Le Corbusier en bronze, œuvre d’un artiste russe, inauguré à Poissy

Ambassade de Russie en France
La sculpture, représentant l’architecte français d’origine suisse Charles-Édouard Jeanneret dit Le Corbusier, a été dévoilée le 24 janvier sur la place des Capucins de la ville de Poissy, qui a accueilli en 1931 l’une des réalisations de ce pionnier du modernisme et du fonctionnalisme - l’icône absolue du Mouvement moderne, la villa Savoye.

Le monument dédié à l’architecte, urbaniste, décorateur, peintre et sculpteur, dont dix-sept œuvres sont aujourd’hui inscrites au Patrimoine mondial de l’UNESCO, a été créé par le jeune sculpteur russe Andrey Tyrtyshnikov, auteur, entre autres, du portrait sculpté du Général de Gaulle qui se trouve au musée de l’Armée de Paris.

Lors de la cérémonie, Karl Olive, maire de Poissy, a assuré que sa municipalité avait une volonté immense de valoriser le travail du Corbusier et de mettre en valeur le patrimoine qu’il a légué à la ville. Au cours de l’année écoulée, a ainsi été effectué un travail de préparation d’un parcours touristique traversant la partie historique de la ville et menant à la villa Savoye, apogée de cet itinéraire cofinancé par le département des Yvelines. « Ériger une statue en bronze du Corbusier au cœur de ce parcours nous semblait de nature à montrer notre ambition, car le patrimoine ne se résume pas à ce que l’histoire nous a offert. Le patrimoine est un concept bien vivant, il doit régulièrement s’enrichir », a souligné le maire.

Il a également évoqué le fait que la villa Savoye incarne aujourd’hui aux yeux du monde l’ensemble des préceptes et des préconisations architecturales du Corbusier. « Ce n’est pas qu’une maison, c’est un manifeste de modernité. Elle vient corroborer les idées défendues par Le Corbusier lui-même, selon lesquelles, l’architecture n’est pas un métier, c’est une tournure d’esprit », a noté Karl Olive.

Par ailleurs, la ville de Poissy accueillera en 2022 un musée dédié à l’architecte de la modernité, unique au monde, dont la villa Savoye sera la pièce maîtresse. Ce musée permettra d’exposer des archives exceptionnelles avec plus de cinq cent mille documents, de regrouper des ressources scientifiques et techniques hors du commun.

« Le Corbusier disait que l’art est la manière de mettre les choses en ordre en leurs place et à leur mesure. Si je me tiens à cette définition, l’installation de cette statue du Corbusier à Poissy ne pourra être un geste plus artistique, car elle ne pourrait être plus à sa place, que dans notre belle ville », s’est adressé le maire aux invités de la cérémonie, qui a rassemblé les représentants du corps diplomatique et de la communauté artistique russe en France, les représentants de la Fondation Le Corbusier, du Centre de Russie pour la science et la culture à Paris, de la Fondation de Coubertin et de nombreux habitants de Poissy.

Le Corbusier entre Moscou et Poissy

L’idée de sculpter le portrait du Corbusier est venue à Andrey Tyrtyshnikov il y a quelques années, alors qu’il était encore élève à l’Institut d'art académique d'État de Moscou Sourikov, quand il devait présenter auprès du jury son travail de fin d’étude. « J’ai étudié les écrits et les œuvres du maître, et étais très curieux de savoir à quoi ressemble une personne qui avait une telle ouverture d’esprit. Pour moi, il est plus un urbaniste et philosophe qu’architecte. À l’aide des photos retrouvées j’ai essayé d’imaginer Le Corbusier lors de ses réflexions. C’est ainsi que le concept du portrait est né : le maître est assis, plongé dans ses pensées ». La sculpture, réalisée en plâtre en 2006, a fait un parcours impressionnant, se déplaçant d’une exposition à l’autre pour être offerte à la mairie de Poissy en 2017. Entre temps, Andrey a continué de travailler en France sur le personnage qui l’a tant marqué. C’est ainsi qu’est né un ensemble architectural en bronze, dédié au Corbusier, érigé devant le bâtiment de Tsentrosoyouz à Moscou en 2015. Or, ce bâtiment n’est rien d’autre que l’une des grandes œuvres signé Le Corbusier, érigé entre 1928 et 1935.

Non sans une certaine fierté, le jeune sculpteur précise que son Corbusier, réalisé à la fonderie de Coubertin, est l’unique bronze français de Moscou.

Le cheval de Troie du bolchévisme

Le Corbusier à Moscou

Au début du XX siècle, Le Corbusier a gagné de nombreux admirateurs parmi les architectes constructivistes soviétiques qui ont admiré son approche. À la fin des années 20, l'architecte a même été nommé membre du comité de rédaction de la revue soviétique L’Architecture moderne.

En 1928, le gouvernement de Moscou annonça un appel d'offres pour la construction de la maison Tsentrosoyouz (une sorte de prédécesseur des centres d'affaires d’aujourd’hui), comprenant des bureaux, des ateliers, une salle de conférence, des lieux de loisirs et de développement culturel des employés. Les architectes soviétiques qui connaissaient bien Le Corbusier l’ont alors encouragé à proposer son projet au concours, leurs voix ont également contribué à la décision finale du jury, qui a finalement arrêté son choix sur le concept du Corbusier.

Maison de commerce du Tsentrosoyouz

>>> Sept bâtiments d’avant-garde uniques de Moscou

Le projet de la maison de commerce du Tsentrosoyouz, mis au point par l’architecte français, était novateur dans son apparence architecturale et son exécution technique, à la fois pour l'Union soviétique, où prévalaient les idées de constructivisme, mais également pour les pays européens.

La construction du bâtiment n'a commencé qu'en 1931. Le projet était supervisé par le cousin de l'architecte Pierre Jeanneret et l'architecte soviétique Nikolay Colli, qui a ensuite travaillé pendant deux ans dans l'atelier parisien du Corbusier.

Le bâtiment Tsentrosoyouz est le premier exemple de travail conjoint d'architectes soviétiques et européens dans l'esprit d'un style international qui est devenu à la mode dès le début des années cinquante partout dans le monde.

Le bâtiment est en outre devenu l’un des premiers grands complexes de bureaux d’Europe, caractérisé par un vaste vitrage, des colonnes supportant des immeubles de bureaux, laissant un espace libre au rez-de-chaussée, et un toit horizontal.

Lors de la construction du bâtiment, Le Corbusier s'est rendu plusieurs fois dans la capitale russe. Pendant ce temps, il y a noué des relations amicales avec des personnages emblématiques de cette époque, tels qu’Alexander Tairov, Vsevolod Meyerhold et Sergueï Eisenstein. Les ennemis de l'architecte l'ont d’ailleurs souvent surnommé le « cheval de Troie du bolchevisme ».

>>> Dix édifices soviétiques inspirés par le Corbusier

De son côté, Le Corbusier a parlé de Moscou avec beaucoup d'enthousiasme, en soulignant l'architecture de l'avant-garde soviétique des frères Vesnine, de Moïsseï Ginzbourg et de Konstantin Melnikov.

Lors de ses visites en URSS, il a proposé à plusieurs reprises des projets innovants. L'un d'entre eux visait la restructuration globale de Moscou et prévoyait de démolir tous les bâtiments de la capitale, à l'exception d'une petite place autour du Kremlin, puis de construire une ville entièrement nouvelle divisée en secteurs administratifs, résidentiels et industriels comportant de nombreux parcs et gratte-ciels.

En 1931, l’architecte participa au concours pour le projet du Palais des Soviets, censé être érigé sur le site de la cathédrale du Christ-Sauveur démolie. L’échec a provoqué un refroidissement des rapports entre l’architecte et le gouvernement soviétique, mais au début des années 60, Le Corbusier est redevenu populaire en URSS, notamment dans les facultés d'architecture, où la plupart des étudiants cherchaient à imiter son style. 

Dans cet autre article, nous nous penchons sur l’influence des avant-gardistes sur le visage architectural de Moscou.

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

À ne pas manquer

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies