Retrouvez la version intégrale de l’entretien en russe dans le magazine Nation (Нация).
« Un de mes ancêtres était certainement un des cosaques qui a traversé les Alpes avec Souvorov, dit en plaisantant Benjamin Forster. Sinon, comment expliquer qu’il y ait tant de russe en moi ? ».
Ce Suisse de Zürich vit en Russie depuis 2010. Il s’est marié à une Russe, a eu un fils, s’est construit une maison, est devenu apiculteur, cosaque et même vieux-croyant. Nous l’avons rencontré et il nous a raconté sa vie en Russie.
Communauté étrangère dans une petite ville de province russe
Benjamin Forster et sa famille vivent à Pereslavl-Zalesski. Dans cette petite ville située à 130 kilomètres au nord de Moscou vivent également un Néerlandais, un Français, un Cubain et plusieurs Américains. L’Allemande Anja Pabst s’est installée non loin de là.
Benjamin Forster explique la présence d’étrangers à Pereslavl par sa proximité de Moscou et la richesse de l’histoire de la région. Pereslavl et Moscou ont été fondées par un seul et même prince : Iouri Dolgorouki. C’est à Pereslavl qu’Alexandre Nevski est né. Pierre Ier faisait manœuvrer les navires de sa flottille « pour jouer » (потешная флотилия) sur le lac Plechtcheïevo.
Pereslavl-Zalesski appartient à l’Anneau d’Or. Outre les monuments historiques de la ville, les touristes peuvent rendre visite à l’apiculteur Benjamin Forster sur son exploitation.
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Vénia, le diminutif du prénom Benjamin
Benjamin Forster ressemble à un véritable preux russe : il fait deux mètres, a de larges épaules. Il a construit sa maison dans le style russe et l’a équipée de tout le matériel qui est nécessaire pour s’assurer une vie confortable et travailler : une machine à café, des ordinateurs, des imprimantes, dont a besoin sa femme Catherine qui est photographe professionnelle.
« Ici, tout le monde m’appelle par mon prénom Benjamin ou par son diminutif : Vénia. C’est mon nom de baptême », précise l’apiculteur suisse. Sa famille et lui sont vieux-croyants. Mais, ils vivent normalement, sans se priver de l’essentiel. « Nous respectons les rites de l’orthodoxie tels qu’ils étaient en vigueur avant les réformes de 1654 du patriarche Nikon. »
Ses voisins disent de Benjamin Forster qu’il est ouvert, hospitalier et simple. Un des leurs en somme, Russe.
« J’ai toujours été comme cela. Et cela me rend très différent des autres Suisses. Un exemple : en Suisse, lorsqu’on organise un pique-nique, chacun apporte sa nourriture et ne mange celle qu’il a apportée. En Russie, on fait table commune, on partage tout, il n’y a pas de différence entre ce qui est à vous et ce qui est à moi. Je l’ai vu chez de Russes en Suisse et cela m’a beaucoup plu. »
PourquoilaRussie ?
En Suisse, Benjamin Forster avait pour amis les fils d’Anatoli Koriaguine, un psychiatre soviétique qui s’était opposé à l’instrumentalisation de sa discipline pour la lutte contre la dissidence politique. En 1987, sa famille et lui avaient été obligés d’émigrer.
Les jeunes amis de Benjamin Forster lui ont raconté beaucoup de choses sur la Russie. Après la chute de l’URSS, la famille Koriaguine est rentrée en Russie et s’est établie à Pereslavl-Zalesski. Benjamin Forster a rendu visite à ses amis durant l’hiver 1996. Il s’est tellement plu chez eux qu’il a ensuite passé toutes ses vacances en Russie. Il y faisait des parties de pêche, des piques-niques en pleine nature, de courts voyages à travers le pays.
Les bains russes (баня) lui ont beaucoup plu. Il n’hésite pas à prendre des bains de vapeur extrêmement chauds. Beaucoup qui le savent pensent qu’il est russe.
Comment est-il devenu apiculteur ?
C’est un ami russe qui a fait découvrir l’apiculture à Benjamin Forster. À cette époque, celui-ci traversait une période difficile : en Suisse, il venait de divorcer de sa première femme. Elle était aussi russe mais n’avait pas voulu le suivre en Russie. Pour essayer de penser à autre chose, il a commencé à s’intéresser aux abeilles.
En Suisse, il est difficile de monter son exploitation apicole. En Russie, c’est plus facile : les prés où poussent des herbes hautes ne manquent pas.
« J’ai commencé à faire du miel à la russe mais j’ai compris que ce système présentait de nombreux points faibles. J’ai repris des cours et je fais maintenant du miel en appliquant la technique suisse. »
Benjamin Forster nous explique que l’apiculture soviétique avait atteint un niveau très élevé. Mais, à l’époque de la chute de l’URSS, un nouveau parasite des abeilles est apparu. En Russie, on lutte contre lui avec des pesticides, ce qui se ressent sur la qualité du miel.
« Je me forme en permanence : j’étudie les dernières publications en allemand, j’utilise des techniques modernes qui permettent de garantir la qualité du miel. C’est pourquoi le mien est deux fois plus cher que celui en vente en magasin », dit Benjamin Forster.
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Comment est-il devenu orthodoxe ?
Les parents de Benjamin Forster étaient protestants. À l’adolescence, il était en quête d’une autre spiritualité pour lui-même. Il est allé plusieurs fois au temple, mais l’atmosphère « froide » des offices protestants ne lui a pas convenu. Ce sont ses amis russes qui lui ont fait découvrir l’orthodoxie. Il les a accompagnés une fois dans une église orthodoxe en France.
« Là, tout était différent : des icônes protégées par des revêtements dorés, une puissance, une beauté, un mystère », se souvient Benjamin Forster. Un prêtre lui a conseillé d’aller chercher les réponses à ses questions au mont Athos. Il y avait alors un moine germanophone. Le jeune homme s’y est rendu, a rencontré ce moine et s’est converti à l’orthodoxie. Son parrain est son ami Alexandre Koriaguine.
Femme russe, communauté cosaque et « assurance russe »
Benjamin Forster a rencontré sa seconde femme russe sur un site orthodoxe de rencontres. Savva, leur fils, a maintenant 4 ans.
À Pereslavl-Zalesski, l’apiculteur s’est aussi intéressé à la culture cosaque. Le maniement des sabres l’a captivé. Il s’y est essayé et s’est tout de suite montré très doué dans cet exercice. Un an plus tard, il est devenu champion devant 140 participants aux épreuves d’un concours de maniement d’armes blanches.
Aujourd’hui, il se considère comme un véritable cosaque. Il chante des chansons cosaques en russe à toutes les fêtes auxquelles il participe. Il a appris le russe presque uniquement à l’oral. Il fait visiter son exploitation apicole, communique avec des Russes et a appris et se perfectionne de cette façon.
« En Suisse, tout est assuré. Votre vie, votre maison, vos affaires. Quand le risque se réalise, l’État vous compense vos pertes. En Russie, c’est autrement : aujourd’hui, votre voiture tombe en panne, demain, ce sera au tour de la mienne et l’on s’entraide. C’est ce que j’appelle l’"assurance sociale". D’un côté, vous êtes certain d’être aidé et, de l’autre, vous avez le plaisir d’aider quelqu’un. »
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