Comment l'apprentissage du russe a changé ma vie: cinq étrangers racontent leur histoire

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ALEXANDRA GOUZEVA
De la lecture d’une œuvre de Tolstoï dans sa version originale à la recherche d’un emploi, de l’amour ou de nouveaux amis : voici l’histoire d’étrangers qui pensaient initialement se limiter à l’apprentissage des règles de grammaire, mais qui ont finalement découvert un tout autre monde.

Erwann Pensec, France

Rédacteur pour Russia Beyond

J’ai initialement choisi le russe tout comme j’aurais pu me diriger vers le japonais ou le suédois. C’était pour moi un univers absolument inconnu et je m’y suis aventuré un peu par hasard. Je n’avais aucun lien avec cette langue ou avec ce pays et tout ce que j’en connaissais se résumait à une ou deux chansons et aux nombreux stéréotypes concernant cette lointaine contrée.

Je crois que c’est justement cet attrait pour le mystérieux et le méconnu qui m’a poussé à entreprendre des études du russe. Je me suis donc inscrit à l’université de Grenoble et à la fin de la première année a été organisé un voyage à Lipetsk et Toula. Ce séjour chez l’habitant a complètement changé ma vision du monde. Lors de ces trois semaines j’ai eu l’impression d’être dans la quatrième dimension. Tout était à l’exact opposé de ce que j’avais vécu jusque-là. La façon dont vivaient les gens, les paysages, urbains comme naturels, la mentalité, les coutumes, les conditions de vie, cela m’a bouleversé et mon existence a alors basculé pour toujours.

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Cela m’a permis de voir le monde différemment, d’une manière que ne présentent absolument pas les principaux médias en France. C’est comme si j’avais découvert la face cachée d’une pièce de monnaie, et les perspectives se sont donc démultipliées.
Depuis, la Russie est devenue une véritable passion et j’ai fait le choix d’y passer ma dernière année de licence, à Nijni Novgorod.

La maîtrise du russe, aussi hésitante soit-elle, m’a permis de vivre des choses que je n’aurais jamais pu imaginer faire autrement. Trouver un appartement tout seul, faire venir un technicien pour installer une ligne internet, faire d’inoubliables rencontres hautes en couleur au cours de mes différents voyages etc, tout cela aurait été impossible. Et même si ce sont de petits détails de la vie, c’est une réelle fierté et cela m’anime grandement au quotidien.

Je viens tout juste d’emménager à Moscou, et s’il y a quelques années on m’avait prédit cela, je n’aurais pu y croire. L’apprentissage du russe a tout simplement déterminé mon destin, et sans cela, je ne serais pas la personne que je suis aujourd’hui, ça c’est certain.

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William Brumfield, États-Unis

Professeur d’Études Slaves, historien en architecture russe et photographe professionnel

J’ai débuté l’apprentissage formel du russe à l’Université Johns Hopkins qui, au début des années 1960, avait une minuscule filière composée d’un seul lecteur non titulaire. Les tout petits cours de russe m’ont permis de pénétrer dans la langue de la grande littérature, que j’avais commencé à lire au lycée. Eugène Onéguine a ainsi été mon premier manuel.

Il n’y avait pas de méthodologie particulière à cette époque ! Si ce n’est pour mon instructeur en russe, je ne me serais pas dirigé vers les Études Russes. Peut-être que ma vie aurait pris un chemin plus « normal », mais l’architecture russe aurait perdu l’un de ses plus actifs défenseurs.

Il y a eu un autre professeur qui a inspiré mes études de la Russie et de son architecture. Nina Volodina, une spécialiste de l’enseignement du russe aux étrangers, était passionnément intéressée par l’histoire de Moscou et organisait des voyages dans les quartiers historiques de la ville sur son temps libre. C’était durant mon premier voyage en Russie, au cours de l’été 1970.
Souvent j’étais tout seul, mais elle menait tout de même ses visites et me donnait des listes de bâtiments historiques. Bien que la plupart d’entre eux étaient des églises condamnées, nous étions malgré tout en mesure d’apprécier la beauté de l’architecture. À cette époque, j’ai acheté mon premier appareil et ai commencé à prendre des photographies. Quand je revenais à la maison et que je développais les clichés, j’étais émerveillé par le résultat.

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Je ne me doutais pas que cet intérêt conduirait à des dizaines de livres et à une énorme collection photographique.

La passion de William Brumfiled pour l’architecture russe, et notamment l’architecture religieuse, est depuis lors toujours aussi vive. Découvrez à ses côtés la célèbre cathédrale de Smolensk

Ajay Kamalakaran, Inde

Écrivain

J’ai commencé à apprendre le russe au Centre culturel russe de Mumbai, en Inde. Ma première amie russe, que j’ai rencontrée là-bas, m’a invité chez ses grands-parents à Voronej. Ça a été une super opportunité pour avoir un premier aperçu de la vie de famille en Russie et voir si mes compétences linguistiques étaient à la hauteur. J’avais intégré l’Université d’État de Sakhaline quelques mois auparavant.

J’étais totalement bouleversé par la convivialité et la bonté de mes grands-parents russes. Dès que je suis entré dans l’appartement, dedouchka (grand-père) m’a pris dans ses bras et m’a embrassé comme il le faisait avec ses propres petites-filles. Il m’a ensuite posé des questions à propos de ma ville natale, avant de placer une punaise à l’emplacement de Mumbai sur son planisphère. C’était un honneur réservé uniquement aux membres de sa famille.

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Apprendre le russe m’a en réalité ouvert un tout nouveau monde. Certains de mes plus proches amis ne parlent pas anglais ou une autre langue étrangère. Le russe a donc été une excellente porte d’entrée dans la société du pays, et m’a aidé à voir et à vivre bien plus de choses qu’une personne ne parlant pas cette langue pourrait rêver de faire. Cela s’est étendu au-delà de la Russie, dans les anciennes républiques soviétiques. Il est facile pour moi de visiter des villes comme Odessa en Ukraine, et d’y être complètement serein, puisque je parle russe.

Un autre avantage majeur de l’apprentissage du russe a été la capacité de lire les œuvres de Tchekhov, Dostoïevski et Tolstoï en original. Et puis il y a aussi la possibilité de consulter les tout nouveaux livres publiés en Russie, même s’ils ne sont pas traduits.

Kaname Okano, Japon

Doctorant

J’ai commencé à apprendre le russe quand j’avais 18 ans et me suis inscrit à l’université, où j’ai étudié au département de langue et de littérature russes. J’ai choisi le russe comme spécialisation car j’étais passionné par la langue, l’alphabet cyrillique, la littérature et la culture de nos « mystérieux » voisins du Nord.
Un monde tout à fait nouveau s’est ouvert à moi avec cette langue, celui des langues slaves. Plus je découvrais les Russes, plus j’étais intéressé par leur nation. Quand j’ai fini mon master au Japon, cet intérêt m’a conduit à m’inscrire en doctorat dans la ville serbe de Novi Sad, où j’étudie à présent le serbe, le bulgare, le ruthène et d’autres langues de cette famille.

Sans la langue russe je n’aurais pas réalisé ce que j’aime vraiment et ce que j’ai envie de faire à l’avenir. Dans quelques mois je commencerai à enseigner le russe dans l’université japonaise où j’ai étudié et j’espère réellement que mes étudiants aimeront le russe et les autres langues slaves autant que moi, voire plus.

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Lara McCoy, États-Unis

Journaliste

Tout a commencé quand ma mère m’a donné le nom de l’héroïne principale de la nouvelle de Boris Pasternak, Le Docteur Jivago.

Ma relation avec la langue russe a toujours été un peu torturée. Je suis tombée amoureuse de la Russie par le biais de l’étude de l’histoire russe, mais j’ai lutté pour apprendre la langue.

Lors de mes deux premiers voyages en Russie je ne pouvais rien dire du tout. Je ne suis pas naturellement douée pour les langues, et je trouvais cela très difficile. Quand j’ai déménagé pour la première fois à Moscou, même si j’avais étudié le russe pendant deux ans, je n’avais aucune idée de comment communiquer. Durant les trois premiers mois dans la capitale, j’ai juste écouté comment les gens parlaient, comment ils indiquaient une direction et commandaient des choses au magasin.
Même aujourd’hui, après plus de neuf années en Russie, mes compétences linguistiques sont limitées. Je peux comprendre les choses plutôt bien, mais n’ai aucune nuance dans mon discours et fais beaucoup de fautes grammaticales.

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Mon plus grand moment de fierté dans la communication en russe a été de convaincre le manager de Sedmoï Kontinent (une enseigne alimentaire) de me rembourser après qu’une caissière m’a surfacturé un muffin. Voici mon niveau de russe actuel, suffisamment bon pour argumenter face à un employé de magasin.

Mes enfants, qui ont grandi en Russie, sont parfaitement bilingues et trouvent mon élocution très embarrassante. Je me rappelle un jour où j’ai essayé de poser une question au principal de l’école de ma fille, et l’ai entendu dire : « Katia, découvre ce que ta mère veut et dis-le moi plus tard. Je n’ai pas le temps pour deviner ce qu’elle est en train de dire ! ». Donc pour le moment apprendre le russe est un défi pour mieux comprendre mes enfants, pour être impliquée dans leur vie et pour avoir plus de connexions avec des amis.

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