Quelles relations entre Paris et Moscou après la présidentielle?

French presidential election candidates (LtoR) Francois Fillon, Emmanuel Macron, Jean-Luc Melenchon, Marine Le Pen and Benoit Hamon, pose before a debate organised by French private TV channel TF1 in Aubervilliers, outside Paris, France, March 20, 2017

French presidential election candidates (LtoR) Francois Fillon, Emmanuel Macron, Jean-Luc Melenchon, Marine Le Pen and Benoit Hamon, pose before a debate organised by French private TV channel TF1 in Aubervilliers, outside Paris, France, March 20, 2017

Reuters
RBTH a rencontré Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe (Moscou), pour évoquer la prochaine présidentielle française et évaluer la possibilité d’un rapprochement entre la Russie et l’Europe.

RBTH : Moins d’un mois nous sépare du premier tour de la présidentielle. Quelles sont vos pronostics quant à l’issue du vote ? Le choix que feront les Français déterminera l’avenir des relations franco-russes pour les cinq prochaines années. Si en décembre dernier, c’est  François Fillon, souvent désigné comme « ami de Moscou », qui arrivait en tête des intentions de vote au premier tour, aujourd’hui, à en croire les sondages, la donne semble avoir changé.

Cinq candidats à la présidentielle 2017. Crédit : ReutersCinq candidats à la présidentielle 2017. Crédit : Reuters

Arnaud Dubien : En réalité, personne ne peut aujourd’hui prédire le résultat des élections. Les sondages montrent depuis février un avantage à Marine Le Pen et Emmanuel Macron, mais ils disent aussi que près de la moitié des Français ne savent pas encore pour qui ils vont voter. L’électorat est désorienté par la tournure de la campagne, souvent en colère, volatil. La principale leçon de cette campagne, c’est que rien ne se passe comme avant. Tout ce qui fondait le scénario d’une campagne présidentielle « classique » ne fonctionne plus. On va de surprise en surprise : la première a été les primaires à droite – je rappelle que pendant des mois, les médias nous ont dit que ce serait Sarkozy contre Juppé [qui allaient s’affronter au second tour, ndlr]. In fine, c’est Fillon qui a été désigné.

​Arnaud Dubien. Crédit : service de presse​Arnaud Dubien. Crédit : service de presseAutre nouveauté – le président sortant ne se représente pas. C’est tout à fait inhabituel. Les seuls présidents qui ne se sont pas représentés pas étaient ceux qui avaientdéjà fait deux mandats, comme Mitterrand ou Chirac, et Pompidou, décédé en 1974.

Puis nous avons eu la primaire à gauche, où l’on a vu que le candidat sorti des urnes n’était pas celui souhaité par les élus et les cadres du Part socialiste. Enfin, nous avons la surprise Macron, dont beaucoup pensaient qu’il allait s’effondrer et qui fait la course en tête, pour l’instant en tout cas. Mon intuition est que l’on n’est pas au bout de nos surprises, il peut se passer plein de choses d’ici le 23 avril.

Autre élément – il apparaît que cette fois-ci, l’élection la plus importante n’est peut-être pas la présidentielle, mais les législatives des 11 et 18 juin. Or, si c’est Marine Le Pen qui est élue – et on ne peut pas tout à fait l’exclure – elle n’aura vraisemblablement pas de majorité à l’Assemblée nationale. Deuxième hypothèse – plus vraisemblable – Emmanuel Macron. Une poussée est certes possible en juin, mais on peine à imaginer que son mouvement « En marche » parvienne à faire élire ex-nihilo 289 députés. Peut-être sera-t-il confronté à une cohabitation, ce qui serait assez problématique. Nous avons certes déjà connu des cohabitations en 1986, 1993 et en 1997, mais c’était après que le président a déjà gouverné. Là, ce serait dans la foulée des présidentielles ; ce scénario n’est pas farfelu parce que l’une des données fondamentales de la sociologie électorale d’aujourd’hui, c’est que le pays n’est pas à gauche, il est plutôt à droite. Si ce rapport de forces droite-gauche n’est pas très visible au second tour de la présidentielle en raison de la présence probable de Marine Le Pen, il reviendra sans doute très vite aux législatives. Dépasser les clivages traditionnels et recomposer la scène politique française n’est pas simple, en dépit de l’épuisement du système.

Si l’attitude à l’encontre de la Russie de deux des favoris est assez prévisible, à quoi s’attendre en cas d’élection de M. Macron ?

Il est clair que vu de Moscou, deux candidats sont perçus comme souhaitables. Tout d’abord Marine Le Pen. Elle n’est pas forcément vue comme un parti de gouvernement aujourd’hui, mais plutôt comme un facteur de turbulence dans le système français et européen. Or tout ce qui peut éroder le système classique est semble-t-il bon à prendre pour le Kremlin.

Puis il y a François Fillon, dont les positions sur la Russie sont assez traditionnelles puisque ce sont globalement celles de la diplomatie française sous De Gaulle, Mitterrand puis Chirac. Ces présidents n’avaient évidemment pas fait allégeance au Kremlin ; mais ils considéraient que l’horizon diplomatique de la France ne se limitait pas à l’Occident, que la France avait intérêt à se donner des marges de manœuvre en nouant un dialogue privilégié avec Moscou et que la Russie – qu’elle soit tsariste, soviétique ou contemporaine – était un acteur incontournable sur la scène internationale. De ce point de vue-là, M. Fillon fait entendre une musique différente de celle que nous avons entendue sous la présidence Hollande ou de celle qui prévaut chez Mme Merkel.

Avec M. Macron, c’est moins clair. Dans son programme, il estime au début que la politique étrangère de la Russie est dangereuse ; à la fin, il souligne cependant que la France et la Russie ont une vocation à s’entendre. On sent qu’il y a, sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, la volonté de concilier des choses a priori contradictoires et de ne pas trop se dévoiler.

Plusieurs facteurs joueront, le cas échéant, dans la politique russe de M. Macron. Il y a en premier lieu le conformisme, le « fond de l’air médiatique parisien » et l’héritage de la présidence Hollande. Je ne suis pas sûr que Macron ait envie de se démarquer des Européens – c’est-à-dire, en l’espèce, de Mme Merkel et de M. Tusk – sur ce sujet-là, d’autant plus que ce n’est pas quelque chose qui va lui faire gagner des voix.

On se souvient pourtant qu’il avait tenu, lors de sa visite à Moscou fin janvier 2016, des propos favorables à une levée des sanctions. Ce qui compte aussi, ce sont les personnes qui constituent son entourage. On y trouve des néoconservateurs qui voient en M. Macron leur planche de salut et qui essaient de lui faire porter un programme de politique étrangère proche de celui d’Hillary Clinton sur la Russie. D’autres personnes sont en revanche plus modérées. Enfin, depuis quelques jours circule une rumeur faisant état du possible ralliement à M. Macron de Dominique de Villepin. Si ça se confirme, il fera figure de candidat crédible au postede ministre des Affaires étrangères, qu’il a occupé de 2002 à 2005. Or Villepin s’inscrit clairement dans la tradition diplomatique gaulliste.

Troisième facteur de poids – on sait que M. Macron est sensible à l’économie et aux intérêts commerciaux de la France, ce qui va plutôt dans le sens d’une prise en compte des positions des entreprises françaises, qui sont favorables à la levée des sanctions.

En fin de compte, il me semble que M. Macron suivra grosso modo ce qui a été fait ces dernières années et cherchera à préserver une unité avec l’Allemagne sur la question russe.

Voyez-vous les prémisses d’une reprise des relations entre la Russie et l’Europe qui se sont nettement dégradées au cours de ces dernières années ?

Ceci dépend de beaucoup de choses, y compris de la Russie elle-même. Cette dernière sortira-t-elle de la trajectoire de repli sur soi sur laquelle elle s’est engagée depuis quelques années ? Ceci dépend aussi des élections en Europe. J’exclus de grands bouleversements à court terme, mais une évolution par petites touches est possible. Je crains que le facteur ukrainien continue à empoisonner nos relations pour encore longtemps. Selon moi, la situation en Ukraine n’a pas vocation à s’améliorer – ni à Kiev, ni dans le Donbass. On ne peut pas exclure que d’ici un an ou deux, une majorité d’Européens et la direction russe en arrivent à la conclusion que la perpétuationdes tensions actuelles est préjudiciable à tous. Mais ce ne sera pas facile car les choses sont allées très loin et personne ne veut donc être celui qui donne l’impression de céder ou de se déjuger.

Un rapprochement sur des sujets conjoncturels – par exemple la lutte contre le défi commun qu’est le terrorisme – est-il possible?

Cela peut se produire avec l’administration Trump. Certes, il n’y aura pas de grand redémarrage russo-américain ; on voit que Trump est attaqué sur la question russe – c’est la grande revanche de l’establishment américain à ce stade – mais je n’exclus pas que la première rencontre entre Poutine et Trump prévue en juillet en marge du G20 se passe bien et que les lignes bougent sur certains sujets. La Syrie, la lutte contre le terrorisme, la Libye voire la Corée du Nord en font partie. Le cas échéant, les Européens devront se positionner.

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