Dès dimanche matin, des fleurs ont été déposées devant le bâtiment de la fondation Aide juste et la Maison Alexandrov à Moscou.
Alexander Yanyshev / RIA NovostiLa tragédie impliquant l’avion militaire russe Tu-154, qui s’est abîmé en mer Noire le 25 décembre au matin, n’a pas été, en Russie et dans le monde, n’a pas suscité de compassion unanime – aux côtés des mots de soutien, de nombreux commentaires désobligeants voire insultants ont été proférés à l’égard des victimes, pour la plupart des artistes de l’ensemble Alexandrov de chant et de danse du ministère de la Défense.
« Ces dernières années, en tournée, ils étaient qualifiés d’arme chantante du Kremlin. C’était effectivement le cas. Oui, ils se produisaient en uniforme, faisaient leur devoir et ne pouvaient refuser quand on les envoyer en concert », a déclaré Alexandre Kibovski, responsable du département de la Culture de la ville de Moscou, devant la Maison Alexandrov (le bâtiment où les victimes avaient travaillé l’essentiel de leur carrière). Bizarrement, le fait qu’il s’agisse d’un ensemble militaire est devenu crucial, pour une partie du public, dans le choix de leurs expressions.
92 personnes se trouvaient à bord, dont 68 artistes (le corps principal de l’ensemble), neuf journalistes des chaînes de télévision nationales Perviy kanal, NTV et Zvezda, ainsi que la directrice de la fondation caritative Aide juste Elizaveta Glinka (connue également comme Docteur Liza) qui évacuait les enfants des zones de combats et ouvrait des hôpitaux pour les pauvres à travers la Russie.
Les artistes se rendaient à Alep pour un concert du Nouvel An, tandis que Docteur Liza se rendait sur la base aérienne de Hmeimim pour apporter des médicaments à l’hôpital universitaire de Lattaquié.
« Je n’arrive pas à y croire. Je n’arrête pas de pleurer », écrit Anna Zanina, journaliste de Kommersant, sur sa page Facebook. « Ils allaient souhaiter la bonne année à nos soldats en Syrie. C’est effrayant, mes amis ! », écrit une autre internaute, Ksenia Bougaïeva.
Dès dimanche matin, des fleurs ont été déposées devant le bâtiment de la fondation Aide juste et la Maison Alexandrov à Moscou. Le 26 décembre, une journée de deuil a été déclarée en Russie et les émissions de divertissement ont été annulées sur les chaînes publiques.Après la tragédie, des commentaires de citoyens et de médias ukrainiens ont commencé à paraître sur Internet. La presse russe a qualifié la réaction des Ukrainiens de « moquerie » et de « joie morbide ». L’annonce de la mort de toutes les personnes présentes à bord était accompagnée de commentaires comme « quelle bonne nouvelle ! », « concert en profondeur » et d’autres phrases sarcastiques inappropriées.
« Les victimes ne déplorent jamais les pertes dans les troupes de l’agresseur. À moins d’avoir perdu la raison, les victimes ne peuvent ressentir de compassion sincère à l’égard d’un crash d’un avion de transport militaire du ministère de la Défense de leur ennemi… Les Russes étonnés par la réaction des Ukrainiens ont sans doute oublié la Crimée et le Donbass », écrit l’Ukrainien Aïder Moudjabaïev, directeur adjoint de la chaîne de télévision ATR.
Après le crash, le conseiller du président ukrainien Youri Birioukov a également proposé de déposer devant l’ambassade russe une « bouteille de Boïarychnik », produit cosmétique à base d’alcool qui a récemment fait 70 morts par empoisonnement en deux jours dans la ville sibérienne d’Irkoutsk.
D’autres appelaient pourtant à ne pas y voir une réaction de l’ensemble de la population ukrainienne : « Ceux qui écrivent cela n’ont pas d’ADN, peu importe la nationalité marquée dans leur passeport, affirme le blogueur ukrainien Anatoli Chariy dans son message vidéo. Ce ne sont pas des meurtriers qui sont morts, mais de simples civils… Je voudrais présenter mes sincères excuses pour ces gens [une partie des Ukrainiens, RBTH]. Des millions de mes compatriotes ne feront jamais une chose pareille ».
En Russie, c’est la réaction d’une partie du public libéral qui n’a pas été comprise par tous. Les billets de la chroniqueuse mondaine Bojena Rynska et du journaliste Arkadi Babtchenko ont suscité une vive réaction sur les réseaux sociaux.
« Je me lève et je vois ça. Tout l’ensemble Alexandrov… en entier ! Si cela avait été l’avion entier de NTV… Mais pourquoi ce magnifique ensemble ? », écrit Bojena. Son post a ensuite été supprimé par l’administration de Facebook, alors que Bojena expliquera ses propos en disant qu’en 2013, elle avait failli « mourir littéralement à cause des persécutions de NTV ».
« Je n’ai ni compassion ni pitié. Je n’exprime pas mes condoléances aux proches et aux amis. Comme aucun d’eux ne l’a fait. En continuant à chanter et à danser en soutien au pouvoir ou à déverser l’ignominie depuis les écrans de télévision même après la mort. Je n’ai qu’un sentiment – je m’en fiche », déclare Babtchenko soulignant que les artistes décédés faisaient partie du personnel du ministère russe de la Défense.
D’autres ont directement lié la tragédie aux actions russes en Syrie et se sont empressés d’incriminer le président russe Vladimir Poutine, diffusant le post « Ne serait-il pas temps d’arrêter l’entraînement ? » énumérant toutes les pertes non militaires russes en Syrie, dont le crash aérien dans le Sinaï en octobre 2015 (224 victimes) et l’assassinat de l’ambassadeur de Russie en Turquie.
L’attitude à l’égard des événements est, bien sûr, l’affaire de chacun, mais expliquer en public que ces morts sont logiques est indigne, écrit Stanislav Koutcher, journaliste et membre du Conseil présidentiel pour le développement de la société civile et les droits de l’homme.« On peut être contre Poutine, contre la guerre en général et contre l’opération militaire russe en Syrie. On peut ne pas regarder la télévision et mépriser la propagande. Mais on ne peut pas se réjouir publiquement de la mort de ses compatriotes (ni exprimer son opinion +neutre+ avec les formules +je m’en fiche+, +aucune pitié+, etc.)… Gardez simplement le silence ».
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