Vie et mort des prisonniers de guerre allemands en URSS

1941. Front de l'Ouest. Des soldats allemands se rendent à l'Armée rouge

1941. Front de l'Ouest. Des soldats allemands se rendent à l'Armée rouge

Vladimir Grebnev/TASS
Plus de quatre millions d'Allemands, capturés sur place ou envoyés dans le pays, ont été soumis au travail forcé en URSS après la Seconde Guerre mondiale. Tous n'ont pas pu revoir leur pays.

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« Si je survis, je pourrai découvrir ce que sont les bolcheviks. Peut-être que le communisme est vraiment l’issue idéale pour le peuple. Après tout, nous faisons aussi beaucoup de mal », pensait Helmut Bohn alors qu'il fut capturé par des soldats soviétiques dans la région de Pskov en février 1944. Bohn passera la période de 1944 à 1947 en URSS en tant que prisonnier de guerre et décrira plus tard son expérience dans un livre intitulé Aux portes de la vie. Cependant, tous les Allemands internés en URSS n'ont pas pu survivre afin de raconter leur vécu.

« Élément de remplacement »

7 décembre 1943. Franklin Roosevelt, Winston Churchill et Joseph Staline lors de la conférence de Téhéran

« Les prisonniers de guerre étaient considérés par l'URSS non seulement comme une source de main-d'œuvre, mais aussi comme une ressource destinée à être utilisée dans l'économie du pays, non seulement pendant la guerre, mais surtout dans la période d'après-guerre », écrit l'historien Vladimir Vsevolodov. De façon assez inhumaine, les autorités soviétiques considéraient les prisonniers de guerre allemands comme une monnaie d’échange pour les pertes de population soviétiques.

Staline a défini le nombre de prisonniers que l'URSS « avait besoin » en 1943 lors de la conférence de Téhéran. Staline a soutenu que l'URSS avait besoin d'un « élément de remplacement » – environ quatre millions de citoyens allemands, qui restaureraient les villes soviétiques détruites et développeraient l'industrie. Ce nombre, note l'historienne Elena Chmaraïeva, était dérivé du nombre approximatif de soldats soviétiques morts et disparus sans laisser de traces au moment de la tenue de la conférence de Téhéran – environ quatre millions également.

Décembre 1941, région de Moscou. Des soldats soviétiques convoient une colonne de soldats allemands capturés.

En 1944, les Soviétiques avaient conçu un programme de travail pour les prisonniers de guerre allemands. « Le retrait de plusieurs milliers d'unités de travail de l'économie nationale allemande chaque année doit inévitablement avoir un effet d'affaiblissement sur son économie et sur son potentiel militaire », a écrit le ministre des Affaires étrangères Viatcheslav Molotov à Staline. Pendant la guerre, plus de trois millions de citoyens soviétiques avaient été emmenés en Allemagne pour effectuer des travaux forcés, et l'URSS comptait compenser cela – sans oublier les dizaines de millions de personnes qui avaient péri pendant la guerre.

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La Direction principale des prisonniers de guerre et des internés a été organisée en URSS avant même le début de la guerre. En 1941, il y avait huit camps de travail pour prisonniers de guerre en URSS, mais le nombre de captifs stagna au départ : environ dix mille en 1941 et 1942. Après la bataille de Stalingrad et l'assaut soviétique dans la région du Don, ce chiffre augmenta brusquement : plus de 200 000 en 1943, et plus de 800 000 de plus à la fin de la guerre.

Formellement, l'itinéraire d'un prisonnier allemand était le suivant : de l'endroit où il avait été capturé, il était emmené vers les camps de réception et de transfert sur la ligne de front et, de là, transporté vers les camps en territoire russe. Mais en réalité, pendant la guerre, la plupart des prisonniers sont restés dans les camps de première ligne qui n'étaient souvent constitués que de huttes de fortune. « Jusqu'à ce que nous arrivions au camp, la ration quotidienne était d'environ un litre de soupe liquide et trois cents grammes de pain rassis. Les jours où on nous ordonnait de couper du bois pour la cuisine de campagne russe, on nous donnait du thé chaud pour le dîner. Nous étions une douzaine de prisonniers, et l’on nous gardait sous clé dans un enclos à chèvres, supervisé par une jeune lieutenante de l'Armée rouge », a écrit Helmut Bon.

Après la guerre

Photographie de propagande d'un camp de prisonniers de guerre soviétique, 1943

En 1946, il y avait 240 camps de travail pour prisonniers de guerre de différentes nationalités en URSS où se trouvaient plus d'un million de prisonniers. Cependant, cela ne suffisait pas à atteindre l'objectif souhaitable de quatre millions. L'URSS a commencé à interner des prisonniers transférés de l'étranger.

En 1944, après l'entrée de l'Armée rouge sur les territoires de la Roumanie, de la Yougoslavie, de la Hongrie, de la Bulgarie et de la Tchécoslovaquie, un ordre est émis par le ministère soviétique de la Guerre enjoignant « de mobiliser et d'interner tous les Allemands vivant sur le territoire de ces pays, les hommes de 17 à 45 ans, les femmes de 18 à 30 ans, quelle que soit leur nationalité. » L'historien Pavel Polian écrit que plus de 112 000 personnes ont été internées de ces pays en vue de travailler en URSS. Les personnes mobilisées ont été autorisées à emporter avec elles jusqu'à 200 kilogrammes d'effets personnels.

Après la guerre, écrit Elena Chmaraïeva, jusqu'à 3,8 millions de prisonniers de guerre allemands ont été internés en URSS. Environ 2,4 millions étaient des soldats et des officiers, qui étaient détenus dans des camps de prisonniers de guerre, tandis que les autres – pour la plupart des Allemands de souche en provenance des pays européens – étaient affectés à des « bataillons de travail ». Que faisaient-ils ?

Une photographie de propagande d'un camp de prisonniers de guerre soviétique, 1944

Les prisonniers de guerre ont reconstruit des usines, édifié des barrages, des voies ferrées, des ports, etc. Ils ont également construit et restauré des maisons, y compris des immeubles d'habitation pour les employés du ministère de l'Intérieur. Par exemple, des prisonniers allemands ont construit le stade Dynamo à Moscou. Ils ont également travaillé dans une verrerie à Lytkarino, une banlieue de Moscou. Un bâtiment d'archives à Krasnogorsk, dans la région de Moscou, a été construit sur la base du projet de Paul Spiegel, un architecte allemand.

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Des spécialistes qualifiés comme Spiegel ont été sélectionnés par les Soviétiques pour effectuer des tâches complexes. L'historien Stefan Karner écrit qu'en 1946, plus de 1 600 spécialistes de haut niveau ont été affectés à différentes industries soviétiques: « Cinq cent soixante-dix ingénieurs, 260 ingénieurs civils et architectes, environ 220 ingénieurs électriciens, plus de 110 docteurs en sciences physiques et mathématiques et sciences techniques ». Ces personnes jouissaient de meilleures conditions que dans les camps de travail ou dans les « bataillons de travail ». Ils vivaient dans les villes, à proximité des industries ou des institutions dans lesquelles ils œuvraient, et recevaient des salaires, dont la moitié en deutsche marks. Cependant, tout spécialiste pouvait être reconduit dans un camp si son travail ne satisfaisait pas les autorités.

Des prisonniers de guerre allemands capturés par l'Armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale, 9 août 1941

Les ouvriers et anciens soldats allemands ordinaires, qui travaillaient sur des chantiers de construction et ailleurs, recevaient également des salaires afin de pouvoir subvenir à leurs besoins en Union soviétique. Par exemple, les anciens soldats étaient payés sept roubles soviétiques par mois, les anciens officiers supérieurs – de 10 à 30 roubles. Ces chiffres étaient dérisoires – un pot de lait coûtait deux roubles et une paire de bonnes chaussures coûtait plus de 150 roubles. Les prisonniers de guerre ordinaires qui ne possédaient aucune compétence particulière devaient lutter pour survivre.

Les conditions de travail dans les camps étaient, bien sûr, terribles. « Au début, nous devions charger deux wagons de bois pendant un quart de travail, puis la norme a été augmentée à trois wagons. Nous étions obligés de travailler seize heures par jour, les dimanches et jours fériés également. Nous rentrions au camp à neuf ou dix heures du soir, souvent à minuit. Nous recevions de la soupe et nous endormions, et le lendemain à cinq heures du matin, nous retournions au travail », écrit Elena Chmaraïeva, citant Reinchold Braun, un prisonnier de guerre allemand.

« Le problème de la faim était au-dessus tout le reste, a écrit l'officier Heinrich Eichenberg. L'âme et le corps se vendaient pour une assiette de soupe ou un morceau de pain. La faim détruisait les gens, les rendait corrompus et les transformait en animaux. Voler à ses propres camarades était devenu courant ».

Les Allemands capturés ont été utilisés dans l'exploitation forestière, la construction de routes et de voies ferrées dans des zones reculées et difficiles d'accès, ainsi que dans l'extraction de minéraux - par exemple, l'uranium, le charbon, le minerai de fer, en particulier dans les mines du bassin du Don.

Les taux de mortalité étaient élevés parmi les Allemands dans les camps de travail. Selon les statistiques soviétiques, de 1945 à 1956, plus de 580 000 personnes sont mortes dans des camps de prisonniers, dont plus de 356 000 Allemands. Près de 70 % des décès sont survenus au cours de l'hiver 1945-1946. En comparaison, comme l'a écrit l'historien Viktor Zemskov, environ 1,8 million de citoyens soviétiques sont morts en captivité allemande pendant les années de guerre.

Le chemin du retour

Défilé des prisonniers de guerre allemands à Moscou

Les statistiques soviétiques officielles de 1956 indiquent que deux millions de prisonniers allemands ont été rapatriés après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, malgré ces nombres, les statistiques manquent de certitude. D'autres sources indiquent que jusqu'à 680 000 prisonniers ont été libérés pendant la guerre, mais ce nombre comprenait des prisonniers de Roumanie, de Slovaquie, de Hongrie, etc. Les statistiques soviétiques indiquent que 356 678 prisonniers sont morts dans les camps soviétiques et qu'environ 37 000 d'entre eux ont été condamnés pour crimes de guerre.

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En fait, le rapatriement a commencé dès juin 1945, lorsque 225 000 prisonniers « malades et affaiblis » ont été renvoyés chez eux, dont 195 000 Allemands. En août 1945, 700 000 autres, dont 412 000 Allemands, ont été « libérés » de la captivité soviétique. Ils n'étaient pas autorisés à emporter de l'argent avec eux, écrit Elena Chmaraïeva. De ce fait, ils ont essayé d'acheter des bonbons ou du tabac avec leurs économies – tout ce qu'ils pouvaient emporter sur le chemin du retour. Wilhelm Lotse, rapatrié en 1949, emportait avec lui près de 6 kg de biscuits et bonbons, 2 355 cigarettes et 600 grammes de tabac.

Des Allemands revenus de captivité en URSS arrivent au camp frontalier de transit de Friedland en 1955

Les conditions de transport ressemblaient à celles d'un camp de travail, et constituaient le dernier adieu du système répressif soviétique. Parfois, les rapatriés n'ont pas reçu de nourriture et d'eau pendant des jours alors qu'ils progressaient en train depuis le territoire soviétique. Le premier endroit où les prisonniers allemands arrivaient en Europe était le camp de relocalisation soviétique de Francfort (Oder), où ils passaient 2-3 jours, avant d'être envoyés vers leurs emplacements respectifs. En 1947, 70 % des prisonniers de ce camp étaient malades.

Le rapatriement des prisonniers de guerre allemands d'URSS a officiellement pris fin le 5 mai 1950. L’agence TASS a déclaré que 1 939 063 prisonniers de guerre allemands avaient été rapatriés depuis 1945. En réalité, il restait des Allemands captifs en URSS - entre 10 et 20 000, qui sont partis en 1950-1956. « Cette maison a été construite par des prisonniers de guerre allemands » disent encore les Russes avec respect à propos des bâtiments des années 1950, certains d'entre eux ayant vraiment été construits par des Allemands. Car même en captivité, les ouvriers allemands faisaient de leur mieux.

Pourquoi Staline n'a pas sauvé son fils, retenu captif par les nazis ? Trouvez la réponse dans cette autre publication.

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