Lorsque le 8 décembre, le président Poutine a remis prix d’État pour les réalisations exceptionnelles dans le domaine des droits de l’homme, l’une des plus hautes distinctions gouvernementales, à Elizaveta Glinka, connue également comme Docteur Liza, son discours était tout sauf triomphal.
« Demain, je pars pour Donetsk, puis pour la Syrie, a déclaré le médecin sur un ton austère, qualifiant la guerre d’« enfer sur Terre ». Nous ne sommes jamais certains de revenir vivants ».Des propos qui semblent malheureusement prémonitoires a posteriori. L’avion Tu-154, qui emportait Docteur Liza à Lattaquié en Syrie, où elle amenait un lot de médicaments pour l’hôpital universitaire, s’est écrasé en mer Noire le 25 décembre au matin sans laisser de survivants.
La mort de Mme Glinka a bouleversé l’espace médiatique : les philanthropes, les collègues et les amis de Docteur Liza écrivent des billets emplis de tristesse et de profond respect. « C’était un miracle, un message céleste sur la vertu », écrit Mikhaïl Fedotov, président du Conseil russe des droits de l’homme, dans son nécrologue. Docteur Liza est qualifiée de sainte et comparée à Mère Teresa par des gens de touts bords, hauts fonctionnaires d’État comme opposants fervents au pouvoir en place.
Docteur Liza. Crédit : Sergeï Pivovarov / RIA Novosti
Médecin-réanimateur de formation, Elizaveta Glinka s’est installée dans les années 1980 avec son mari aux États-Unis, où elle s’est familiarisée avec le travail des hospices. Au sein de l’espace post-soviétique, le système de soins pour les maladies incurables n’en était alors qu’à ses débuts.
De retour des États-Unis, Docteur Liza a participé au travail des maisons de soin moscovites et a créé le premier établissement de ce type à Kiev. « Le droit à une mort digne – à temps et sans douleur – doit être assuré à chacun », disait-elle.
En 2007, Mme Glinka crée l’organisation caritative Aide juste. La fondation existe toujours et aide les malades en phase terminale, les personnes âgées isolées, les personnes handicapées et les sans-abris. Chaque mercredi, le personnel d’Aide juste se rend dans les gares de Moscou où ils auscultent, nourrissent et soignent les SDF oubliés par l’État et la société.
« Pour Mme Glinka, une aide juste est celle qui peut être apportée à tous ceux qui en ont besoin », écrit la journaliste Katerina Gordeïeva, proche de Docteur Liza. Le médecin et sa fondation s’efforçaient, en effet, d’aider tout le monde.
En 2010, ils recueillaient des dons pour les victimes des incendies de forêt, en 2012, pour ceux qui avaient perdu leurs logements après les inondations dans le sud de la Russie. Quand la guerre a éclaté dans l’est de l’Ukraine en 2014, Glinka ne pouvait pas y rester indifférente.
Docteur Liza a fait plus de 20 voyages dans les zones de bombardement, risquant sa vie pour sauver les enfants malades pris au piège : leurs hôpitaux s’étaient retrouvés dans l’épicentre des combats. Avec l’aide de Mme Glinka et de ses collaborateurs, les enfants ont été évacués.
Mme Glinka rejetait, par ailleurs, toute politique. « Je ne suis du côté de personne, je suis du côté des enfants faibles et malades laissés, pour telle ou telle raison, sans assistance », disait le médecin dans un entretien avec Kommersant FM.Glinka disait vouloir amener tous les responsables politiques qui avaient entamé la guerre dans l’unité de soins intensifs accueillant les enfants blessés de Donetsk pour leur montrer ce qu’ils avaient fait.
Pour Docteur Liza, il n’y avait pas de différence entre les malades mourant dans les hospices et les sans-abris, les enfants du Donbass et de la Syrie – elle cherchait à aider tout le monde, restant toujours personnellement impliquée.
Elizaveta Glinka. Crédit : Iliya Pitalev / RIA Novosti
« Médecin accompli, épouse aimée et aimante, mère heureuse de trois fils, elle n’était pas obligée de partir en Syrie à une semaine du Nouvel an », écrit Gordeïeva. Mais pour Glinka, il était important d’être là « où les gens souffrent le plus, où l’on peut et l’on doit aider ». C’est ainsi qu’elle s’est trouvée à bord du Tu-154 le 25 décembre au matin.
Le discours que Docteur Liza a prononcé le 8 décembre parlait des horreurs de la guerre et des souffrances des enfants dans le Donbass et en Syrie, tout en prédisant involontairement sa propre mort, mais terminait toutefois sur une note optimiste : « Mais nous sommes convaincus que la bonté, la compassion et la miséricorde sont plus puissantes que toutes les armes. Merci ».
Réagissez à cet article en soumettant votre commentaire ci-dessous ou sur notre page Facebook
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.