Vêtu d’un costume gris, un vigile d’un certain âge regarde non sans espoir sa montre – dans 7 minutes le centre commercial sera enfin fermé. Il tourne son regard vers la boutique la plus proche de lui et se jure de changer de travail : des hordes de femmes jettent des vêtements çà et là, les cabines d’essayage sont toujours remplies et des gens se bousculent devant les caisses.
Pendant ce temps, une jeune beauté, correspondant à merveille aux standards actuels d’Instagram, se présente à l’entrée. Son regard de chasseuse a déjà repéré la robe de ses rêves à l’autre bout du magasin et elle n’est pas prête à céder.
« Mademoiselle, les caisses sont fermées, les cabines d’essayage aussi », tente d’intervenir le vigile.
Mais elle réalise un saut et au bout de quelques instants se perd au milieu des cintres auxquels sont accrochés des robes en soldes.
C’est ainsi que depuis quelques années se déroule le Black Friday en Russie, qui est pourtant loin d’être l’événement de baisse des prix le plus important du pays. Quand les Russes partent-ils donc à la chasse aux soldes et pourquoi critique-t-on ici le Black Friday ?
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Cette année, pratiquement tous les bloggeurs de YouTube de renom faisaient la promo du Black Friday. Ainsi, le techno-bloggeur le plus populaire du pays, Wylsacom, a consacré une émission entière à la revue des soldes sur AliExpress.
Deux semaines plus tard, il a écrit sur son compte Twitter : « Une semaine nous sépare du Black Friday, et j’en peux plus ». Et la plupart des internautes partagent son avis.
Il s’avère qu’en Russie le Black Friday jouit d’une mauvaise réputation en raison des escroqueries des commerces : beaucoup d’utilisateurs ont remarqué que, dans un premier temps, les magasins haussent exprès les prix, puis, le jour J venu, les baissent jusqu’aux prix initiaux.
« Il y a encore un mois, les prix étaient bas. Aujourd’hui ils sont élevés et à l’approche du Black Friday ils les baisseront à nouveau. C’est ça leur période de soldes », s’indigne l’utilisateur Twitter @akool_tw.
@grisha2039 explique pour sa part avoir échoué à acheter une manette pour sa Nintendo Switch, car le jour des soldes son prix a augmenté, passant de 4 500 roubles (66 euros) à 6 500 (95,50 euros) !
D’autres estiment qu’il faut organiser en Russie un Black Friday sur les produits et services de première nécessité.
« Il faut inventer un #BlackFriday où l’on peut payer ses charges, son hypothèque ou son crédit avec un rabais de 50% », estime @elonbars.
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Enfin, les Russes sont nombreux à douter que la plupart de leurs compatriotes puissent économiser le jour de ces soldes, car les prix restent inabordables pour beaucoup de gens.
« Je ne me laisserai pas faire le jour du Black Friday ! Quel est mon secret ? Je n’ai pas d’argent ! », écrit @Vadim_Anatolich.
Maria*, secrétaire de 59 ans, possède une carte de crédit avec une limite d’à peu près 900 euros. Elle vit dans un T1 en périphérie de Moscou et son logement a besoin depuis longtemps d’une rénovation. Pourtant, ses armoires sont remplies de vêtements. Trois fois par an – avant le Nouvel An, fin janvier et fin juillet – elle dépense pratiquement tout l’argent qu’elle a sur sa carte pour des vêtements en soldes.
« C’est n’importe quoi votre Black Friday. Deux semaines après commencent les soldes précédant le Nouvel An et on peut acheter des robes et des jeans à moins de 1 000 roubles (15 euros). Quand en janvier, des pulls et des t-shirts coûtent 200-300 roubles (moins de 5 euros) ! Comment s’empêcher d’en acheter une paire ? », s’exclame-t-elle.
En été, les soldes commencent en juin, mais vers la fin, les prix touchent le fond.
En outre, en Russie on organise des soldes demi-saisonnières, et des Nuits de soldes, mais les rabais ne dépassent pas le seuil de 30-40%, alors qu’en été et en hiver ils peuvent aller jusqu’à 70-80%.
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Le reste du temps, Maria alloue la majeure partie de son salaire au remboursement de son crédit. Elle ne cache pas être une accro du shopping, mais n’y peut rien – chaque nouvelle pièce lui donne de la confiance, surtout lorsque ses collègues lui font des compliments.
Malgré la méfiance envers le Black Friday, en 2019, l’action a été un succès. En trois jours (du 29 novembre au 1erdécembre) les Russes ont dépensé 22,3 milliards de roubles (près de 328 millions d’euros) en ligne, soit une hausse de 30% par rapport à la période analogique de l’année précédente, selon les données communiquées à l’agence TASS par le président de l’Association des compagnies spécialisées dans le commerce en ligne. Pendant cette même période, AliExpress a enregistré un chiffre d’affaires de plus de 7 milliards de roubles (102 millions d’euros), selon les données de leur service de presse. En outre, ils ont organisé un déstockage important les 11 et 12 novembre, pendant lequel les Russes ont dépensé 17,2 milliards de roubles (252 millions d’euros).
Ce sont les vêtements, les chaussures et les accessoires qui s’avèrent être les articles les plus prisés. Les appareils ménagers et la réservation d’hôtels sont un peu moins demandés.
En dépit des hordes que l’on pouvait voir dans les centres commerciaux, il est de plus en plus rare que les Russes achètent des vêtements offline, écrit le journal Kommersant, se référant à une étude de Nielsen et Watcom Group. Les habitants des grandes villes optent plutôt pour les achats en ligne avec livraison à domicile. La baisse des achats dans les magasins physiques concerne non seulement les vêtements et les chaussures mais aussi les produits de consommation courante, dont le café, les shampoings, la lessive en poudre et la nourriture pour chats.
Selon une consultante de JosDeVries The Retail Company, Irina Bolotova, les produits qui jouissent d’une énorme popularité en ligne sont voués à disparaître des rayons. Certes, les produits de première nécessité seront disponibles dans les magasins du coin, mais la diversité sera beaucoup moins importante.
* Le nom a été changé à la demande de l’intéressée.
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