Igor Stravinsky, l’homme qui captura l'oiseau de feu

AFP
A moins de 30 ans, son nom était déjà sur toutes les lèvres à Paris. Les légendaires Saisons russes rencontraient un succès retentissant et son œuvre était l'un des sujets de conversation les plus en vogue dans les cafés, journaux et boulevards de la capitale française... Le compositeur russe Igor Stravinsky à ouvert en France, pays pourtant déjà habitué aux génies musicaux, une nouvelle page.

Juriste raté, compositeur accompli

Cet illustre compositeur vit le jour en 1882 près de Saint-Pétersbourg, dans la ville d'Oranienbaum. Dès sa plus tendre enfance, la musique fit partie de son quotidien. Son père, chanteur d'opéra, était soliste au théâtre Mariinsky, tandis que sa mère était pianiste et chanteuse. Ils accueillaient ainsi régulièrement de nombreux artistes, compositeurs et écrivains célèbres. À l'âge de 9 ans, Igor commença à apprendre à jouer du piano.

 Néanmoins, ses parents, comprenant bien que la profession de musicien n'était pas des plus lucratives et des plus stables, l’aiguillèrent vers la faculté de droit de Saint-Pétersbourg.

Mais le jeune Stravinsky n'abandonna toutefois pas les cours de musique et continua à en suivre parallèlement à ses études. C'est Nikolaï Rimski-Korsakov en personne qui se chargea par ailleurs de les lui dispenser. Sous sa supervision, Stravinsky composa ses premiers morceaux.

Envol et chute

Un beau jour, le jeune artiste présenta au public l'une de ses premières œuvres, la suite La faune et la bergère. Assistant à cette première, Serge de Diaghilev, entrepreneur déjà célèbre, remarqua ce talent et lui proposa de prendre part à son nouveau projet, des représentations de ballets russes à l'étranger. Pour les Saisons russes, Stravinsky créa alors des œuvres telles que L'oiseau de feu, Petrouchka, Le Sacre du printemps, Le Rossignol, Feu d'artifice, Renard, l'opéra Mavra et bien d'autres opus encore. Au début des années 1910, aube des Saisons russes, il se déplaçait d'ailleurs régulièrement en France.

C'est à peine si Paris tout entier n'alla pas à la première de L'oiseau de feu. Le public fut fasciné par la manière dont la musique et la danse parvenaient à narrer l'histoire de cet oiseau féérique, qui apportait simultanément bonheur et malédiction à quiconque le capturait. Le compositeur connut alors un incroyable et tonitruant succès. Le balletPetrouchka put se targuer d'une popularité tout aussi considérable avec son tourbillon de couleurs, de sons, et son histoire fabuleusement touchante d'une poupée de paille qui se voit soudainement pourvue de sentiments et d'émotions.

Global Look Press

D'autres triomphes suivront, mais Stravinsky essuya aussi quelques défaites, dont il n’était pas toujours entièrement responsable. Ainsi, dans les années 1920, une crise générale secoua les Saisons russes : les discordes entre Serge de Diaghilev et les membres et chorégraphes des troupes de danseurs, la Guerre civile en Russie, les dépenses dépassant les profits… tout cela influença la qualité des mises en scène.

Après 1923, les problèmes furent néanmoins réglés et de jeunes danseurs rejoignirent les troupes (notamment Serge Lifar). De plus, l'écrivain, peintre et dramaturge Jean Cortot, les artistes Pablo Picasso, Joan Miró, Giorgio De Chirico et la créatrice de mode Coco Chanel s'associèrent à la création des ballets. Le ballet de Stravinsky Les Noces rencontra également un immense succès et devint le clou du spectacle d'une saison tout entière.

Nouveaux horizons

Alors que l'Europe se préparait au désastre de la Première Guerre mondiale, Stravinsky s'installa avec sa famille en Suisse : il était ainsi plus simple de ne pas s'éloigner trop longtemps de ses proches. De plus, il réalisait parfaitement qu'au vu des circonstances, traverser l'Europe entière pour rejoindre la Russie serait dangereux. Les événements révolutionnaires qui éclatèrent alors dans son pays natal le confortèrent d'ailleurs dans son choix. En 1920, il décida néanmoins de partir vivre en France.

Igor Stravinsky à Paris. / AFPIgor Stravinsky à Paris. / AFP

C'est là que vint à lui la reconnaissance mondiale. Il y passa plus de 20 ans, échappant aux horreurs de la Guerre civile russe et à ses conséquences. En 1934 lui fut même attribuée la citoyenneté française. Mais en réalité, Igor Stravinsky considéra son séjour en France comme la période la plus triste de sa vie. C'est en effet précisément ici que ses proches les plus chers trouvèrent la mort : sa mère, sa femme ou encore sa fille aînée.

L'année 1924 marqua les débuts de Stravinsky en tant que pianiste : il se produisit dans son propre concerto pour piano et instruments à vent. Avec le temps, il fit en outre preuve d'un intérêt grandissant pour la musique sacrée. Sa première composition lui étant dédiée fut « Notre Père » pour un chœur a cappella. En 1930 apparut également sa Symphonie de Psaumes. Il ne délaissa cependant pas pour autant ses thèmes de prédilection. Aussi, en collaboration avec André Gide, il créa le mélodrame Perséphone.

Chalet d'Igor Stravinsky en France. / ZUMA Press / Global Look PressChalet d'Igor Stravinsky en France. / ZUMA Press / Global Look Press

En 1929, suite à la mort de Serge de Diaghilev, le groupe commença à s'effondrer (nouvellement formée, la troupe Ballet russe à Monte-Carlo tenta ultérieurement de préserver ses traditions). Pour Stravinsky, des perspectives de plus en plus évidentes se dessinèrent alors aux États-Unis, et le début de la Seconde Guerre mondiale le persuada définitivement de la nécessité d'y déménager. Avec sa nouvelle femme, la peintre Vera Soudeïkina, il traversa donc l'océan en 1940.

Sur le nouveau continent, de nombreuses possibilités s'offrirent effectivement à lui, ce qui lui permit de s'essayer dans de nouveaux domaines. Ainsi, il se familiarisa avec le jazz, donna des cours à l'université Harvard, effectua des tournées en tant que chef d'orchestre, et réalisa des enregistrements audio.
Il qualifia d'apogée de son « tableau artistique » les Requiem Canticles, qu'il créa en 1966 pour des solos de basses et de contralto, un chœur et un orchestre.

Photo prise le 20 mai 1952 de l'écrivain, dramaturge et peintre Jean Cocteau (C) lors de la représentation de l'Œdipus Rex au théâtre des Champs-Elysées, dirigé par Igor Stravinsky (D). / AFPPhoto prise le 20 mai 1952 de l'écrivain, dramaturge et peintre Jean Cocteau (C) lors de la représentation de l'Œdipus Rex au théâtre des Champs-Elysées, dirigé par Igor Stravinsky (D). / AFP

« Avec la promesse de nous revoir un jour … »

C'est précisément comme cela qu'il signa une photographie à destination de son arrière-petite-nièce. À la différence de beaucoup d'émigrés, il parvint tout de même à revoir sa lointaine patrie, qu'il avait quittée des années plus tôt : en 1962 il effectua en effet des tournées à Moscou et Léningrad.

Jusqu'au dernier jour, il travailla avec une énergie et une imagination débordantes. Hélas, il ne put achever tout ce qu'il souhaitait réaliser : le temp, suivant son cours inexorable en avait décidé autrement. L'une de ses œuvres restées inachevées fut son orchestration des quatre préludes et fugues de Bach.

« Je ne suis pas né à la bonne époque. Tout comme Bach, bien que dans une autre mesure, il me convient de vivre dans l'ombre et de composer régulièrement pour le service religieux et Dieu. J'ai tenu bon dans le monde où j'ai vu le jour… j'ai survécu… malgré le mercantilisme des éditeurs, les festivals musicaux, la publicité… », confia-t-il.

Il n'a néanmoins pas réussi à tenir la promesse qu'il avait faite sur cette photo : en 1971, Stravinsky succomba des suites d'une insuffisance cardiaque à l'âge de 88 ans. Il fut enterré à Venise, dans la partie russe du cimetière San Michele, non loin de Serge de Diaghilev, l'homme qui avait autrefois fait découvrir au jeune Stravinsky la France, lui ouvrant le chemin d’une gloire planétaire. 

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