Comment les cosaques russes sont devenus la hantise des troupes de Napoléon en 1812

Histoire
BORIS EGOROV
La cavalerie cosaque, rapide et résistante, a tourmenté la «Grande Armée» de Napoléon telle une meute de chiens de chasse face à un ours traqué.

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« Les cosaques sont les meilleures troupes légères entre toutes celles qui existent. Si je les avais dans mon armée, je voudrais faire le tour du monde avec eux », c’est ainsi que Napoléon a évoqué la cavalerie cosaque russe, qu’il a rencontrée lors de l’invasion de la Russie par la Grande Armée en 1812. Par quoi a-t-elle tant marqué l’empereur français ?

Des guerriers nés

Au début du XIXe siècle, les cosaques étaient principalement engagés dans la surveillance des frontières de l’Empire. Ces troupes irrégulières se distinguaient par leur grande aptitude au combat, leur discipline stricte, leur sens de la camaraderie, leur loyauté les uns envers les autres et envers leurs atamans (chefs).

Dès leur plus jeune âge, les cosaques apprenaient à monter à cheval, à manier diverses armes blanches et à feu, même s’ils préféraient par-dessus tout les piques (qu’ils appelaient « fléchettes »). Pendant leur temps libre, ils organisaient des jeux de guerre et apprenaient et pratiquaient des techniques tactiques que leurs ancêtres avaient empruntées à l’art militaire des peuples nomades.

Bonaparte lui-même attribuait une caractéristique très imagée au cosaque : « un bel homme, fort, adroit, fin, bon cavalier, infatigable ; il est né à cheval et nourri dans les guerres civiles, il est dans la plaine, ce qu’est le bédoin dans le désert, le barbet dans les Alpes ; il n’entre jamais dans une maison, ne couche jamais dans un lit, change toujours son bivouac au coucher du soleil, pour ne pas passer la nuit dans un lieu où l’ennemi aurait pu l’observer ».

La tactique cosaque

L’ordre de bataille de base de la cavalerie cosaque au combat était ce que l’on appelait la « lave », qui était utilisée autrefois par les conquérants mongols. La masse des cavaliers attaquait l’ennemi en une ou plusieurs rangées, de manière apparemment chaotique. En réalité, les cosaques, réunis en rangs de 10 à 12 hommes, agissaient dans cette « lave » comme un mécanisme bien coordonné, où chaque cavalier connaissait son rôle.

« Vous ne savez pas comment agir contre eux ; si vous dépliez une ligne, ils se rassemblent instantanément en colonne et la brisent ; si vous voulez les attaquer en colonne, ils se déploient rapidement et la couvrent de tous côtés... », se lamentaient les officiers de la Grande Armée.

Bien sûr, il était très difficile pour des cosaques légèrement armés de résister à une bataille ouverte contre les lourds cuirassiers français. En général, ils engagaient le combat avec la cavalerie légère de l’ennemi, se chargeaient de la reconnaissance, du sabotage, entreprenaient des embuscades, faisaient des prisonniers, frappaient l’arrière de l’armée ennemie et coupaient ses communications.

Couverture de l’armée russe

Environ 40 000 cosaques étaient présents dans l’armée russe au début de la guerre patriotique de 1812, comme l’on appelle ici la campagne napoléonienne de Russie. La masse principale était constituée de représentants de l’armée cosaque du Don de l’ataman Matveï Platov, rejoints par les cosaques de la mer Noire, ainsi que par des régiments de cavalerie tatars, kalmouks et bachkirs.

Le 23 juin, à la veille d’une invasion à grande échelle de l’Empire russe par la Grande Armée, 300 lanciers polonais du 5e corps d’armée ont traversé le fleuve frontalier Niémen pour une reconnaissance. Ils y ont été immédiatement attaqués par un détachement cosaque, qui a battu en retraite après une courte bataille. Les cosaques entretiendront une relation particulière avec les Polonais pendant toute la campagne militaire.

Évitant une bataille générale, les armées russes disparates se sont repliées dans les profondeurs de l’empire sous l’assaut de forces ennemies supérieures. Or, des régiments mobiles de cosaques ont couvert la retraite des forces principales, infligeant aux Français des coups inattendus et sensibles. Comme l’a noté le général Leonti Bennigsen, « ils profitent du moindre faux pas de l’ennemi et lui font immédiatement s’en mordre les doigts »

Si la situation le permettait, les cosaques engageaient aussi l’ennemi en combat ouvert. Par exemple, le 9 juillet, au village de Mir (aujourd’hui en Biélorussie centrale), ils ont utilisé la tactique du « filet » contre les lanciers polonais. En organisant une retraite, les cosaques les ont attirés dans une embuscade tendue par leurs forces principales.

La bataille a continué le jour suivant. Étant donné que le « filet », désormais connu de l’ennemi par une amère expérience, ne fonctionnait plus, Platov l’a attaqué avec la technique de la « lave ». « La bataille acharnée a duré quatre heures, poitrine contre poitrine... Sur les six régiments de l’ennemi, il n’est pas certain qu’il reste une âme, ou peut-être en sauveront-ils quelques-unes... Nos dommages ne sont pas grands », a rapporté l’ataman au commandement.

Borodino

Vingt régiments et deux compagnies d’artillerie à cheval cosaques ont pris part à la grande bataille de Borodino (aussi appelée bataille de la Moskova) le 7 septembre. Au cours de cet affrontement, ils ont à plusieurs reprises fait face, dans des combats acharnés, à leurs vieilles connaissances du 5e corps d’armée polonais, mais l’heure de gloire des cosaques a été un raid audacieux à l’arrière du flanc gauche des forces françaises.  

Ayant obtenu la permission du commandant en chef de l’armée russe Mikhaïl Koutouzov « d’aller à l’arrière de l’ennemi », les cosaques du Don de Platov ainsi que la cavalerie du corps de réserve du général Fiodor Ouvarov ont secrètement traversé la rivière Kolotch et soudainement attaqué les Français, provoquant chaos et confusion parmi ces derniers.

Le nombre d’assaillants ne dépassait pas six mille hommes, mais ne le sachant pas, Napoléon a été contraint de détourner son attention sur eux et de suspendre l’assaut sur les positions de l’armée russe, ce qui a laissé à celle-ci quelques heures de répit. Après avoir gagné un temps précieux pour les troupes, pillé les convois et capturé des prisonniers, la cavalerie de Platov et d’Ouvarov ont battu en retraite.

Achever l’ennemi

Les cosaques sont les premières troupes russes à être entrées dans Moscou après le retrait de l’armée française le 19 octobre. Ils ont immédiatement taché d’éteindre les incendies, d’enterrer les cadavres, de rechercher et d’arrêter les collaborateurs de l’ennemi, ainsi que d’appréhender les maraudeurs et les criminels.

Au petit matin du 25 octobre, dans la région de Maloïaroslavets (121 kilomètres au sud-ouest de Moscou), les cosaques ont par ailleurs eu l’occasion de capturer l’Empereur lui-même. De manière totalement inattendue pour l’ennemi, ils ont en effet attaqué ses positions d’artillerie, son convoi et ont engagé le corps de la garde, où se trouvaient Napoléon et son entourage. Inconscients de cette opportunité, les cosaques se sont concentrés sur le pillage du convoi et ont battu en retraite lorsque les renforts français sont apparus.

« L’Empereur a failli être fait prisonnier au milieu de ses gardes ! On a déjà dit cent fois que la Garde se bat bien, mais qu’elle garde mal. En effet, la nuit, les cosaques étaient à moins de 300 pas du bataillon de grenadiers... ! Seul le courage extraordinaire de son convoi et l’arrivée des grenadiers à cheval et des dragons de la Garde ont sauvé Napoléon de la captivité », a décrit l’événement George Denison, historien canadien du XIXe siècle.

Les cosaques, qui apparaissaient comme les yeux et les oreilles des troupes russes, ont poursuivi l’ancienne « Grande Armée » dans sa fuite vers l’ouest, infligeant parfois à l’ennemi des coups soudains et douloureux. À l’occasion de l’expulsion des Français de l’Empire, le tsar Alexandre Ier a félicité l’ataman Platov : « Vos mérites et les exploits des troupes cosaques qui vous sont subordonnées resteront inoubliables. Leur nom est devenu une crainte pour l’ennemi ».

Les cosaques ont également su faire leurs preuves lors de la campagne militaire qui a suivi en Europe. Ainsi, lors de la bataille de Leipzig en octobre 1813, ils ont sauvé de la captivité ou même de la mort l’empereur Alexandre et le roi de Suède Charles XIV Jean, lorsque la cavalerie du maréchal Joachim Murat a percé une voie vers eux.

Il n’est pas surprenant que les cosaques aient été parmi les premiers de l’armée russe à entrer dans Paris avec le tsar en mars 1814. C’est dans la capitale française que s’est achevé leur parcours de guerre ardu mais héroïque.

Dans cet autre article, découvrez comment les cavaliers nomades ayant rejoint l’armée russe ont effrayé les troupes napoléoniennes.

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