Cinq contes des peuples de Sibérie

Katerina Plotnikova
Les légendes des peuples sibériens, ce n’est pas uniquement le murmure d’un passé lointain enchevêtré dans les branches des grands cèdres. Ces contes sont un pont entre les habitants des villes et ceux de la toundra, entre mythe et réalité, entre les parties européenne et asiatique de la Russie.

1. Saïan Dormant

Crédit : Olga BarantsevaCrédit : Olga Barantseva

Lorsque les touristes arrivent dans le parc naturel de Iergaki du territoire de Krasnoïarsk (Sibérie orientale), ils essaient souvent de passer la nuit au bord du lac Radoujny. En effet, sur l’une de ses rives, ils ont l’occasion d’admirer le Saïan Dormant, une montagne en forme de visage vu de profil enraciné par ses cheveux de pierre dans la terre : c’est le maître de la taïga locale.

Par le passé, c’était un homme qui gardait les cèdres et les rivières sans jamais toucher aux chevreuils ni aux ours. Les dieux ont décidé qu’après sa mort, ils ne trouveraient jamais un autre maître si noble et l’ont transformé en pierre pour qu’il monte la garde éternellement.

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Sur l’un des sommets près du lac, les touristes peuvent voir la Pierre suspendue, un énorme bloc balançant adroitement au bord d’une pente à pic. Selon la légende, celui qui réussira à précipiter la grosse pierre en bas réveillera Saïan qui redeviendra un homme. Pour l’instant, aucun des milliers de touristes n’a réussi à le faire. Moi non plus, mais peut-être qu’il suffit simplement d’embrasser cet homme pour le réveiller ?

2. L’oiseau de la création du monde vs. l’oiseau de la fin du monde

Crédit : Katerina PlotnikovaCrédit : Katerina Plotnikova

La péninsule de Taïmyr (nord de la Sibérie centrale) avec ses aurores boréales et ses traîneaux de rennes doit son existence à un oiseau. Les autochtones transmettent de génération en génération leur légende sur la création du monde par le plongeon arctique : après avoir plongé en profondeur, l’oiseau ressortit sept semaines plus tard avec, dans le bec, un caillou et un petit grain de terre. Puis il s’endormit aussitôt. Lorsque le plongeon se réveilla, il vit tout autour la terre, les montagnes et les esprits, ces maîtres du ciel et de la terre.

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À la différence des guides de la réserve naturelle de Toungouska (Sibérie centrale), les Évenks qui habitent la région affirment que la météorite de la Toungouska n’a jamais existé et que c’est le dieu de la Foudre Agdy, un oiseau féroce aux ailes d’acier, qui est venu voir sa femme, l’Eau. Cette visite du dieu évenk en 1908 a provoqué un tremblement de terre de magnitude 5, a détruit la forêt sur un rayon d’une vingtaine de kilomètres et a creusé une dizaine de trous d’un diamètre allant jusqu’à 50 mètres.

3. Le conte du maître de la taïga

Crédit : Katerina PlotnikovaCrédit : Katerina Plotnikova

Le folklore des peuples autochtones de Sibérie centrale représente l’ours comme un animal fort et dangereux quand il est en colère, mais sage et bon le reste du temps. Les enfants évenks aiment le conte évoquant l’histoire du grand-père Amaka (c’est ainsi qu’ils nomment l’ours) et d’un écureuil de Corée :

C’est le printemps dans la taïga. Pendant tout l’hiver l’ours a hiberné dans sa tanière. Maintenant que le soleil brille, la neige commence à fondre et l’ours se réveille. Il sort affamé, car il n’a rien mangé durant tout l’hiver. Il va chercher de la nourriture mais rentre bredouille. Il se met alors en colère et s’attaque à une souche qu’il tente d’arracher. Toutefois, il n’y parvient pas, car il n’a plus de forces. Et voici qu’un écureuil de Corée sort de sous la souche et demande : « Amaka, pourquoi es-tu furieux ? » ;  « J’ai faim, as-tu quelque chose à manger ? » ;  « Je vais trouver », répond le petit animal qui apporte à l’ours beaucoup de racines savoureuses et de noisettes puisées dans ses provisions. L’ours, reconnaissant, caresse le petit rongeur de sa grosse patte griffue. Depuis, tous les écureuils de Corée portent des rayures noires sur le dos.

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4. Les mythes cosmiques des Tofalars

Crédit : Lori / Legion-MediaCrédit : Lori / Legion-Media

Lors de mon voyage chez les Tofalars, dans les monts Saïan de la région d’Irkoutsk (Sibérie orientale), je suis tombée dans la bibliothèque de l’école locale sur les Légendes, contes et chansons de Saïan, un recueil folklorique de ce petit peuple de la taïga que les chercheurs ont rassemblé peu à peu pendant de nombreuses années en décryptant les histoires orales des anciens enregistrées sur des cassettes audio à partir des années 1970.

Je feuilletais le livre la nuit, quand le village sombrait dans le sommeil et je m’imaginais que les maisons étaient des pépites que l’homme tentait de trouver dans les rivières aurifères de montagne écumantes, en essayant de comprendre cette culture qui m’était étrangère. Je scrutais le ciel d’encre au-dessus des Saïan à la recherche du Peter Pan tofalar, un petit orphelin emmené sur la Lune. Ou au moins du logo de DreamWorks Animation :

Il était une fois, au temps des contes, une famille de cinq membres qui habitaient dans un tchoum (tente traditionnelle en peau de rennes). Le chef de famille adopta un petit orphelin. Le petit garçon vivait avec les autres. Un soir, la mère envoya l’enfant chercher de l’eau. Il partit après avoir pris le seau en écorce de bouleau et le chaudron. Mais sur la glace il tomba nez à nez avec la vieille sorcière Tchil-baga qui l’emmena avec lui. Depuis, on peut voir sur la lune comme une forme humaine qui tient un seau dans une main et un chaudron dans l’autre.

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Les hommes de la taïga tentaient depuis les temps les plus éloignés de percer les mystères de l’Univers. Ainsi, les contes tofalars racontent notamment l’histoire de la constellation Orion et de celle de la Grande Ourse.

5. Contes de la toundra du XXIe siècle

Crédit : Katerina PlotnikovaCrédit : Katerina Plotnikova

Les contes modernes évoquent non seulement les problèmes des petites villes et de l’écologie, mais également ceux du tourisme : pour trouver de vrais tchoums dans la toundra, il faut faire des efforts.

La candidature d’Anna Nérkagui, écrivain nenets de Yamal (péninsule qui s’avance dans l'océan Arctique depuis la Sibérie occidentale), a été proposée au Nobel de la littérature par l’Université de l’Oural. Dans ses livres, elle parle de la vie dans la toundra et de la culture des Nenets, en balançant entre mythe et littérature :

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Quand on marche sur la terre, on lit sa tragédie comme un livre. Il reste de moins en moins de tchoums au bord de notre chère rivière et de nos lacs. Les rives de notre rivière adorée et de nos lacs sont désertées et restent orphelines. Les lacs pleurent, les fleuves languissent, les rivières meurent <…> La détresse et le silence règnent sur les montagnes. Les feux ne réchauffent plus la poitrine de notre chère terre. Nombre de tchoums sont tombés et ne se relèvent pas. Mais nous qui sommes restés, nous faisons de notre mieux. Pour aimer, créer et relever.

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