Fiodor Tolstoï, le voyou le plus audacieux de la noblesse russe

Histoire
GUEORGUI MANAÏEV
Ce garde impérial russe s'est battu contre Napoléon, a épousé une gitane et a été expulsé d'un voyage autour du monde pour sa mauvaise conduite. Le comte Fiodor Tolstoï a reçu le surnom d’«Américain», même s'il n’est jamais allé aux États-Unis.

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Le comte russe Fiodor Tolstoï était une personne unique à bien des égards : le seul noble russe de son temps à avoir des tatouages, le seul noble marié à une Gitane, tricheur et duelliste inégalable. Il est devenu encore plus célèbre pour ses histoires extravagantes – Tolstoï aimait bavarder et inventer des récits sur lui-même. Bien qu'il se soit vanté de son célèbre surnom « Américain », Tolstoï a menti sur sa visite en Amérique du Nord.

Exclu de la délégation japonaise

Fiodor appartenait à une branche pauvre de la noble famille Tolstoï. Pour faire carrière, il a dû entrer dans le Corps des cadets de la Marine. Là, ce jeune comte fort et rusé a appris l'art de l'épée et le tir, ce qui en a ultérieurement fait un adversaire dangereux en duel. En 1797, il a rejoint le régiment impérial Préobrajenski (régiment de la Transfiguration).

« Il n'avait ni amour ni capacité d'obéissance », a plus tard écrit sa fille. Pendant ses années de service, il était l'un des hooligans les plus notoires, envoyé deux fois en punition dans des régiments de la garnison. « Tout ce que les autres ont fait, il l'a fait 10 fois plus fort. L'insouciance était à la mode ces jours-là, et le comte Tolstoï était imprudent jusqu'à la frénésie », a témoigné son ami, Fadeï Boulgarine.

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L'imprudence a incité Tolstoï à rejoindre l'équipe de la première circumnavigation russe sous le commandement d'Ivan Krusenstern. Nikolaï Rezanov, l'envoyé impérial dont la tâche était d'établir des relations diplomatiques entre le Japon et la Russie, a participé à la même expédition. Cependant, pendant le voyage, Krusenstern et Rezanov se sont disputés. Tolstoï était quant à lui un « cavalier de l'ambassade », subordonné de Rezanov, mais en tant qu’ancien élève du Corps des cadets de la Marine, il s'est associé à Krusenstern, ridiculisant le colérique Rezanov. Cela lui a coûté cher, et lorsque l'expédition a atteint le Kamtchatka, le comte de 22 ans a été laissé sur le rivage « pour conduite indisciplinée ». C'était le 26 août 1804.

Comte tatoué

Pour retourner à Pétersbourg, Tolstoï devait d'abord se rendre à Okhotsk (région de Khabarovsk), où il est arrivé en janvier 1805. Tolstoï a dit plus tard à ses amis qu'entre août 1804 et janvier 1805, il avait visité les îles Aléoutiennes et l'Alaska russe (c'est pourquoi il s'est fait appeler « Américain »). Mikhaïl Filine, le biographe de Tolstoï, a récemment prouvé que son voyage en Amérique était un mensonge : le comte n'aurait tout simplement pas eu le temps de traverser l'océan et de revenir en seulement quatre mois.

À tous les contemporains qui doutaient de ses aventures, Tolstoï présentait une preuve irréfutable : tout son corps était couvert de tatouages, qu'il aurait faits au cours de ses périlleux voyages. Il a dit que pendant son séjour en Alaska, il avait rendu visite au peuple des Tlingits, qui lui avaient demandé d'être leur roi et décoré son corps. En réalité, ses tatouages ont été réalisés lors d'une escale de 10 jours aux îles Marquises (l’un des cinq archipels de la Polynésie française).

De ce que l’on sait, le comte Tolstoï a été le seul noble russe tatoué (généralement, avaient des tatouages les marins russes, et non les nobles). La nièce de Tolstoï a rappelé plus tard que, se réunissant avec des amis, Fiodor leur montrait ses tatouages : un « gros oiseau bigarré » tatoué sur sa poitrine, des serpents et des motifs sauvages sur ses bras. « Les dames haletaient sans arrêt. Plus tard, des hommes ont emmené Fiodor à l'étage… et là, ils l'ont complètement déshabillé et ont inspecté son corps tatoué de la tête aux pieds ».

Qu'y avait-il de si spécial à ce qu'un noble ait des tatouages ? En Russie, c'était le sort des condamnés, qui étaient souvent ainsi « marqués », comme le bétail, en pénitence. Les tatouages étaient inappropriés pour un aristocrate – en se tatouant, Tolstoï a défié une autre construction sociale de son temps.

Tolstoï a habilement soutenu la propagation des légendes sur son passé. Quelque part en Extrême-Orient, il a acheté des vêtements aléoutes et les portait chez lui, sans parler du fait qu'il a décoré les murs de sa chambre avec des armes indigènes. Mais « Américain » et « Aléoute » n'étaient pas les seuls surnoms de Tolstoï. Il se faisait aussi appeler « Gitan ».

Noble gitan

À cette époque, les chanteurs, danseurs et musiciens gitans divertissaient souvent la noblesse russe. Bien sûr, il ne pouvait être question de relations sérieuses entre eux et les nobles. Le comte Tolstoï a cependant surpris tout le monde en épousant une gitane nommée Avdotia Tougaïeva.

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Tout a commencé comme une petite aventure, mais bientôt la jeune femme a conquis Tolstoï par sa sollicitude. Le fait est que le comte avait de grosses dettes de jeu, qu'il ne pouvait en aucun cas rembourser, alors il a sérieusement pensé au suicide. Voyant son désespoir, Avdotia a utilisé tout son argent reçu en cadeau d'autres nobles pour le débarrasser de ses dettes. Frappé par sa gentillesse, Tolstoï a décidé de l'épouser.

Cependant, leur vie était loin d'être heureuse et ils se disputaient constamment, vivant parfois même séparément. De plus, ils ont perdu huit enfants à cause de diverses maladies. Néanmoins, Tolstoï était un père de famille dévoué : dans les moments difficiles, il arrêtait de jouer et s'abstenait de boire de l'alcool. Il a toujours eu de l'argent pour nourrir et éduquer ses enfants. Le comte gardait par ailleurs sa vie personnelle secrète, car la haute société se moquait souvent de lui pour avoir épousé une gitane. Cependant, l'amour de Tolstoï pour Avdotia s'est avéré plus fort que n'importe quel commérage et préjugé.

Héros de la guerre de 1812

Lorsqu'en 1805, Tolstoï est retourné à Saint-Pétersbourg, il a été sévèrement puni pour ses actes lors de la circumnavigation et envoyé servir dans un régiment de garnison à Neslott (aujourd'hui Savonlinna, Finlande). L'empereur Alexandre était en colère contre Tolstoï parce qu'il s'était querellé avec son envoyé au Japon. En 1808, Tolstoï a été gracié et il a pris part à la Guerre russo-suédoise de 1808-1809, faisant preuve d'un courage extraordinaire. Plus tard, pendant la Guerre patriotique de 1812 contre la France, Tolstoï est devenu un héros de la bataille de Borodino, lorsque, après la mort de son commandant, il a pris le commandement du régiment Ladoga. Le comte a été blessé au genou, mais après s'être rétabli, il a continué à se battre, poursuivant l'armée de Napoléon en Europe et rentrant chez lui victorieux en 1814.

Roi de jeu et des duels

Tolstoï aimait le jeu, mais tout le monde savait qu'il était un tricheur. « Seuls les imbéciles comptent sur la chance », déclarait-il. La tricherie aux cartes n'était pas considérée comme un péché pour un noble. En 1819, Tolstoï a même joué aux cartes avec Alexandre Pouchkine, et le poète a remarqué que le comte trichait et le lui a reproché. Tolstoï a alors répondu : « Oui, je le sais, mais je n'aime pas qu'on me le rappelle ».

Les deux hommes se sont mutuellement vexés. Pouchkine s'est même préparé à un duel avec Tolstoï, mais, heureusement, ils n'ont échangé qu'une série d'épigrammes poétiques amères. Au fil du temps, Tolstoï, qui avait 17 ans de plus que Pouchkine, s'est toutefois lié d'amitié avec le poète et est devenu son entremetteur – le comte était un ami proche de la famille de Natalia Gontcharova, future épouse de Pouchkine.

Enfin, Tolstoï était connu pour être un duelliste et il aurait tué plus de 10 personnes. L'écrivain Léon Tolstoï, cousin éloigné de Fiodor, raconte qu'un jour un ami proche du comte aurait été provoqué en duel. Craignant pour la vie de son ami, car il ne tirait pas très bien, Fiodor lui-même aurait alors accepté le défi. Le lendemain, tôt le matin, Tolstoï aurait ainsi tué son adversaire, puis serait venu chez son ami et l'aurait réveillé avec les mots : « Dors, mon ami, je l'ai déjà tué ».

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Tolstoï lui-même est décédé tranquillement dans sa demeure de Moscou en 1846, à l'âge de 64 ans. Les dangers de la vie avec lesquels il aimait tant jouer avaient contourné ce voyou légendaire.

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