Des militaires français sur la place Rouge lors d'une répétition du défilé de la Victoire. Moscou, 2010.
ReutersLe 1er mars, à l’initiative de l’administration française, le vice-ministre russe de la Défense Alexandre Fomine a reçu l’ambassadeur de France en Russie Jean-Maurice Ripert. Commentant la rencontre qui a eu lieu à Moscou, les parties se sont contentées de constater qu’elle avait été constructive et avait porté sur les perspectives de reprise de la coopération entre les ministères de la Défense des deux pays, ainsi que sur les principales questions de la sécurité régionale et internationale.
Compte tenu des tensions actuelles qui traversent les relations entre la Russie et l’Union européenne, la visite de l’ambassadeur français a été perçue comme un signe de rapprochement. Que peut signifier une telle rencontre en réalité ?
Pendant l’été 2015, il est devenu évident que la mise en œuvre des accords de Minsk, que l’Union européenne et les États-Unis posaient comme une condition pour la levée des sanctions contre la Russie, était impossible à court terme. La coopération militaire entre la Russie et l’Occident était quasiment interrompue. Par ailleurs, en septembre 2015, Moscou engageait une grande opération de soutien militaire au président syrien Bachar al-Assad. La démarche russe a été perçue de manière très ambiguë par l’Occident, car Moscou s’opposait de fait à tous les adversaires du président syrien. Cependant, l’Élysée a dû rapidement lancer des négociations avec le Kremlin sur la coopération dans la lutte contre les islamistes radicaux. L’administration française a eu besoin du soutien russe suite aux attentats du 13 novembre, qui avaient montré la vulnérabilité réelle de la France face aux attaques des radicaux. En signe de représailles, Paris a lancé son unique porte-avion nucléaire Charles de Gaulle vers les côtes syriennes. Dans le même temps, plusieurs experts et responsables français ont proposé d’intensifier les opérations de la coalition contre Daech et d’y impliquer la Russie. Naturellement, la Russie était ouverte à un tel dialogue, car elle espérait améliorer l’efficacité de son opération grâce à une coordination réelle avec les alliés occidentaux et obtenir le soutien effectif de l’une des principales puissances européennes pour ses opérations en Syrie. D’autant que Paris reste partisan d’une opération terrestre résolue contre Daech et considère que c’est le seul moyen de parvenir à détruire les foyers d’extrémisme.
Le 29 novembre 2015, lors des pourparlers avec Vladimir Poutine qui se sont tenus dans la capitale russe, François Hollande a abordé la question de la coordination des frappes contre les positions de l’État islamique et de l’échange d’informations sur les opérations menées par les groupes terroristes internationaux. L’« action punitive » française dépendait largement des renseignements américains et de l’infrastructure contrôlée par l’armée américaine, ainsi, le président français a cherché à s’assurer le soutien russe. Par ailleurs, François Hollande semblait clairement vouloir rafler le titre d’homme de paix parvenu à arracher à la Russie des concessions sur la question syrienne.
Pourtant, même un ennemi commun n’a pas suffi pour impulser des changements significatifs dans la coopération militaire et politique entre Paris et Moscou. L’administration de Hollande continuait à critiquer le Kremlin pour ses attaques contre « l’opposition modérée » en Syrie et la poursuite de la guerre dans le Donbass. Par ailleurs, la situation en Syrie et dans d’autres zones de tension au Proche-Orient et en Afrique du Nord restait complexe. Des réfugiés continuaient d’affluer en Europe et les attentats terroristes dans les rues du Vieux continent faisaient toujours des victimes. Dans ces conditions, les déclarations du nouveau président américain Donald Trump sur la nécessité de collaborer pleinement avec la Russie dans la lutte contre Daech ne pouvaient être ignorées par l’Union européenne, dont les représentants cherchent désormais à comprendre quel est le format de coopération souhaité par Moscou. Ainsi, le 28 février, le général britannique Gordon Messenger s’est rendu à l’état-major russe. Le lendemain, l’ambassadeur de France se présentait au ministère de la Défense.
Alexandre Fomine a assumé sa nouvelle fonction il y a à peine un mois, le 31 janvier 2017. Auparavant, il avait dirigé pendant quatre ans le Service fédéral russe de coopération militaro-technique. À son nouveau poste, Fomine est responsable des relations extérieures. C’est bien Alexandre Fomine qui est chargé d’annoncer officiellement la position de l’administration russe sur les différentes questions relatives à la coopération militaire. Sa récente nomination est un bon prétexte pour une visite protocolaire qui permet au responsable français de poser des questions au représentant russe. En l’occurrence, la question est évidente : comment la France et la Russie peuvent-elle coopérer dans la lutte contre Daech ? Dans les faits, une telle conversation est un signal officieux de Paris qui montre que la France est prête à engager des négociations sur la question syrienne. Mais elle marque aussi la volonté de Paris de ne pas rester à la traîne de la politique extérieure américaine. En effet, une rencontre entre le chef d’État-major des forces armées russes Valéri Guerassimov et le chef d'État-Major des armées des États-Unis Joseph Dunford avait eu lieu à Bakou début février et il est clair que Moscou et Washington ont déjà esquissé les principales lignes de leur coopération sur la Syrie.
Il paraît évident que Moscou est prêt à engager un dialogue sur la Syrie et le Proche-Orient dans son ensemble, et n’est que ravi de laisser de côté la question ukrainienne. Par ailleurs, le Kremlin dispose d’un atout de poids : il peut servir d’intermédiaire entre Bachar al-Assad et l’Occident. N’oublions pas que l’opération terrestre contre Daech est en grande partie menée par l’armée gouvernementale syrienne. En outre, sans gouvernement légitime, il est impossible de reconstruire les infrastructures et le système social dans les zones actuellement contrôlées par Daech. De plus, tant que la vie en Syrie n’aura pas repris son cours normal, il sera impossible de gérer les flux de réfugiés et d’éviter l’émergence de nouveaux groupes radicaux. Autre point important, une pleine participation à la coalition contre les islamistes radicaux permettrait à Moscou de coopérer de nouveau avec l’Occident et de faire évoluer l’opinion publique européenne et américaine en sa faveur. La question ukrainienne et le renforcement de l’Otan en Europe seront simplement passés sous silence par les parties.
En avril-mai 2017, les élections présidentielles se tiendront en France. En quittant son poste, François Hollande ne veut pas rester dans l’histoire comme l’homme politique qui s’est montré incapable de gérer l’afflux de migrants, les attentats et la perte par la France de son rôle de leader régional dans la Méditerranée. Tout cela a entraîné une chute significative de la popularité du Parti socialiste incarné par le dirigeant français actuel. Hollande a également échoué à enfiler le costume d’homme de paix européen. Les accords de Minsk restent toujours lettre morte. Dans ces conditions, Paris est, de fait, l’initiateur de la coopération avec Moscou sur le Proche-Orient sans que celle-ci soit liée au conflit ukrainien en cours. Comme le Kremlin a montré ces dernières années sa volonté de prendre rapidement des décisions et d’agir, Hollande a encore une chance de s’imposer comme l’un des organisateurs d’une coalition renouvelée, voire d’une opération terrestre globale au Proche-Orient, ce qui pourrait sauver les socialistes français du naufrage. Par ailleurs, la reprise de la coopération avec la Russie sur les questions militaires permettrait au parti de Hollande de retrouver sa popularité auprès des conservateurs, pour qui la Russie est un « moindre mal » par rapport aux extrémistes islamiques, et pourrait bien avoir une influence sur l’issue du scrutin présidentiel français.
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