Fin d’un mythe? Regards de francophones sur la vodka, la plus célèbre des boissons russes

Alexander Kislov
L'attitude des Russes vis-à-vis de la vodka évolue, et ne correspond pas toujours aux attentes des visiteurs étrangers. Des francophones qui ont vécu en Russie pendant longtemps évoquent leurs expériences liées à cette boisson alcoolisée et les traditions qui y sont associées.

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Lorsqu'un Français du nom de Yann (le prénom a été modifié) a déménagé en Russie, notre conversation a un jour abordé le sujet de l'alcool. Aspirant traducteur, profondément fasciné par la culture russe, Yann donnait l'impression d'une personne très cultivée. J'ai alors demandé avec précaution : « As-tu déjà goûté de la vodka russe dans ta vie ? ». Yann a réfléchi une minute, puis répondu mélancoliquement : « Probablement 200 fois. Et toi ? ». « Hmm... Probablement une fois », dis-je. Et nous nous sommes regardés avec des yeux écarquillés de stupéfaction.

L’affirmation selon laquelle tous les Russes boivent de la vodka au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner est un stéréotype indélébile que les habitants du pays rencontrent chaque fois qu'ils parlent avec un étranger. Nous avons décidé d'en discuter avec plusieurs francophones afin de démystifier certains aspects de la vodka, et peut-être d'en confirmer d'autres.

Attention ! Presque toutes les informations ci-dessous sont basées uniquement sur l'expérience personnelle des personnes interrogées et ne prétendent pas être une représentation objective à 100% de la réalité.

1. La vodka russe, pas vraiment une découverte pour les étrangers

« La première fois que j’ai bu de la vodka j’étais très (trop) jeune, j’avais 14 ans », admet Julien, 23 ans, étudiant dans une université de Moscou, qui avait auparavant étudié le russe dans un lycée français. Cette aventure adolescente un peu extravagante s'est déroulée en Russie, lors d'un voyage scolaire dans l'une des plus anciennes villes du nord de la Russie, Veliki Oustioug. « Je me souviens qu’on avait acheté une bouteille de vodka pour la boire dans le train, raconte le Français, avant d’ajouter en riant : Je n’aimais pas du tout ça, j'avais du mal à déglutir ».

L'histoire de Julien est cependant plutôt rare et de nombreux étrangers « font connaissance » avec la boisson alcoolisée mondialement connue avant même leur premier voyage en Russie. Par exemple, François, un réalisateur canadien connu notamment pour son court-métrage consacré à Norilsk Sur la lune de nickel, a essayé la vodka pour la première fois au Canada. « Dans mon pays natal la vodka est bue fréquemment, mais rarement pure ou sans tonic, jus etc....», dit-il.

>>> Des églises en bois aux temples bouddhistes: un Français ayant exploré la Russie en 44 jours raconte

Son premier souvenir marquant lié à de la vodka est également associé au Canada, mais cette fois, ce n'était pas sans la participation des Russes. « Ça remonte à environ 2004, lorsque nous fêtions le Nouvel an avec la communauté russe, narre-t-il. J'avais adoré d'être au grand froid au cœur de la forêt à regarder un sapin brûler tout en buvant une vodka. J'en garde un superbe souvenir ».

2. De nombreux Russes ne boivent pas de vodka (et boivent généralement peu d’alcool)

Incroyable, mais vrai : de nombreux habitants de Russie ne boivent jamais cette boisson alcoolisée. « Avant mon arrivée au pays j'avais comme beaucoup des préjugés sur les Russes et leur propension à abuser de leur célèbre "petite eau", partage Augustin avec nous après avoir visité la Russie à trois reprises. Pendant mes séjours, j'ai effectivement croisé sur place plusieurs personnes qui correspondaient à ce cliché, cependant, pour la majorité des gens l'alcool est festif et occasionnel, et la vodka loin d'être systématique ». « En même temps, beaucoup de ceux avec qui j'ai eu l’occasion de communiquer ne boivent jamais, explique-t-il avec dépit : Ce mythe typiquement russe s'effondrait sous mes yeux ».

Il est à noter que l'expérience d'Augustin est à cet égard est unique, puisqu'il a, entre autres, eu la chance de passer un an en République du Tatarstan, dont un peu plus de la moitié des habitants sont musulmans. « À Kazan, certains ne boivent pas par conviction religieuse. Pour d'autres, c'est plutôt un choix personnel car l'alcool ne correspond pas à leur style de vie, explique le Français. En général, je pense que la situation concernant l'alcoolisme en Russie évolue dans le bon sens. La vodka reste néanmoins une institution et une ambassadrice de la Russie à l'étranger », poursuit-il.

Conséquence du cliché présentant la Russie comme un pays où tout le monde boit de la vodka, beaucoup pensent qu'elle devrait être le leader mondial en termes de volume d'alcool consommé par an et par habitant. Et pourtant, la Russie n'apparaît même pas dans le top dix de ces pays. Ainsi, selon l'Organisation mondiale de la santé pour 2016-2018, un habitant de Russie consomme 11,2 litres d'alcool par an (26e au monde), alors que, par exemple, en France, ces chiffres étaient légèrement plus élevés - 12,3 (11e place). Les Seychelles (20,3), l'Ouganda (15,1) et la République tchèque (14,5) arrivent en tête de cette triste liste.

>>> Comment les Russes ont changé ma vie: témoignage du Français Augustin

3. Les jeunes Russes n'aiment pas beaucoup cette boisson

Damien, qui vit en Russie depuis environ sept ans maintenant, boit de la vodka à chaque fête, et parfois pour accompagner les repas quand il est avec des personnes russes âgées. « Il me semble que les jeunes n'en boivent presque pas, remarque-t-il. Parfois, il est le seul de toute la soirée à consommer cette boisson alcoolisée... Le fait est qu'entre le mauvais vin et la bonne vodka, je préfère choisir cette dernière », explique-t-il en riant. Pour illustrer cette contradiction amusante, Damien évoque une histoire qui lui est arrivée lors d'un mariage russo-allemand à Moscou. « Sur chaque table il y avait des bières et un carafon de vodka, j'étais entouré d'Allemands et d'un Russe qui n'osait pas boire de la vodka, tout était très calme, alors je lui ai proposé de la commencer, et le mariage a pris une teinte toute autre, car tout le monde a commencé à parler ! », raconte-t-il.

Julien est entièrement d’accord avec Damien : « Dans mon dortoir, on voit souvent des étudiants étrangers boire de la vodka, tandis que les Russes préfèrent la bière artisanale et certains préfèrent le vin », explique-t-il. Selon les observations du Français, parmi les jeunes Russes, l'alcool et en particulier la vodka a une connotation assez négative, il est perçu comme quelque chose de mauvais pour la santé, de dégradant. « Mes amis russes boivent beaucoup moins régulièrement que mes amis français, mais boivent en plus grande quantité quand ils font une soirée, dit-il. Par contre à la caisse des magasins d’alimentation, il n’est pas rare de voir quelqu’un acheter une, voire deux bouteilles de vodka ».

Il convient de noter que les données des sondages ne contredisent pas les informations fournies par nos intervenants. Ainsi, selon une étude menée en 2018 par l’institut VTsIOM chez les jeunes de 18 à 24 ans, le pourcentage de non-buveurs est de près de 60%.   En général, les jeunes Russes se désintéressent de l'alcool : les millenials  (personnes nées en 1982-2000) boivent 25% de moins que la génération précédente. De l’avis des sociologues, cela pourrait être dû à l'élévation du niveau de vie, au dépérissement progressif de la culture de la fête, à la tendance favorable à un mode de vie sain, etc. Pour en savoir plus à ce sujet, lisez cette autre publication.

>>> Pourquoi les Russes aiment-ils tant la vodka?

4. La vodka est bue plus souvent par les résidents des régions du Nord

« Mes amis russes du Nord boivent souvent de la vodka. Par contre, à Moscou ou Saint-Pétersbourg, il y a ceux qui boivent, et ceux qui ne boivent pas du tout », constate François, qui sait de première main à quoi ressemble la vie dans l'Arctique russe.

Pendant qu'il travaillait là-bas sur le tournage de son documentaire, le Canadien a beaucoup communiqué avec les habitants, qui l'ont initié aux rituels russes liés à l'alcool fort traditionnel.

« Alors que nous mangions et buvions avec des travailleurs d’une mine à Norilsk, l'un des mineurs nous avait raconté une blague sur la différence entre les Anglais et les Russes : "Les Anglais partent sans dire au revoir, alors que les Russes disent au revoir, mais ne partent pas". Pour expliquer sa blague, il nous avait a évoqué la tradition du посошок. (Selon cette coutume russe appelée possochok, lorsqu'un invité quitte la fête, en signe de respect pour les hôtes, il doit boire jusqu'à 10 shots de vodka cul sec - ndlr), dit-il. Quand je parle du possochok à Montréal, les gens ont envie d'essayer ! Mais une seule fois seulement, car tout le monde devient saoul à la fin de la soirée ! C’est intense ! ».

Les observations François, coïncident partiellement avec les données officielles (si l'on considère la consommation d'alcool dans le pays dans son ensemble). Selon le rapport du Centre des marchés fédéraux et régionaux de l'alcool pour 2018, les résidents des régions du nord de la Russie, telles que la Nénétsie (28,6 L), Sakhaline (28,3 L) et Magadan (28,5 l) sont ceux qui boivent le plus d’alcool par an. Dans le même temps, la région de Moscou n'est pas loin derrière, le résident moyen de la capitale consommant environ 25,8 litres par an.

5. Boire de la vodka avec des Russes, c'est parler à cœur ouvert

Boire de la vodka sur la glace du lac Baïkal tout en parlant des chamans locaux, en se promenant le long des étangs du Patriarche en plein centre de Moscou ou dans un compartiment accompagné du roulis du transsibérien est un classique du genre, sans lequel il semble difficile d'imaginer une véritable immersion dans la réalité russe. Il se peut que la mythique authenticité russe, souvent associée à la vodka, libère les langues des représentants de cultures différentes et détruise les barrières linguistiques.

>>> Une Française ayant vécu un an dans la province russe se confie

« Une fois, j'étais à Petrozavodsk, où j'ai été reçu par une famille russe, nous raconte Julien en confirmant cette histoire. J'étais encore à l'école et avant de quitter la France, mes parents m'ont demandé de ne pas boire. Mais c'était une occasion très spéciale... ». Le père de la famille d’accueil a emmené le Français avec lui à la pêche, qui est le passe-temps le plus sacré des hommes russes.

Pendant le voyage, l'homme a proposé à Julien de boire un verre en mangeant du saindoux (salo), entourés de la beauté inénarrable des lacs de Carélie ! Accompagnés du crépitement joyeux d'un feu de bois, les hommes se mirent à parler très sincèrement de la vie. « Je ne comprenais pas forcément tout, mais lui et ses amis me racontaient leur vie en Russie : les bienfaits de la pêche et de la nature, comment ils avaient vécu les années 90, Moscou, la Carélie, les animaux sauvages qu’on pouvait rencontrer », se rappelle Julien.

Un de ces simples hommes russes, celui qui pêchait le mieux, raconta tout à coup comment un jour il était tombé sur un ours, et ce qu'il fallait faire dans ce genre de situation... « Je ne sais pas combien nous avons bu, mais le lendemain, nous nous sommes levés tôt le matin et avons continué à pêcher comme si de rien n'était », raconte le Français en riant.

Dans cet autre article, découvrez le témoignage de quatre étrangers, dont deux Français, ayant décidé de s’installer dans la province russe. 

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