Cette bataille qui fut une «répétition» de Stalingrad  

Histoire
BORIS EGOROV
En février 1942, dans le nord-ouest de l'URSS, les troupes soviétiques encerclèrent pour la première fois un groupe de 95.000 soldats allemands. Cependant, ils ne furent pas en mesure de contraindre l'ennemi à la reddition.

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Fin 1941, l'Armée rouge inflige une cuisante défaite aux Allemands près de Moscou, repoussant la Wehrmacht à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale soviétique. Encouragé par ce succès, le commandement soviétique a estimé que le moment d'un tournant radical dans la guerre était venu, et lancé une offensive à grande échelle sur tous les fronts. « Les Allemands veulent (...) gagner du temps et avoir un répit, notait alors Staline : Notre tâche consiste à ne pas laisser ce répit aux Allemands, à les chasser vers l'ouest sans s'arrêter, à les forcer à épuiser leurs réserves avant le printemps... afin d’assurer la défaite totale des troupes nazies en 1942 ».

L'une des principales attaques devait être menée contre le groupe d'armées Nord, qui assiégeait Leningrad. Le 7 janvier 1942, les troupes du front Nord-ouest sous le commandement du lieutenant-général Pavel Kourotchkine ont attaqué les positions ennemies dans la région des lacs Ilmen et Seliguer, développant l'offensive en direction de Demiansk et Staraïa Roussa. « Le Nord-Ouest est difficile à sa manière, écrit Vladimir Flankine, commandant d'une batterie de mortiers de la Garde. Certes, il n'y a presque pas ici de fortes gelées et il n’y règne pas une chaleur insupportable. Le climat est doux et humide. Mais tout autour il y a des forêts et des marécages. L’humidité est présente toute l'année. Vous vous écartez du chemin et vous vous enfoncez jusqu'à la taille. Les routes sont calamiteuses ».

Malgré le terrain difficile et la résistance farouche des Allemands, l'Armée rouge a avancé avec succès dans plusieurs directions, avec l'intention de prendre l'ennemi en tenaille. Le commandement du 2e corps d'armée de la Wehrmacht, inquiet, a demandé à Berlin l'autorisation de battre en retraite, mais a reçu une réponse catégorique : « Demiansk doit être défendue jusqu'au dernier homme ».

En conséquence, le 20 février, les unités soviétiques se déplaçant l'une vers l'autre ont fermé l'encerclement près du village de Zaloutchié, coupant des forces du 2e corps et la division motorisée SS « Tête de mort » comptant au total 95 000 personnes.

Le groupe encerclé contrôlait une zone de 3000 kilomètres carrés, sur laquelle se trouvait la grande ville de Demiansk et un certain nombre de petites municipalités. Les dirigeants du Troisième Reich ont interdit de la qualifier de « chaudron », préférant utiliser des expressions telles que « Forteresse de Demiansk » et « Bastion de l'Est ». Les soldats du 2e corps, à leur tour, l'appelaient simplement « comté », puisque le commandant, le général Walter von Brockdorff-Ahlefeldt, était effectivement comte.

Le commandement soviétique était conscient de la nécessité de vaincre rapidement l'ennemi piégé, mais toutes les tentatives de l'Armée rouge visant à percer les défenses du 2e corps se sont soldées par un échec. « L'ennemi a bloqué toutes les routes, tous les chemins et toutes les approches qui convenaient un tant soit peu à notre offensive, a rappelé Kourotchkine. Et puisque tout mouvement en dehors des routes de forces militaires importantes était généralement exclu, il était extrêmement difficile de surmonter une telle défense... Des champs enneigés tranquilles devant de tels villages pouvaient en un instant se transformer en enfer absolu dès que nous passions à l'offensive. Chaque mètre d'espace était arrosé par de nombreuses mitrailleuses et autres canons tapis dans les villages »

Pour le groupe allemand, la défense du « chaudron » a également nécessité une intense tension de toutes les forces. « Les bases logistiques sont équipées et occupées par du personnel. Tout le monde est impliqué, jusqu'au dernier soldat, y compris les cuisiniers », a écrit le lieutenant-chef Martin Steglich dans son journal. Un tableau terrible est dressé dans ses mémoires par le commandant du peloton de liaison du 37e régiment d'artillerie de la Garde Ivan Novokhatski : « Les Allemands ont fabriqué des parapets à partir des cadavres de nos soldats pour leur flanc avant, les pliant et versant de l'eau dessus, car creuser, en règle générale, était impossible - l'eau, qui à de nombreux endroits était à 20-30 centimètres de la surface, rendait une telle entreprise infaisable »

Sans un approvisionnement régulier en vivres et en munitions, les troupes de Brockdorff-Ahlefeldt n'auraient pas pu tenir longtemps, et Hermann Goering impliqua toutes les forces disponibles de l'aviation de transport à la rescousse de la « Forteresse de Demiansk ». Des groupes aériens du groupe d’armées Centre et même de l'Afrika Korps furent mobilisés. Étant donné que la suprématie aérienne était toujours entre les mains de la Luftwaffe, l'armée de l'air de l'Armée rouge ne pouvait pas interférer de manière significative avec le fonctionnement du « pont aérien ». Néanmoins, en ravitaillant Demiansk, les Allemands ont perdu plus d'une centaine d’avions de transport Junkers-52 et Heinkel-111.

Avec l'arrivée du printemps, les troupes allemandes ont commencé à tenter de briser l'encerclement, ce qu'elles ont finalement réussi à faire. Le 22 avril 1942, dans le secteur du village de Ramouchevo, le groupe d'armées general-lieutenant Walther  von Seydlitz-Kurzbach a établi le contact avec les soldats du major-général Hans Zorn sortis du « chaudron ». Le soi-disant « corridor Ramouchevski », faisant jusqu'à un kilomètre de large, a été formé. Les Allemands ont cependant réussi à l'étendre jusqu’à huit kilomètres, le renforçant au moyen de champs de mines et de dizaines de bunkers et de fortifications en terre et en bois. Les tentatives répétées des troupes soviétiques de détruire cette ligne d'approvisionnement et de restaurer le « chaudron » se sont avérées infructueuses.

La défense réussie du « chaudron » de Demiansk a finalement joué un très mauvais tour à Hitler. Lorsqu'en novembre 1942, l'armée de 300 000 hommes de Friedrich Paulus fut piégée à Stalingrad, le Führer lui a interdit de quitter la ville, car il était sûr que la Luftwaffe aiderait ici aussi les troupes encerclées. Le dictateur n'a cependant pas tenu compte de l'activité et de l'efficacité accrues de l'armée de l'air soviétique et des conditions de terrain radicalement différentes comparées à Demiansk : voler quelques dizaines de kilomètres au-dessus de forêts denses est une chose, survoler deux cents kilomètres de steppe ouverte en surmontant la DCA soviétique en est une autre. Les nazis ont par la suite payé très cher cette erreur.

Dans cette autre publication découvrez comment les Soviétiques ont défendu Moscou en 1941.