L’encyclopédiste russe Lomonossov était-il le fils caché de Pierre le Grand?

Histoire
GUEORGUI MANAÏEV
Démystifions un des nombreux mythes entourant l’histoire de la Russie.

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Grande taille et force physique exceptionnelle, don extraordinaire pour la science et amour de la langue russe : tous ces traits étaient communs au tsar Pierre le Grand et à l’encyclopédiste russe Mikhaïl Lomonossov. Il n’en fallait pas plus pour faire naître un mythe dans le peuple : Lomonossov serait le fils de Pierre le Grand. Il avait étudié en Europe, comme « son père », appréciait les Allemands, comme « son père »... Et c’est bien sûr grâce au soutien de son père présumé qu’il aurait obtenu un emploi à l’Académie slavo-gréco-latine de Moscou...

Naissance d’une légende

L’auteur du mythe est un marin d’Arkhangelsk, le capitaine Vassili Korelski. Dans les années 1950, il publie dans le journal Pêcheur soviétique ses mémoires, un texte dans lequel il déclare avoir vu un document affirmant que Lomonossov serait le fils de Pierre Ier.

Vassili Korelski indique qu’en 1932, son frère aîné lui aurait montré une note qu’il aurait trouvée dans un grenier. Le document stipulait qu’en janvier-février 1711, alors que le tsar se reposait dans le village d’Oust-Tosno, à 35 kilomètres de Saint-Pétersbourg, on lui aurait amené une jeune orpheline, Elena Sivkova, afin d’assouvir ses désirs charnels. Le médiateur dans cette affaire était Luka Lomonossov, chef du zemstvo (assemblée locale) de Dvina. Après le départ du tsar, Elena est tombée enceinte et Luka l’aurait mariée à son parent Vassili Lomonossov, qui deviendrait le père de Mikhaïl. Vassili Korelski a affirmé que Pierre lui-même aurait ordonné de nommer son fils Mikhaïl.

En dehors des mémoires de Vassili Korelski, publiées en 1996 à Arkhangelsk dans un livre, cette légende ne possède aucune confirmation ou source. Korelski affirme que la note elle-même a disparu. Cependant, la légende a commencé à se répandre dans le peuple.

Réfutation

Il est facile de réfuter la possibilité que Pierre ait conçu le grand scientifique en 1711 à Tosno. Selon les nombreux documents décrivant les déplacements du tsar qui nous sont parvenus, Pierre a passé tout l’automne 1710 et le début de 1711 à Saint-Pétersbourg. Le 20 novembre 1710, au cours de la guerre du Nord avec la Suède, la Turquie a également déclaré la guerre à la Russie. En février-mars 1711, Pierre a fait la navette entre Saint-Pétersbourg et Moscou, d’où, le 17 mars, avec Ekaterina Alexeïevna (la future Catherine Ire), il est parti pour la campagne du Prout. Pendant cette période, le tsar n’a tout simplement pas voyagé au nord de Saint-Pétersbourg.

De plus, si Lomonossov était réellement le fils secret du tsar, pourquoi ce dernier ne l’a-t-il pas soutenu au cours de sa vie ? Lomonossov a dû étudier par ses propres moyens en Russie et à l’étranger, puis jouer des coudes pour obtenir sa « place au soleil » dans la communauté scientifique de Saint-Pétersbourg. Sa vie était loin d’être facile.

D’un autre côté, Lomonossov aurait en effet pu bénéficier de l’aide de puissants mécènes. En 1728, soit trois ans avant son départ pour Moscou, le jeune Lomonossov a rencontré l’archimandrite Barsanuphe du monastère Solovki, un haut responsable ecclésiastique. Et lorsque Lomonossov est arrivé à Moscou, il a immédiatement obtenu une audience auprès du recteur de l’Académie slavo-gréco-latine, l’archimandrite du monastère Zaïkonospasski, Guerman (Koptsevitch). Par la suite, c’est ce dernier qui a présenté Lomonossov comme un étudiant prometteur afin qu’il intègre l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg.

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