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Une épidémie de peste fait rage en Russie, et pour aggraver le tout, une éclipse solaire totale se produit. Le prêtre juste Avvakoum perçoit cela comme la colère de Dieu pour la réforme de l'Église menée par le patriarche Nikon. Il prêche contre les réformes et devient l'un des chefs de file du « schisme de l'Église » et des vieux-croyants. Il est jeté en prison, d'où il commence à raconter son histoire...
Qui était Avvakoum ?
Le futur écrivain Avvakoum Petrov est né dans un village de la région de Nijni Novgorod dans la famille d'un prêtre. Dans sa Vie de l'archiprêtre Avvakoum, il raconte qu'à l'âge de 21 ans, il est devenu assistant du prêtre (diacre) et qu'à 31 ans, il était « promu » archiprêtre, un rang élevé dans le clergé. Même le tsar Alexeï Mikhaïlovitch le connaissait et le respectait.
Avvakoum a activement lutté contre l'injustice et défendu ceux qui en avaient besoin ; à cause de cela, il s’est souvent retrouvé impliqué dans des conflits, barrant la route de personnes influentes. Parfois, il refusait de bénir le fils d'un noble boyard, parfois il sauvait une orpheline du harcèlement d’un « gros bonnet » local. Avvakoum a été insulté, battu et sa maison a même été attaquée.
Face aux persécutions, il s'enfuit à Moscou, où la réforme de l'Église venait de commencer. Le patriarche Nikon a apporté un certain nombre de changements aux canons, notamment en ordonnant aux orthodoxes de se signer non pas avec deux doigts, mais avec trois. Avvakoum considérait cela comme une véritable catastrophe – il observait avec horreur Nikon imposer de force de nouvelles règles, punissant sévèrement les récalcitrants. Ces derniers étaient jetés en prison, et certains moines particulièrement inflexibles avaient les doigts et la langue coupés.
Pour avoir refusé de se signer avec trois doigts et avoir prêché contre les réformes, Avvakoum lui-même a été exilé en Sibérie pendant plusieurs années. Plus tard, il a été autorisé à retourner à Moscou, dans l'espoir qu'il accepterait les réformes. Le tsar lui-même est venu le persuader, cependant, Avvakoum était inflexible. On le jeta donc en prison.
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Avvakoum a continué à prêcher même en prison, raison pour laquelle lui et ses compagnons ont été exécutés : en 1682, ils ont été brûlés vifs.
La vie d’un saint écrite à la première personne
En substance, toute la littérature russe ancienne débute avec le genre initié par la Vie de l'archiprêtre Avvakoum. La biographie des saints était généralement compilée après leur mort par des moines-chroniqueurs selon des canons clairs établis par l'Église. Ils décrivaient comment le saint vivait avec justice et quels miracles il accomplissait. La vie d'Avvakoum se distingue par le fait qu'elle a été compilée de son vivant, qui plus est à la première personne. De plus, le texte regorge de noms, d'emplacements et de descriptions de détails précis. Cependant, Avvakoum mentionne également des miracles - à la fin, il énumère les cas où il a guéri des gens et les a sauvés des démons.
L'innovation d’Avvakoum réside également dans le fait qu'il décrit longuement ses sentiments, ses pensées coupables, son angoisse et ses doutes. Par exemple, il raconte comment une jeune femme est venue le trouver et a commencé à se repentir de sa débauche ; toutefois, le péché s'est allumé en Avvakoum (« Je suis moi-même tombé malade, tout à l'intérieur brûlait d’un feu pécheur »). Il a, bien sûr, surmonté cette épreuve. Beaucoup plus tard, Léon Tolstoï décrira une angoisse existentielle similaire dans ses journaux intimes, ainsi que dans sa prose, par exemple, dans La Sonate de Kreutzer.
De plus, la Vie d'Avvakoum est un essai philosophique. L'archiprêtre exprime son opinion sur une grande variété de questions relatives à la foi et à la vie, se dispute avec d'autres prêtres, et donne des arguments contre Nikon pour défendre la « vieille » foi.
La première œuvre russe « vulgaire »
Au début du XXe siècle, dans son Histoire de la littérature russe, publiée en anglais, Dmitri Sviatopolk-Mirski écrit qu'Avvakoum n'est pas seulement au premier rang des écrivains russes, mais que personne depuis lors ne l'a surpassé dans la « maîtrise habile de tous les moyens expressifs du langage courant pour obtenir les effets littéraires les plus brillants ».
On pense que la langue littéraire russe, utilisée aujourd’hui encore à l’oral et à l’écrit, a été formée par Alexandre Pouchkine. Avant lui, la littérature utilisait un « style noble », des mots et des phrases qu'on ne trouvait pas dans la langue orale. Cependant, Avvakoum fut le premier à transposer la langue parlée à l’écrit.
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Avvakoum commence son histoire par des excuses au lecteur pour le fait qu'il va s'exprimer le plus simplement possible : « J'aime ma langue russe naturelle, je n'ai pas l'habitude d’orner mon discours avec des vers philosophiques. » Il combine même un discours vulgaire avec des arguments sur la foi et des références au Christ. Par exemple, Avvakoum narre l'histoire d'un gardien enragé venu le voir dans sa prison : « Je l'ai rasé, je l'ai lavé et j'ai changé ses vêtements - il avait beaucoup de poux. Nous étions tous deux enfermés avec lui, et le troisième c’était le Christ et la Très Pure Mère de Dieu ». Et immédiatement, dans la phrase suivante, il écrit que le gardien défèque à même le sol.
En même temps, l'archiprêtre se montre exalté, surtout lorsqu'il parle de personnes qui ont souffert pour la foi. En décrivant les malheurs humains, par exemple, la faim et le dur labeur des exilés, il est tout à fait poétique : « Le fleuve est peu profond, les radeaux sont lourds, les huissiers impitoyables, les bâtons épais, les fouets tranchants, la torture est cruelle - feu et secousses, les gens ont faim. »
Le premier écrivain russe
La Vie de l'archiprêtre Avvakoum était une œuvre littéraire interdite et n'était distribuée que parmi les vieux-croyants. Elle n'a paru pour la première fois sous forme imprimée qu'en 1861. Fait étonnant, c’est à cette époque que Dostoïevski écrivait ses Souvenirs de la maison des morts.
Si beaucoup percevaient Avvakoum comme ignorant et grossier, tout le monde était enchanté par son style. « Le voici, le vivant discours de Moscou ! », écrit Ivan Tourgueniev. Léon Tolstoï a lu à haute voix des parties de la Vie à sa famille, louait le texte et qualifiait le schismatique Avvakoum d’« excellent maître de style ». Fiodor Dostoïevski l'appréciait également beaucoup. Dans le Journal d'un écrivain, il écrit que sa langue est « incontestablement diverse, riche, complète et universelle », et qu'il est impossible de traduire la légende d'Avvakoum dans une langue étrangère – « ce serait un non-sens ».
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