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Bien que très éloignée géographiquement d’Israël, la Russie a entretenu des liens avec les Juifs presque depuis son apparition. Lorsque le souverain, le prince Vladimir, choisissait une religion pour son peuple au Xe siècle, il a entre autres envisagé le judaïsme. Ce fait à lui seul suggère qu’à cette époque, les Russes avaient déjà tissé des liens avec les Juifs. La Chronique des temps passés indique qu’en étudiant l’histoire des Juifs, Vladimir a toutefois été froissé par le fait qu’ils aient été expulsés de leur terre, Israël, puis dispersés dans des terres étrangères.
À proximité des Russes vivait l’ancien peuple khazar, dont les dirigeants se sont convertis au judaïsme. Ceci a fait naître l’hypothèse selon laquelle les juifs ashkénazes européens ne descendent pas tous du Moyen-Orient, mais aussi du peuple turcique semi-nomade khazar, qui pratiquait le judaïsme et a fui vers l’Europe après l’effondrement de son État au Xe siècle. Cependant, cette théorie est réfutée avec véhémence par de nombreux historiens israéliens.
Les Juifs dans la Russie médiévale
Après que les Juifs eurent été expulsés de nombreux pays européens au XIVe siècle, ils se sont installés sur des territoires de la Pologne, de la Lituanie, de l’Ukraine et de la Biélorussie modernes (frontaliers à cette époque de la Rus’, l’ancêtre de l’État russe moderne). Cependant, pendant longtemps, ils n’ont pas été autorisés à s’installer sur les terres russes.
Ivan le Terrible, particulièrement intransigeant dans ce domaine, a interdit aux Juifs d’entrer dans le pays. Une décision qui était due au rejet des personnes d’une religion différente. Le seul moyen de pénétrer en Russie à l’époque était de se convertir à l’orthodoxie. S’ils se conformaient à cette règle, les Juifs étaient autorisés à s’installer en Russie, et recevaient même des aides financières pour cela.
Les Juifs dans l’Empire russe
Sous le règne de Pierre le Grand, l’attitude envers les Juifs a évolué. Le tsar, qui voyait d’un bon œil tout ce qui était étranger, s’est même rapproché de plusieurs Juifs polonais, auxquels il a accordé d’importantes fonctions publiques. Par exemple, le baron Piotr Chafirov était un haut diplomate (il faisait partie des personnes chargées de communiquer avec le roi de Pologne) et dirigeait les services postaux russes.
Cependant, immédiatement après la mort de Pierre, une attitude négative envers les Juifs a de nouveau prévalu. La nouvelle impératrice Catherine Ire, la veuve de Pierre, les a expulsés du pays. La fille de Pierre, Elizabeth Ire, montée sur le trône après Catherine, a poursuivi cette politique. Et bien que le Sénat l’eût exhortée à permettre aux marchands israélites de participer au moins temporairement aux foires, un de ses décrets stipulait : « Je ne veux pas de profits intéressants avec les ennemis du Christ ».
La Russie a vu apparaître sur son territoire une importante population juive à la fin du XVIIIe siècle, lorsque l’Empire a intégré des parties de la Pologne (un nombre important de juifs ashkénazes y vivaient) et de la Crimée, où des Juifs vivaient depuis longtemps – les Krymtchaks et les Karaïtes, des peuples locaux convertis au judaïsme. Pendant une courte période, Catherine II a permis aux Juifs polonais entreprenants de vivre même dans différentes villes, de faire du commerce et de l’artisanat, et de pratiquer l’usure.
Cependant, très rapidement, la cohabitation avec la population juive, quoique très faible en nombre, a provoqué un sentiment de rejet parmi les Russes. Les Juifs ne s’empressaient pas de s’assimiler, étaient très fervents (la pratique du judaïsme effrayait les orthodoxes), et leur succès sans précédent dans le domaine commercial suscitait de l’inquiétude. Les Juifs faisaient l’objet de plaintes où ils étaient dépeints comme des exploiteurs et étaient blâmés de tous les maux.
La « zone de résidence »
En 1791, Catherine II a publié un décret selon lequel les Juifs ne pouvaient résider que dans une zone située dans le sud-ouest de l’Empire, où ils vivaient lorsqu’ils ces territoires avaient été intégrés à la Russie. Il s’agissait de territoires de la Pologne, de la Lituanie, de la Lettonie, de la Biélorussie, de l’Ukraine et de la Moldavie modernes.
Ce territoire est devenu connu sous le nom de « zone de résidence ». Une partie importante des Juifs parlaient yiddish et vivaient dans des « bourgs », des villes réservées aux bourgeois, c’est-à-dire à la classe des commerçants et des artisans. Ainsi, Brody en Pologne (actuellement en Ukraine) a donné naissance à un nom de famille porté par de nombreux Juifs - Brodski (le grand poète russe Joseph Brodsky en est un exemple).
À la fin du XIXe siècle, environ 5 millions de Juifs vivaient en Russie, constituant la 5e ethnie la plus importante du pays ; presque tous se trouvaient dans la zone de résidence et avaient des droits limités. Dans le même temps, les Juifs avaient un taux de natalité élevé et bénéficiaient de conditions de vie relativement bonnes. Si durant le premier quart du XIXe siècle, près la moitié de la population juive mondiale vivait dans l’Empire russe, à la fin du XIXe siècle, ce chiffre atteignait 80 % (chiffres sont fournis par l’historien israélien Shlomo Sand).
Quitter la zone de résidence était possible, mais très difficile. Il fallait devenir un marchand de la première guilde, réaliser des études supérieures, servir dans l’armée ou être affecté dans un atelier d’artisanat. La liste des professionnels autorisés à s’installer hors de la zone de résidence (médecins, pharmaciens) s’est progressivement allongée. Dans le même temps, leur admission dans les écoles et les établissements d’enseignement était souvent entravée.
Les règles étaient un peu plus souples concernant les Juifs de Boukhara et des Montagnes, qui vivaient en Asie centrale et dans le Caucase, des territoires rattachés à l’Empire après l’apparition de la zone de résidence.
Pendant longtemps, les Juifs de Moscou n’ont été autorisés à s’installer qu’à un endroit : le quartier Glebovskoïe, où la première synagogue est apparue à la fin du XIXe siècle.
Les Juifs qui se convertissaient au christianisme se voyaient quant à eux accorder les mêmes droits que les autres sujets du tsar.
Libéralisation, et nouveau tour de vis
La politique des autorités à l’égard des Juifs a changé à plusieurs reprises. Elle a été libéralisée sous Alexandre Ier, qui a même exempté les Juifs résidant dans les terres nouvellement acquises du devoir de conscription dans l’armée. Le « tsar-libérateur » Alexandre II a à son tour quelque peu assoupli les lois. Par exemple, il a permis aux communautés juives de construire des synagogues en dehors de la zone de résidence. Des lieux de culte israélites sont ainsi apparus dans de nombreuses villes, notamment à Moscou et Saint-Pétersbourg, ainsi qu’en Sibérie, où vivaient de nombreux exilés et anciens condamnés.
Sous Alexandre II, de nombreux Juifs ont réalisé une carrière réussie. Les banquiers Guinzbourg étaient connus dans tout le pays, et ont même obtenu une baronnie. Il y avait aussi de grands industriels juifs, comme les magnats du sucre Brodski.
À partir de la fin du XIXe siècle, les Juifs ont commencé à participer activement à la vie culturelle du pays, et de nombreux peintres, musiciens et autres personnalités célèbres étaient juifs. Par exemple, l’artiste Isaac Levitan est entré à l’École de peinture, de sculpture et d’architecture de Moscou - il a même été exempté des frais de scolarité en raison de son talent. Levitan est devenu un des plus grands peintres paysagistes russes.
Le sculpteur Mark Antokolski et le pianiste Anton Rubinstein étaient eux aussi très connus. Au tournant des XIXe-XXe siècles, de nombreuses personnalités juives ont été propulsés dans la célébrité, tels le peintre Marc Chagall ou la danseuse Ida Rubinstein. Plus tard, au XXe siècle, une pléiade d’écrivains juifs a émergé, comprenant Isaac Babel, Ilia Ilf, Ossip Mandelstam, Vassili Grossman, Joseph Brodsky ou encore Mikhaïl Jvanetski. Tous étaient d’éminents représentants de la culture russe, tandis que l’écrivain Cholem Aleikhem, originaire d’Ukraine, est le fondateur de la littérature en yiddish. Soit dit en passant, Alissa Rosenbaum, mieux connue sous le nom d’Ayn Rand, écrivaine américaine et auteure du roman La Grève, est la fille d’un pharmacien juif de Saint-Pétersbourg.
Dans le même temps, de nombreux Juifs ont intégré les rangs de la jeunesse révolutionnaire, y compris de l’organisation Narodnaïa Volia, responsable de l’assassinat du tsar Alexandre II en 1881.
Sous le tsar réactionnaire Alexandre III, la politique à l’égard des Juifs s’est durcie ; des pogroms ont eu lieu, les autorités fermant les yeux sur ces crimes. Certains estimaient que le tsar lui-même était antisémite. Certaines synagogues récemment construites ont été fermées et la construction de nouveau lieux de culte a été interdite. Les règles concernant la zone de résidence sont devenues plus strictes.
Nicolas II, monté sur le trône en 1894, n’a pas assoupli pas la politique envers les Juifs. En raison de la montée en puissance des pogroms, les Juifs ont commencé à émigrer en masse. Ainsi, en 1903, Golda Meir a quitté l’Empire russe avec ses parents. À l’avenir, elle deviendrait l’un des fondateurs de l’État d’Israël et la seule femme Premier ministre de cet État. Elle est née à Kiev, son père ayant obtenu le droit de s’installer en dehors de la zone de résidence.
Une révolution juive ?
Il existe une opinion répandue selon laquelle la révolution russe elle-même a été en grande partie menée par de jeunes Juifs désireux de bénéficier eux-aussi de l’« ascenseur social ». Parmi les grands noms de la révolution figurent de nombreux Juifs : Léon Trotski (de son vrai nom Bronstein) et Grigori Zinoviev (Apfelbaum), Lev Kamenev (Rosenfeld) et Iakov Sverdlov. Le nombre important de Juifs dans les rangs des révolutionnaires a contribué à la naissance d’une théorie affirmant l’existence d’un « complot communiste juif ». Il serait instrumentalisé plus tard par les propagandistes nazis, qui tireraient un trait d’égalité entre le communisme et les Juifs.
La révolution de 1917 et le régime soviétique ont permis aux Juifs non seulement de s’installer là où ils le voulaient, mais aussi pour la première fois d’occuper des postes gouvernementaux importants, de faire des études et d’exercer la profession qu’ils souhaitaient. Ceci n’a fait que redoubler l’antisémitisme des opposants à la révolution bolchévique. Par exemple, le général blanc Anton Denikine, antisémite notoire, a de facto encouragé des pogroms dans le sud de la Russie. De plus, si l’antisémitisme de la période antérieure était principalement de nature religieuse, les Juifs faisaient désormais face à des attitudes de rejet dans leur vie quotidienne.
Staline a mené une politique ethnique impitoyable, déportant des peuples entiers, y compris de nombreux Juifs, à l’intérieur du pays. Il envisageait de créer pour ces derniers en Extrême-Orient une « terre promise » soviétique : c’est ainsi qu’est apparu l’oblast autonome juif, qui est maintenant une région de la Russie. Le projet fut un échec : peu de Juifs désiraient se rendre dans une région aussi reculée et austère.
Sous Staline une nouvelle vague d’antisémitisme d’État s’est produite : le « complot des blouses blanches », dans la cadre duquel des médecins étaient soupçonnés d’avoir voulu empoisonner des dirigeants soviétiques. L’affaire, montée de toutes pièces par la police politique (NKVD), a été abandonnée deux mois après la mort de Staline.
Les Juifs en URSS
En URSS, le judaïsme était combattu avec autant de zèle que les autres religions : les synagogues ont été fermées et ont servi d’entrepôts ou, au mieux, de maisons de la culture.
Au moment de l’invasion de l’Allemagne nazie, l’URSS comptait la plus importante population juive au monde - près de 5 millions de résidents permanents, et jusqu’à un demi-million de réfugiés. Après la guerre, leur nombre a été divisé par deux. Beaucoup sont morts, certains ont déménagé dans d’autres territoires, tandis que d’autres encore sont partis en Israël.
De nombreux Juifs soviétiques sont devenus athées et ont rompu avec leurs traditions. Avec le début du dégel, dans les années 1960, de nombreux Juifs d’URSS ont commencé à se sentir discriminés. Le mot « juif » dans la partie « nationalité » (ethnie, ndlr) du passeport soviétique était presque perçu comme un stigmate : ce fait était souvent caché, car de nombreux Juifs n’étaient de façon tacite pas autorisés à intégrer les établissements d’enseignement supérieur ou à gravir les échelons dans leur carrière. De plus, un antisémitisme du quotidien existait. Beaucoup ont commencé à cacher leurs origines et même à falsifier des documents ; à la suite de cela, ils ont par la suite rencontré des problèmes pour s’installer en Israël en raison de l’absence de documents confirmant leur origine.
Cela a déclenché un exode des Juifs vers Israël à partir des années 1970, le phénomène ayant atteint son apogée pendant la perestroïka. Environ 600 000 Juifs ont alors quitté l’URSS. Soit dit en passant, plus d’un quart de la population d’Israël est actuellement composée d’immigrants en provenance d’URSS et russophones.
Les Juifs dans la Russie moderne
Aujourd’hui, selon le recensement de la population russe de 2020, plus de 82 000 personnes se disant juives vivent en Russie.
Selon la Fédération des communautés juives de Russie, plus de 100 villes russes possèdent des communautés juives et 45 ont leurs propres rabbins. En outre, il existe plus de 30 restaurants et magasins casher dans tout le pays, ainsi que de nombreuses écoles, éditeurs spécialisés, médias et librairies juifs.
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