De quoi les Russes tirent-ils leur fierté patriotique?

Irina Baranova
Oubliez les illustres écrivains et scientifiques de génie, ce ne sont pas eux qui mettent les larmes aux yeux des Russes lorsque ces derniers entendent leur hymne national.

Gagarine dans l’espace, la victoire lors de la Seconde Guerre mondiale, la poésie, la langue, l’humour, l’équipe de hockey, tant de choses qu’il est possible de citer lorsqu’il est question de la fierté des Russes. Même l’évocation de l’étendue du territoire national parvient parfois à susciter des élans patriotiques chez certains.

Toutefois, chacun de nous est en mesure de mentionner plusieurs illustres concitoyens et d’affirmer : « Je suis fier d’être Français, Algérien ou Suisse ». Mais que reste-t-il aux Russes si l’on laisse un instant de côté Dostoïevski, Tchaïkovski, Tarkovski et Gagarine ? Ces quelques histoires personnelles, livrées par des internautes, vous l’expliqueront mieux que la mention de centaines d’autres héros et épisodes glorieux de Russie.

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Les Russes ne se plaignent pas. Jamais.

« Quand j’avais dix ans, mon père a perdu le contrôle de la voiture. C’était une sombre nuit kazakhe, les routes étaient gelées, et la voiture a tourné deux fois sur elle-même avant de se stabiliser. Il a arrêté la voiture, respiré profondément, et s’est retourné pour vérifier que j’allais bien », se souvient la Sibérienne Ioulia Kvatch.

Alexandre Nemenov

Cette nuit-là, elle a vu son père comme elle ne l’avait jamais vu. Bien qu’auparavant elle avait observé des traces d’inquiétude sur son visage, lorsque l’économie s’est effondrée, que les budgets dans la ville kazakhe de Baïkonour ont été épuisés, et que son salaire de militaire était insuffisant pour vivre. Elle avait également constaté les poches sous ses yeux apparues avec la fatigue, car pour joindre les deux bouts il travaillait comme chauffeur de taxi toutes les nuits, avant de regagner dès le matin son emploi principal.

« Cette fois-là j’ai vu son amour et sa préoccupation pour moi, alors qu’il me conduisait chez un tuteur d’anglais que l’on pouvait difficilement se permettre. Et j’ai soudain réalisé que je n’avais jamais entendu se plaindre une seule fois, témoigne-t-elle. Cette nuit-là, j’ai vu l’âme russe dans mon père ».

Or, si l’on creuse un peu, il s’avère que chaque famille russe a connu une histoire similaire. « En 1945, la grand-mère d’un ami s’est rendue à Vladivostok depuis Kiev sur la rumeur que son mari pourrait s’y trouver, transféré du front de l’Ouest à celui de l’Est [de la Russie] durant la guerre, évoque par exemple Ioulia. Elle n’avait pas eu de ses nouvelles depuis quatre ans. Elle ne se plaignait pas. Elle a fait ses bagages, a dormi dans la rue, et l’a retrouvé trois semaines plus tard ».

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Les Russes aident toujours, même s’ils embourbés dans les problèmes

Que savez-vous des Russes ? Ils sont bourrus, boivent et sourient rarement. Tout cela, évidemment, ne sont que des stéréotypes (tout du moins dans une certaine mesure), mais parfois la réalité russe s’avère véritablement destructrice. Dès que l’internaute Vladimir Zakharov revenait d’un voyage en Europe dans sa ville de la région moscovite, il tombait en dépression en raison de l’ambiance affligeante y régnant.

« Lors de l’une de ces déprimantes nuits d’hiver, je me tenais à un croisement près de mon immeuble. Un ivrogne russe typique se tenait près de moi. Vêtu de manière terne, sentant la gueule de bois et la sueur, et fumant l’une de ces cigarettes incroyablement peu chères, qui envoyait sa fumée nocive et vomitive dans ma direction. Ne souhaitant pas supporter sa présence plus longtemps, j’ai juré à haute voix, et ai commencé à traverser la rue, qui semblait vide », raconte-t-il.

Contre toute attente, le bras de l’homme en question est venu barrer la route de Vladimir, lui sauvant probablement la vie. La seconde suivante, une voiture sortait en effet de nulle part et roulait là où il se serait trouvé s’il n’avait pas été stoppé. L’inconnu n’a rien dit, n’a même pas jeté un regard à Vladimir, et s’en est allé.

« Les moments comme cela me rappellent que tout ce qui scintille n’est pas de l’or, et que tout ce qui sent mauvais n’est pas pourri. Les Russes peuvent sembler être les porcs les plus odorants de l’enclos, mais quand les problèmes arrivent, vous n’avez pas besoin de roses, mais de quelqu’un qui vous aidera à vous en sortir. Et c’est ce que font les Russes », conclut-il.

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Les Russes sont des survivants

« Nous avons survécu à la Révolution, à Staline, à la Seconde Guerre mondiale, à de nombreuses années derrière le rideau de fer, et d’une manière ou d’une autre la plupart d’entre nous restent sains d’esprit, assure Galina Craigs. Elle réside depuis vingt ans dans l’État de Virginie, aux États-Unis, tandis que sa mère et sa sœur vivent toujours en Russie et sont fières du pays dans lequel elles vivent ».

« Mon arrière-grand-père a passé 17 ans dans les camps de Staline, est rentré chez lui avec deux doigts en moins, après les avoir coupés pour survivre, et avec un seul œil (il a perdu l’autre durant la Seconde Guerre mondiale au sein d’une unité pénitentiaire, division de chair à canon de l’armée soviétique). Mon arrière-grand-mère a perdu sept de ses neuf enfants à cause de la famine. Mon grand-père a été persécuté pour avoir survécu à un camp nazi et être resté en vie (en s’échappant et en traversant la moitié de l’Europe à pied) », relate-t-elle.

« Cependant, je suis tout de même fière de mon héritage, en raison de nos capacités de survie. À présent nous savons comment célébrer la vie, et l’apprécions plus que quiconque », résume Galina.

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Quelques autres éléments de réponse

« Présentons-le de la sorte. La Russie est loin d’être un paradis économique, ce qui nous conduit souvent à posséder moins que les citoyens de pays développés. Certains pensent que c’est une mauvaise chose que je n’aie pas trois iPhones. Mais je considère que cette situation  me force à étudier bien plus dur. Je juge que l’auto-perfectionnement est le but de ma vie, et non l’obtention d’iPhones. Si je vivais quelque part en Europe, j’aurais probablement accompli moins de choses dans la vie. Mais je réside dans un pays qui, à la fois, m’oblige à travailler dur et m’offre des opportunités », avance Vadim Neverov.

« Il y a eu un hiver en Russie où le record de froid de la décennie a été battu. Je crois qu’on a atteint les -38° durant une nuit à Moscou. Que font les Russes quand il fait -38 ? Ils vont se baigner bien sûr !, décrit Anna Vinogradova. Vous allez à un lac ou une rivière, faites un trou dans la glace et nagez selon vos envies. Ça c’est durant un hiver normal. Mais qu’en est-il durant un hiver où il fait -38 ? La même chose ! Vous faites juste la queue avec des centaines de personne comme vous, et attendez votre tour ».

« Il y avait une foule monstre. Des ambulances en rang, abritant des médecins au cas où quelqu’un perdrait connaissance après s’être baigné. […] Oh, et la présence à l’école durant les records de froid ? Même si c’était optionnel, la ville entière fonctionnait normalement. Les Russes excellent lorsqu’il est question de s’adapter à leur environnement. Ils tombent malades et en dépression quand la vie devient trop facile : il leur faut des difficultés, réelles ou artificielles », poursuit-elle.

Et tout cela, sans oublier leur extraordinaire maîtrise du système D, qui les pousse parfois à fabriquer, à partir de bric et de broc, des choses alambiquées et semblant bancales, mais remplissant finalement parfaitement leurs fonctions. Ou encore cette luminosité et cette chaleur perceptibles au travers des craquelures de cette apparente carapace que se sont forgée les Russes au fil des nombreux temps troublés de leur histoire.

Dans cet autre article, nous vous expliquons comment le patriotisme des Russes a évolué au cours des siècles.

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