semences au monde, et plusieurs organisations françaises. L’objectif? Remettre au goût du jour, en France, des variétés d’hier pour affronter les obstacles de demain.

Dans un monde faisant aujourd’hui face aux défis écologiques et climatiques, l’agriculture responsable et le recours à des matières organiques apparaissent comme des clefs de voute des changements à opérer dans notre système. Aussi, plusieurs organisations françaises œuvrent ensemble dans l’optique de voir, sur le territoire national, ressurgir du passé des variétés végétales oubliées et pourtant détentrices de capacités naturelles pouvant aider à amorcer cette nécessaire transition. Parmi ses structures figurent notamment le Fonds pour la biodiversité biologique De Natura, Perma’Cité, le Centre de Ressources de Botanique Appliquée (CRBA) et TARVEL.

Pour accomplir cette ambitieuse mission, ces défenseurs de la diversité végétale se sont tournés vers l’Institut panrusse de ressources génétiques des plantes N. I. Vavilov de Saint-Pétersbourg, éminente institution en la matière. Cet établissement, fondé en 1894, peut en effet se targuer de posséder l’une des plus riches collections de semences de la planète, dont plusieurs originaires de France et ayant depuis disparu de l’Hexagone.

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« La particularité de l’Institut Vavilov est que c’est la plus ancienne banque de semences au monde, puisque c’est la seule qui a été créée avant la Seconde Guerre mondiale, bien avant d’ailleurs, ce qui explique qu’aujourd’hui 80% de ce qui y est détenu ne l’est plus nulle part ailleurs, et même dans les endroits d’origine, précise à Russia Beyond Benjamin Canon, chargé de mission au sein du Fonds De Natura. Donc nous on l’imagine comme un réservoir à solutions ».

Oubliées dans le tourbillon de l’intensification agricole

De nos jours il est vrai, l’agriculture moderne repose sur un nombre très restreint de variétés végétales développées artificiellement par l’Homme depuis une quarantaine d’années dans un souci de rentabilité. Néanmoins, si ces plantes sont effectivement plus productives, elles s’avèrent également plus fragiles que leurs ancêtres naturelles, et nécessitent donc une utilisation grandissante de produits phytosanitaires pour être protégées face aux maladies, nuisibles et aléas météorologiques.

« Or, là on voit que ce modèle est en train de s’essouffler, puisque la tendance et les demandes de la société sont plutôt pour des notions de santé et de préservation de l’environnement, donc forcément moins d’utilisation d’intrants chimiques, que ce soit sur la protection des végétaux ou sur les engrais », explique notre interlocuteur.

La solution conjointement envisagée est alors la réémergence d’anciennes espèces végétales disposant de capacités à se protéger naturellement, tout en tirant profit des connaissances actuelles en agronomie. Forts d’une collaboration de cinq années, les spécialistes français et russes sont ainsi d’ores et déjà parvenus à remettre en culture plusieurs variétés oubliées, d’avoine, d’orge de brasserie et de pois, mais aussi le chou quintal d’Auvergne et le haricot Gloire de Lyon.

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La métropole lyonnaise, laboratoire d’expérimentations

Ce partenariat a par ailleurs permis, à la mi-avril, la fondation d’une station expérimentale à Charly, en métropole lyonnaise, la première en collaboration avec l’Institut Vavilov hors des frontières de Russie. Trois autres espèces y ont pour l’occasion été semées : un tournesol russe à plusieurs tiges et fleurs, un maïs datant du XVIIe siècle, ainsi qu’un haricot grimpant.

Le retour d’autres variétés anciennes, notamment de melons, de céréales, de pommiers et de poiriers sont également envisagées, précise M. Canon, ajoutant que les débouchés potentiels apparaissent alors multiples, loin de se limiter à la seule agriculture nourricière. En effet, selon lui, ces plantes d’hier pourraient s’avérer d’une aide tout aussi précieuse dans les secteurs industriels et énergétiques, par exemple pour la production de fibres végétales pour des matériaux composites ou de biocarburants.

S’appuyant sur une dynamique rendue possible grâce à la diversité des acteurs de ce projet regroupant tant des scientifiques que des entreprises, associations et collectivités, ce partenariat franco-russe a également vu l’émergence, en plusieurs points de France, des Jardins de Vavilov, où des espèces anciennes reprennent racines, notamment à des fins de sensibilisation et de pédagogie.

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« On travaille notamment sur le déploiement des Jardins Vavilov, on en a trois et on va bientôt en avoir cinq cette année. Ils sont à la fois là pour multiplier les semences et pour faire connaître au public le sujet de la biodiversité cultivée, les enjeux qu’il y a derrière, et tout le travail de l’Institut Vavilov », conclut ce représentant du Fonds De Natura.

L’inestimable héritage de Nikolaï Vavilov

Riche de près de 350 000 variétés, l’Institut Vavilov s’impose effectivement comme la cinquième banque de graines la plus fournie au monde. Or, si une partie de ces semences est cryogénisée, une autre est conservée à température ambiante et donc cultivée afin de permettre son renouvellement, une tâche minutieuse assurée par la dizaine de stations que compte son réseau à travers la Russie. 

Ce noble travail, l’établissement saint-pétersbourgeois l’a entamé voilà plus de 130 ans. Ayant à de nombreuses reprises changé de nom, il porte aujourd’hui celui de son plus illustre contributeur, Nikolaï Vavilov, qui en a été le directeur de 1921 à 1940. C’est précisément lui qui, au gré de ses pérégrinations à travers 64 pays, a réussi à conserver des semences des plus diverses. À l’époque, ce généticien et botaniste précurseur avait d’ores et déjà entretenu une étroite collaboration avec ses homologues français, et notamment avec la société Vilmorin. Un partenariat se perpétuant donc de nos jours.

Alekseï Zavarzin, directeur adjoint en charge du travail scientifique et organisationnel au sein de l’Institut, se dit lui-même reconnaissant envers ses collègues français ayant initié ce projet après s’être familiarisés avec l’œuvre monumentale de Vavilov.

À ses yeux, cette coopération est en réalité intéressante à plusieurs égards. Elle participe en effet à la promotion des idées, toujours d’actualité, des spécialistes d’autrefois, mais permet également d’attirer « l’attention de larges couches de la société et du monde des affaires quant à la nécessité d’une attitude respectueuse envers les ressources génétiques des plantes de culture, la préservation de l’histoire et l’utilisation de ce qu’ont fait nos prédécesseurs pour le bien des générations actuelles et futures », assure-t-il. Enfin, d’un point de vue purement scientifique, le Projet Vavilov apparaît tout aussi bénéfique, puisqu’il rend possible une étude plus approfondie des anciennes espèces locales, tout en complétant et en soutenant la collection de l’Institut.

Tirant partie de l’expérience centenaire de cette institution, les experts français ont par conséquent d’ores et déjà effectué plusieurs voyages vers la plus vaste des contrées, notamment en 2015 lorsqu’ils se sont rendus, accompagnés de leurs collègues de Saint-Pétersbourg, dans le Caucase russe pour y prélever des échantillons. De futurs déplacements sont aussi au programme, dont un grand rassemblement en novembre prochain dans la capitale impériale, pour la célébration des 125 ans de l’Institut Vavilov, indéniable temple de la biodiversité né de la volonté de quelques enthousiastes en avance sur leur temps.

Dans cet autre article, nous vous révélons Saint-Pétersbourg, où se trouve l’Institut Vavilov, au gré de ses influences françaises.