Faire de la Russie sa maison? Témoignage de la Française Cécile Rogue

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VALERIIA ANIKUSHINA
Amoureuse de la langue et de la culture russes depuis ses études à l’école, Cécile Rogue, Française installée à Moscou depuis 25 ans déjà, est devenue aujourd’hui en quelque sorte ambassadrice informelle de la France en Russie, tandis que son école l’Art de vivre à la française apparaît comme le point de rencontre des deux cultures. Russia Beyond vous présente aujourd'hui son histoire exceptionnelle pleine de rebondissements, qui lui ont permis de faire de la Russie sa vraie maison.

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« Un petit morceau de la Russie au fond du couloir à droite » 

Il est rare que nous connaissions avec certitude notre vocation dès notre plus jeune âge. Cependant, il semble que le destin de Cécile Rogue, née à Rouen dans une famille de professeurs de lettres, ait été décidé à l'avance. En 1980, lorsqu’il lui fallait choisir une langue étrangère à apprendre en 6ème, penchant au début pour le chinois, Cécile est finalement entrée par hasard dans le monde de la langue russe. Ce voyage a duré 8 ans jusqu’au bac, accompagné d’« une professeure absolument incroyable et excentrique » qui intriguait profondément les enfants, en faisant de sa classe un petit coin de Russie. « Lors de la première leçon, nous avons tous reçu des noms russes et pendant 8 ans j’étais Svetlana. À chaque fois c’était un autre monde en effet, se souvient Cécile. Ça n’avait rien à avoir avec ce que j’étais en train de vivre au quotidien. J’avais mal au cœur pour ceux qui faisaient de l’anglais et qui se souciaient d’être une classe standard, alors que nous avions tellement de choses intéressantes ! ». Ainsi, dès 13 ans, Cécile était persuadée qu’elle allait lier sa vie à la langue russe et sa passion pour tout ce qui représente la culture de ce pays s'est progressivement renforcée. La première étape a été son premier voyage en URSS avec sa classe durant l’hiver 1983 et, comme l’admet Cécile, cela a bouleversé sa vie. Puis, elle a poursuivi ses études à la Sorbonne en tant que philologue, en se spécialisant dans l’anglais et à l’Institut des Langues Étrangères pour le russe.  

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« Arrivée en Union soviétique, partie de Russie »

Le hasard réapparaît dans la vie de la jeune étudiante lorsque, en 1991, elle gagne une bourse, fournie par la Société d’amitié France-URSS, pour aller étudier à l’Institut Pouchkine à Moscou. Il n'est pas exagéré de dire que les années 1991-1992 pour l'histoire russe moderne sont parmi les plus décisives, remplies d'événements inattendus. Mais c’est avec chaleur que Cécile se souvient de cette année d’échange, accompagnée d’innombrables changements dans le pays qu’elle aime tant, mais aussi par des gens amicaux et curieux à l’idée de rencontrer des Français. D’après Cécile, cela a été la meilleure année de sa vie, pendant laquelle elle a pu parcourir toute la Russie.

Le désir de vivre à Moscou s'est alors définitivement installé dans son esprit. De retour en France, Cécile a travaillé pendant trois ans au sein de l’équipe d’Aeroflot à l’aéroport de Charles de Gaulle. Elle en a profité pour améliorer sa maîtrise de la langue russe, comme Cécile plaisante elle-même, « rien n'aide autant à améliorer la langue que de négocier pour chaque kilo de bagages ». Puis, une fois le contrat de son patron arrivé à terme, elle a accepté de partir avec lui à Moscou pour y bâtir une agence touristique spécialisée dans les voyages individuels et personnalisés en France et dans ses régions. 

« Je suis vraiment chez moi ici » 

Une fois arrivée dans la capitale russe en avril 1995, Cécile n’est finalement jamais repartie et elle a su aisément se faire de nombreux amis. « S’intégrer dans la société russe n’était pas du tout difficile. Je suis venue de mon plein gré, ça me plaisait et je travaillais dans une boîte russe qu’avec des Russes ! En effet, il était plus compliqué pour moi d’entrer dans la communauté d’expats français à Moscou à l’époque, car il y avait un gros front d’incompréhension entre nous », relate Cécile les souvenirs de ses premières années en Russie.

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Selon elle, la recette de cette intégration réussie est assez simple et se compose de plusieurs choses : « Il faut avoir une certaine dose de fantaisie, ne pas se formaliser, et en même temps il faut être assez tolérant, ouvert et prêt à partir à l’aventure parfois à la dernière minute ». Cécile admet que même après 25 ans il y a des choses qui la surprennent encore chez les Russes, toutefois, il semble qu’elle ait pu comprendre « la mystérieuse âme russe». En fait, ce sont ces traits nationaux des Russes qu’elle apprécie tant : la générosité, l’avidité de vie et d’émotions, ainsi que le côté un peu fantasque et résolument cultivé. « En Russie, il y a cette espèce de chaleur humaine très forte, en tout cas c’est que je ressens, moi », en conclut Cécile. 

« Club des gens qui aiment la France »

Tout en poursuivant ses activités touristiques, mais en solo, Cécile lance en 2013 son propre projet : l’école l’Art de vivre à la française, dans le but de rapprocher la Russie et la France, ou plutôt les peuples des deux pays. Ainsi, elle considère son école, située au cœur de Moscou, comme un lieu d'échange et de rencontre : « c’est un endroit pour ceux qui soit ne pouvaient pas aller en France avant pour différentes raisons, soit maintenant pour des raisons évidentes. Ils peuvent y découvrir ce qu’ils aiment en France et les gens qui sont derrière ». Il s’agit donc d’un petit coin français où Cécile, grâce à son réseau développé au cours de toutes ces années, fait découvrir les savoir-faire français et ses porteurs aux Russes passionnés par la France et désireux de rencontrer des Français. Pour connaître cet art, de multiples évènements sont organisés, par exemple, des conférences, soirées à thèmes et ateliers interactifs sur des thèmes divers : la mode et le style français, la gastronomie, la dégustation de vins et l’étiquette, ainsi que l’art de créer une jolie table ou l’art floral à la française. Simultanément, Cécile partage avec le grand public son expertise sur la France et toutes les spécialités françaises, ainsi que les choses qui lui plaisent en Russie sur son blog. « J’adore écrire en russe, c’est ma passion en quelque sorte ! En même temps, c’est un bon moyen pour donner de mes nouvelles et mon point de vue sur la vie, ainsi que pour expliquer ce qu’on fait et proposer des activités, voyages et sorties », raconte Cécile.

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La notion d’« art de vivre à la française » pour Cécile est fortement liée à la façon dont on organise notre quotidien. « Je pense qu’il s’agit avant tout d’une sensibilité particulière aux plaisirs quotidiens. En effet, c’est la manière de mettre du joli et du bon dans sa vie quotidienne, c’est-à-dire de faire attention aux petits détails qui nous accompagnent tout au long de la journée, de les savourer et d’en tirer de la satisfaction », donne sa définition Cécile. Habitude posée depuis l'enfance pour Cécile, cette façon de vivre est en effet un héritage universel transmis dans de nombreuses familles françaises de génération en génération. En comprenant qu’en raison de péripéties historiques difficiles, les Russes ont moins cette habitude de saisir chaque jour les petits moments de plaisir, Cécile tient donc avec son école à les aider à développer cette aptitude « La vie est parfois rude ici et tu dois compter sur toi-même pour te débrouiller… En général, on vit aujourd’hui dans un monde rapide où il faut gagner sa vie et écraser les autres pour avancer. Beaucoup de gens, et pas de leur faute, n’essayent pas de se doter de la morale ou de se faire plaisir, et tout simplement de s’accorder un peu de temps à soi-même », explique Cécile.

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