Comment un prince russe a contribué à créer les forces spéciales américaines

Histoire
NIKOLAÏ CHEVTCHENKO
Le prince Serge Obolensky est devenu membre des services spéciaux américains à l’âge de 53 ans et a libéré, à lui seul, la Sardaigne de milliers de soldats ennemis pendant la Seconde Guerre mondiale.

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Le 13 septembre 1943, en pleine nuit, une équipe de quatre membres de services spéciaux américains est parachutée derrière les lignes ennemies en Sardaigne pour y mener une mission délicate : convaincre les troupes ennemies de l’île à se rendre aux Alliés.

L’homme à leur tête était un aristocrate russe de 53 ans, qui s’était porté volontaire dans l’armée américaine en tant que simple soldat. C’était son premier saut dans le cadre d’une mission.

Un prince venu de Russie

Avant que l’aristocrate russe Serge Obolensky ne soit poussé par les aléas du destin à commander la mission secrète américaine en Sardaigne, ce prince russe de naissance - descendant de Riourik, fondateur de la Russie - a profité de son statut élevé et mené grand train dans son pays natal.

Dans sa jeunesse, le prince part étudier à Oxford où il côtoie l’aristocratie anglaise, dont le futur roi d’Angleterre Edouard VIII. Quand la Première Guerre mondiale éclate, Obolensky retourne en Russie et s’enrôle dans l’armée en tant qu’officier du régiment de cavalerie de la Garde.

En 1916, le héros de la guerre épouse une princesse russe, fille de l’empereur russe Alexandre II. Mais la révolution russe allait bouleverser sa vie à jamais.

Fuyant les bolcheviks, le couple s’installe temporairement à Londres, où Obolensky parvient à obtenir 200 000 dollars sur ses comptes bancaires suisses. C’était certes une infime fraction de la fortune de sa famille, mais la somme était bien supérieure à ce que beaucoup d’autres aristocrates ont réussi à faire sortir de Russie.

Le mariage n’a pas duré. Le prince russe a rapidement trouvé un emploi de vendeur à Londres, cette nouvelle opportunité ne lui ayant pas permis de se morfondre trop longtemps.

Lors d’un événement mondain, Obolensky a rencontré Alice Muriel Astor, fille et héritière de John Jacob Astor IV, l’un des hommes les plus riches des États-Unis, qui faisait partie des passagers du Titanic en 1912.

Après son mariage, le couple a déménagé aux États-Unis, où le prince russe est devenu le confident de Vincent Astor, le chef de l’entreprise familiale.

« Vincent m’a suggéré d’examiner la situation et de faire des suggestions, car j’avais vécu une grande partie de ma vie dans les meilleurs hôtels d’Europe. Il a fait de moi une sorte de consultant, de promoteur, de détecteur de problèmes… C’est ainsi que j’ai débuté dans l’hôtellerie », raconte Obolensky.

Sous la supervision d’Obolensky, l’hôtel St. Regis de New York a vu les intérieurs de ses halls transformés en espaces publics modernes. Une discothèque sur le thème russe a été construite, et un chef qui avait autrefois cuisiné pour le tsar a été embauché.

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« J’ai trouvé cela captivant, c’était un défi », a déclaré Obolensky, qui est rapidement devenu un chef d’entreprise prospère, attirant de nombreuses personnes riches et privilégiées dans son hôtel lors de fêtes somptueuses et d’événements mondains.

En 1931, Serge est devenu citoyen américain. Une décennie plus tard, une autre guerre mondiale a éclaté, et le vieux guerrier a de nouveau répondu à l’appel du devoir.

Membre des services spéciaux

Obolensky s’est porté volontaire pour rejoindre l’armée américaine, mais il a été rejeté car il avait près de 50 ans et possédait une expérience dans la cavalerie, une branche militaire obsolète dans un contexte de guerre moderne.

Pourtant, le Russe ne s’est pas contenté d’une telle réponse. Tout en travaillant à l’hôtel, il a rejoint en tant que soldat la Garde d’État, une réserve militaire, et s’est entraîné pendant son temps libre pour passer les examens afin de devenir officier.

Il était très peu probable de « voir de l’action » dans le cadre de la Garde d’État, et Obolensky a commencé à explorer d’autres options, utilisant ses nombreuses relations personnelles. Il a fini par demander à un ami militaire comment il pouvait être transféré dans une unité de combat, et a reçu une réponse étonnant de simplicité : « Pourquoi ne parles-tu pas à Bill Donovan ? Il séjourne dans ton hôtel ».

Bill Donovan venait d’être promu à la tête du tout nouveau Bureau des services stratégiques (OSS), le prédécesseur de la CIA et des forces spéciales de l’armée américaine. Obolensky s’est approché de Donovan et, par sa seule force de persuasion, est devenu instantanément membre des services spéciaux américains.

Selon ses propres mots, la formation l’a « presque tué ». Âgé de 53 ans, Obolensky est officiellement devenu le citoyen américain le plus âgé de l’histoire à effectuer son premier saut en parachute.

Selon un récit de l’instructeur de l’OSS, le lieutenant Jerry Sage, Obolenskly a insisté pour suivre la tradition de l’agence consistant à effectuer les cinq sauts en parachute de qualification en une journée malgré son âge.

« Sky [nom de code d’Obolensky à l’OSS], était un monsieur très grand... alors âgé d’environ cinquante-quatre ans... C’était un vrai mec - dur, résistant et jovial. Il s’est entraîné dur et, malgré son âge avancé, il a suivi tous les jeunes et fait tout ce que nous faisions », a déclaré Sage.

Avant le cinquième saut, les jambes d’Obolensky ont commencé à lui faire si mal qu’il pouvait à peine tenir debout, si bien que son supérieur a essayé de l’empêcher de sauter. À cela, le Russe aurait crié : « Jetez-moi hors de l’avion, bon sang ! » Il a reçu son insigne de parachutiste le jour même.

Simultanément, Obolensky était impliqué dans l’élaboration de la formation des membres de l’agence en traduisant un manuel destiné aux partisans soviétiques en anglais, et en introduisant les tactiques dans le programme de formation, posant ainsi les bases de la préparation des groupes de sabotage américains.

Une île libérée par un seul homme

En septembre 1943, les Alliés se préparaient à envahir l’Italie pour affaiblir la coalition de puissances dirigée par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Une garnison de 20 000 soldats allemands et de plus de 270 000 soldats italiens stationnée en Sardaigne présentait un problème. Préoccupés par les combats sur le continent, les Alliés souhaitaient prendre l’île sans recourir à une invasion à grande échelle.

Muni d’une lettre d’Eisenhower et de son charme, Obolensky a été parachuté sur le territoire ennemi pendant la nuit avec trois autres hommes. Sa mission : convaincre le général Basso, qui commandait les forces italiennes sur l’île, de se rendre.

Les quatre hommes ont enterré leurs parachutes, mis en place le matériel de communication et se sont rendus dans la ville la plus proche pour une mission de reconnaissance.

En s’approchant d’un poste de police de la ville de Cagliari, Obolensky a agi comme si des bataillons de parachutistes sous ses ordres attendaient à proximité.

« J’ai un message très important du roi d’Italie et du général Badoglio pour le général Basso. Conduisez-moi à lui ! », aurait-il dit au chef de la police.

Obolensky a convaincu le général Basso de suivre l’ordre du roi italien et du président Eisenhower ; Basso a prononcé la reddition des troupes placées sous son commandement sur l’île. Bientôt, Obolensky a communiqué par radio au siège de l’OSS : « ... à l’exception des Allemands qui se retirent dans l’extrême nord, la Sardaigne [est] à nous »

La mission qui a permis de libérer la Sardaigne sans perdre une seule vie américaine a été proclamée comme un succès majeur de l’OSS et du service de renseignement américain naissant. Le Russe qui l’avait menée à bien est ensuite retourné vivre aux États-Unis.

Par la suite, Obolensky a travaillé pour la chaîne d’hôtels Hilton et, plus tard, a créé sa propre société de relations publiques à New York, Serge Obolensky Associates, Inc. Jusqu’aux derniers jours de sa vie, il a continué à côtoyer des politiciens et des célébrités de haut rang. Le prince russe et membre des services spéciaux américains est mort en 1978 à l’âge de 88 ans.

Évoquant Obolensky, son secrétaire a donné un bref aperçu du secret qui a permis à cet homme pour réussir sa vie sur deux continents : « Il pouvait même charmer les oiseaux sur les arbres ».  

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