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Le mariage des nains sous Pierre le Grand
Nikolaï Dmitriev-OrenbourgskiPierre le Grand fut le premier tsar à ne pas boire uniquement dans le cercle de son entourage proche. Il ne craignait pas de se livrer à la boisson en public, lors de réceptions ou en d’autres grandes occasions. Habitué jeune à assister aux banquets que donnaient les étrangers dans le faubourg allemand, il ne voyait rien de honteux à dépasser la mesure devant ses hôtes, même étrangers, pendant qu’ils faisaient ripaille ensemble. Son père Alexeï Mikhaïlovitch (1629-1676) ne conseillait-il pas à ses boyards de faire boire les ambassadeurs à la cour de Moscou pour leur dénouer la langue ? Pierre Ier, qui aimait la compagnie des étrangers, s’en chargeait lui-même.
Dans le récit qu’il fit de son séjour en Russie, l’ambassadeur danois Just Juel rapportait ceci : « Lorsque je refusais de boire, le tsar s’approchait de moi en personne, me caressait et m’embrassait. D’une main, il saisissait ma tête et de l’autre tenait un verre devant ma bouche. Il me suppliait [de le boire], il me disait tant de paroles agréables que je lui cédais. Je m’esquivai plus d’une fois. Deux fois même, j’étais déjà dans mon canot mais n’eus pas le temps de m’éloigner. Le tsar m’y avait déjà rejoint et me remmena avec lui ».
Pierre Ier, 1672-1725
Jacopo AmigoniLe jour de la mise à l’eau du Derbent, le 27 août 1724, « sa majesté avait l’humeur enjouée . Ce qui expliqua la beuverie qui eut lieu sur le nouveau navire », racontait Friedrich von Bergholz, un aristocrate allemand contemporain de Pierre le Grand.
« La compagnie y demeura jusqu’à trois heures du matin ; les princesses impériales avaient été autorisées à rentrer avant neuf heures du soir. Lorsqu’elles furent parties, même les femmes durent boire plus que de raison. Le lendemain, beaucoup d’entre elles étaient indisposées, même celles qui n’ont pas pour habitude de refuser un bon gobelet de vin. Lorsque la boisson commença à faire son effet, des disputes éclatèrent ça et là et les coups volèrent... Toutes les dames qui avaient ignoré l’injonction de l’empereur d’assister à la mise à l’eau du navire, furent obligées d’y monter. Le capitaine Chérémétiev les invita à festoyer et les contraignit à boire. »
Pierre le Grand avait le vin mauvais. Le 17 mars 1703, il écrivait au comte Fiodor Apraksine qui se trouvait alors à Moscou : « Je ne sais pas comment je repartis de chez vous parce que je jouissais pleinement des effets des bontés de Bacchus. À tous ceux qui étaient là au moment où je vous quittai : si je causai quelque dommage à quiconque, je le prie de me pardonner et d’oublier cet épisode ». L’historien Alexandre Charymov explique ce qu’il faut comprendre par « dommage ». Lors du banquet donné par le comte Apraksine, Pierre le Grand s’emporta contre l’ambassadeur des Provinces-Unies Hendrick van der Hulst et lui « exprima son mécontentement en lui assénant un coup de poing et plusieurs autres du plat de son épée ». Le tsar n’avait sans doute pas été le seul à abuser de la boisson. Lorsque le comte Apraksine transmit les excuses de son souverain à Hendrick van der Hulst, celui-ci répondit qu’« il ne se souvenait pas lui-même de tout ce qu’il s’était passé » ce soir-là. Pour Pierre Ier, qui commençait sa journée en ingurgitant un gobelet de vodka et un cornichon salé, qui pouvait passer la nuit à boire des vins du Rhin et de Hongrie, les amnésies ne devaient pas être rares.
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Catherine Ire
Jean-Marc NattierCatherine, la seconde épouse de Pierre le Grand, avait elle aussi un penchant pour la boisson. À en croire des ambassadeurs étrangers, il s’aggrava après la mort de l’empereur. Certains rapportaient à leur chancellerie qu’à la cour de Russie les affaires se réglaient extrêmement lentement parce que la souveraine était « rarement sobre ». En deux ans, les dépenses de la cour en Goldwasser et vins de Hongrie atteignirent le million de roubles, soit un dixième des recettes annuelles du Trésor.
Un certain Frensdorf, secrétaire de l’ambassadeur de Saxe, décrivait ainsi les visites matinales du prince Alexandre Menchikov (1673-1729) à l’impératrice qui, avant de faire la connaissance de Pierre le Grand, avait été domestique chez Alexandre Menchikov. « Leur conversation commence invariablement par cette question : ʺQu’est-ce qu’on pourrait bien boire ?ʺ. Sur ce, ils vident plusieurs verres de vodka. Et ainsi de suite jusqu’au soir. Les verres de vin succèdent à la liqueur [russe] et aux eaux de vie étrangères ».
Le chargé des affaires de France à Saint-Pétersbourg Jacques de Campredon (1672-1749) rapportait en termes élégants que la consommation abusive que l’impératrice faisait de l’alcool n’était pas sans incidence sur sa santé . De fait, Catherine Ire ne survécut à son époux que deux ans. Elle mourut d’un œdème pulmonaire en 1727.
Nicolas Ier
Vladimir SvertchkovL’impératrice Anna Ioannovna (1693-1740) ne buvait pas du tout ; Élisabeth (1709-1762) connaissait la mesure. Peut-être se souvenait-elle des excès de son père Pierre le Grand. Ni Catherine II (1729-1796), ni son fils Paul Ier (1754-1801), ni l’aîné de ses petits-fils Alexandre Ier (1777-1825) ne buvaient beaucoup.
L’empereur Nicolas Ier (1796-1855) ne supportait pas la vue d’une personne ivre. Lui-même consommait très peu d’alcool. Les membres et les hôtes de la cour pouvaient toutefois goûter aux vins, champagnes et vodkas servis à la table impériale. Durant la première moitié du XIXe siècle, il était d’usage à la cour de commencer les repas aux vins secs et de les terminer au champagne froid. Les vins rouges étaient montés des caves le matin pour leur donner le temps d’arriver à température. Les vins blancs, dégustés frais, étaient apportés quelques heures avant le repas. On allait chercher le champagne à la cave, où il était conservé dans de la glace, juste avant de le déboucher.
Le tsar Nicolas Ier était presque abstinent. Après l’avoir rencontré en 1844, la reine Victoria écrivit à son sujet : « il ne boit jamais une seule goutte de vin et ne mange presque rien ».
L’historien Léonide Vyskotchkov a toutefois trouvé quelques témoignages qui tendraient à prouver que Nicolas Ier consommait de l’alcool. Ainsi, en 1840, lui fut servi au petit déjeuner un vin blanc sec ; au déjeuner, une bouteille de Saint-Julien (un Bordeaux sec) ; au dîner, une bouteille de bière légère. Il est possible que ces alcools aient été destinés aux proches ou aux invités qui prirent leurs repas avec l’empereur.
On sait aussi que lors de réceptions solennelles, le tsar levait un verre de vin ou une coupe de champagne à la santé des personnes présentes. Par exemple, en l’honneur de la garde ou des étudiants de l’Université de Saint-Pétersbourg.
Pour des raisons prophylactiques, l’empereur pouvait également boire des alcools forts. Par exemple, après que son équipage s’est enfoncé dans les eaux glacées du fleuve Niémen, le tsar trempé jusqu’aux os s’autorisa un petit verre de rhum.
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Alexandre III
Domaine publicAlexandre II (1818-1881), fils aîné et successeur de Nicolas Ier, ne goûtait pas particulièrement les alcools forts. Il donnait sa préférence au champagne Louis Roederer. Son fils, Alexandre III (1845-1894) s’y connaissait bien mieux en boissons alcoolisées.
Ainsi que le rapportait Piotr Tchérévine, commandant de la garde du tsar, « le souverain aimait boire mais ʺopportunémentʺ. Il pouvait boire de grandes quantités d’alcool et ne montrer aucun signe d’ivresse, à part ceux d’être gai et espiègle comme un enfant.
Le matin et dans la journée, l’empereur prenait garde à ne pas consommer de boissons enivrantes pour garder la tête froide. Une fois toutes ses tâches accomplies et, dans l’attente des rapports à venir le lendemain, il s’autorisait à boire autant qu’il en avait envie et besoin ».
Un ami d’enfance de l’empereur, le comte Sergueï Chérémétiev (1844-1918) se souvenait : « En matière de boissons aussi, il faisait preuve de modération. Mais il pouvait boire beaucoup et tenait bien l’alcool. Il n’était jamais vraiment ivre ».
Parmi les vins préférés d’Alexandre III, on citera le champagne, le vin roumain Palugyay. Mais, plus que tous les autres vins, l’empereur aimait le madère. Il ne détestait pas non plus le whisky, le curaçao et la vodka anisée.
Nicolas II
Domaine publicÀ la différence de son père, Nicolas II buvait fréquemment de la vodka. Par exemple, en août 1904, il notait dans son journal : « J’ai fait le tour des cantines des sous-officiers où j’ai bu beaucoup de vodka. Ensuite, je me suis rendu à la réunion des officiers ». Ainsi que l’écrit l’historien Igor Zimin, « cela [boire] faisait partie de la ʺfonction de représentationʺ, dans la mesure où dans chacun des innombrables mess et cantines on présentait à l’empereur un verre. En ʺvéritable lieutenantʺ qu’il était, il était obligé de l’avaler comme le voulait l’usage ». Un verre de soldat fait environ douze centilitres.
Le seul vin que Nicolas II consommait était du champagne. Sous son règne, on buvait des mousseux Abrau-Durso à la cour.
Igor Zimin mentionne également que le tsar ne dédaignait pas non plus l’alcool de prune de la cave du grand-prince Nikolaï Nikolaïevitch (1856-1929), et le porto, dont il prenait deux verres en apéritif avant chaque déjeuner. En août 1906, il écrivait dans son journal : « Je suis rentré à la maison à huit heures. Nikolacha nous a invités à déjeuner sous sa tente. J’ai goûté six portos différents et ai un peu trop bu. Mais j’ai très bien dormi ».
* L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
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