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Le mode de vie occidental et tout ce qui y était produit était officiellement proscrit et considéré comme « immoral » en Union soviétique, c’est connu. Et pourtant, les autorités soviétiques coopéraient assez activement avec l'Occident. Ces relations n'étaient pas affichées publiquement ; des preuves ont été conservées dans des rapports internes et dans la presse étrangère. Une de ces alliances secrètes liait les autorités du pays communiste à Adidas…
Équipe féminine de handball
V. SedatchevAprès la Seconde Guerre mondiale, les Jeux olympiques sont devenus l'une des principales plateformes publicitaires pour les articles de sport, même si cette publicité était indirecte et non officielle. Toute entreprise rêvait que ses produits soient portés par les meilleurs athlètes. À cet égard, l’URSS était particulièrement attrayante : les athlètes soviétiques étaient parmi les plus forts et le caractère fermé du pays suscitait une attention accrue.
On pense que l'alliance entre Adidas et l'URSS a été conclue en 1980, lorsque Moscou a accueilli les Jeux olympiques. Mais en réalité, tout a commencé bien plus tôt.
Sergueï Bubka, spécialiste du saut à la perche, en 1984
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Dans une note du Comité de la culture physique et des sports du Conseil des ministres de l'URSS au Comité central du PC en 1979, intitulée De la question de la coopération avec la firme Adidas (RFA), il est noté que « le Comité des sports de l'URSS est en coopération constante depuis 20 ans » avec la société allemande
D'autres marques occidentales ont également été portées par des athlètes soviétiques. En 1965, le New York Times, citant l'agence AP, a rapporté une commande de 46 paires de chaussures pour basketteurs passée par l'URSS à l'American Converse Rubber Company.
Сompétition d'athlétisme
Iouri Somov/SputnikL'explication de ce « double standard » du régime soviétique était triviale : le pays ne fabriquait pas de bonnes chaussures de sport - il n'avait ni la technologie, ni les matériaux. Mais il fallait en d’une manière ou d’une autre sortir de cette situation. Et dans le cas d'Adidas, une solution a été trouvée.
Ainsi, durant la seconde moitié des années 1970, les dirigeants soviétiques ont commencé à officialiser leurs relations avec Adidas. La société est devenue leur fournisseur en vue des prochains Jeux olympiques, la majeure partie de l'offre étant constituée de chaussures de sport modernes. Mais en 1979, les troupes soviétiques sont entrées en Afghanistan, ce qui a déclenché un boycott international et un net refroidissement des relations avec l'Occident. En conséquence, 65 pays, dont l'Allemagne, ont refusé de participer aux JO de Moscou, et le « fournisseur officiel » s'est retrouvé dans une situation délicate, car il avait déjà généreusement payé pour ce titre. Il a fallu continuer à jouer dans des circonstances complexes. En outre, comme il ressort de certains documents, Horst Dassler, le président du conseil d'administration d'Adidas, a en fait servi de conseiller de politique étrangère aux autorités soviétiques pendant la période de tensions autour des JO - il informait les responsables de l'humeur qui régnait dans les autres pays.
Les Soviétiques, à leur tour, ont imposé de dures exigences à l’entreprise capitaliste. Premièrement, il était nécessaire de supprimer tous les logos et le nom Adidas afin que le fabricant occidental ne soit visible ni sur des photos ni sur des vidéos des athlètes soviétiques. Deuxièmement, la production de ce lot a dû être transférée en URSS, l'équipement devant en outre rester dans le pays.
Fabrication de chaussures de sport dans l'une des entreprises d'"Adidas" coopérant avec l'Union soviétique
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Pour cela, l'URSS a acquis auprès d’Adidas une licence de fabrication de baskets. Pour l’entreprise allemande, c'était une pratique normale ; à l’époque, l'URSS était le vingtième pays dans lequel les chaussures étaient produites sous licence. En plus de la licence elle-même, les Allemands devaient acheter du matériel, des produits chimiques et d'autres matériaux. D'après les résultats d’une expertise, seuls trois types de matériaux artificiels dont disposaient les Soviétiques convenaient à la production de telles chaussures.
Le modèle produit en URSS était basé sur la silhouette emblématique de la célèbre « gazelle », et décliné en plusieurs couleurs. Dans le même temps, on n’en trouvait presque jamais dans les magasins : une partie a été immédiatement exportée, une autre ayant été fournie à la sélection soviétique. Et cette dernière n'a obtenu des baskets que dans des couleurs bleues (raison pour laquelle on supposait qu’il n’y avait tout simplement pas d’autres coloris). Les trois bandes reconnaissables sur les côtés ont été conservées, mais dans le même temps, on a complètement modifié le logo et remplacé l'inscription Adidas par Moskva. Dans le pays, ces baskets étaient également appelées Moskva.
C'est alors que le peuple soviétique a massivement commencé à vouloir porter des baskets : « Avant [les Jeux olympiques], il n'y avait pas de culte particulier [des baskets]. On en portait plutôt comme des chaussures de sport et, il n'était pas possible de mettre des baskets pour aller travailler dans une organisation décente, a rappelé un témoin de l’époque. En prévision des Jeux olympiques, il y a eu beaucoup de publications sur les athlètes avec des photos, des reportages cinématographiques, notamment étrangers... Tout le monde regardait cela de près et a décidé que des baskets avec un jean étaient une merveilleuse option d’habillement pour tous les jours, et on a commencé à les rechercher avidement. Et les baskets, même de fabrication nationale, ont soudainement connu un terrible déficit ».
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Des tentatives de coudre des jeans en Union soviétique avaient eu lieu, mais elles avaient échoué – les pantalons n'étaient pas du tout similaires à ce qui était populaire aux États-Unis, par exemple. Réalisant que le même problème pourrait se poser avec les baskets, Adidas a mis en place une sélection stricte de personnel.
Micha Oulikhanian, directeur de l'usine de chaussures de sport d’Eghvard (Arménie), qui fabriquait des produits sous licence Adidas à partir 1985, raconte : « Les Allemands sont venus ici, ils ont embauché des jeunes filles de moins de 23 ans, ils n'en ont pas pris de plus âgées. On ne pouvait pas embaucher de filles plus âgées. Et [il y avait une condition] : qu’elles n’aient jamais travaillé auparavant et n'aient pas de spécialité. Parce qu'à cet âge, elles n’avaient pas encore la main déformée par la fabrication de produits de bas étage. Pour qu'elles apprennent à coudre uniquement Adidas, elles ne devaient pas avoir d'expérience de production de chaussures de mauvaise qualité ».
En conséquence, les chaussures fabriquées en URSS n'étaient pas de qualité inférieure à celles produites en Allemagne. Et c'est en partie pourquoi les baskets Moskva, une sorte de rebranding d’Adidas, sont arrivées dans le pays qui avait provoqué le boycott des Jeux olympiques de Moscou – l’Afghanistan.
Cadre tiré du film Le 9e escadron
Fiodor Bondartchouk/Slovo, Art Pictures Group, STS, 2005Le fait est que l'ensemble standard d'équipement des soldats soviétiques n'était pas très adapté au terrain rocheux de l'Afghanistan et que la plupart des problèmes concernaient les chaussures : les bottes soviétiques faisaient trop de bruit et ne convenaient pas afin d’escalader des montagnes.
Les membres des unités d'élite, comme les forces aéroportées et les forces spéciales, ont été autorisés à choisir des chaussures légères et polyvalentes adaptées à la zone. Le choix s'est porté sur les baskets Moskva, bien que cela ait créé quelques malentendus : « À chaque fois que c’est possible, les commandants mettent à leurs soldats des tennis », lit-on dans un rapport d’un think tank du secrétariat américain à la Défense.
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Les commandants soviétiques le comprenaient également, et se sont donc opposés à la publication de photos de soldats en baskets dans la presse. Néanmoins, de rares clichés ont filtré... hissant les baskets Moskva au rang de produit culte. La popularité de ces baskets a grandi à tel point que ce modèle a été immortalisé dans presque toutes les représentations des soldats soviétiques et de l’Afghanistan (puis de la Tchétchénie, où ils portaient également des baskets) : dans les films, les reconstitutions militaires, les figurines et les jeux…
La production de Moskva n'a cessé qu'en 2011, quand pour remplacer les baskets, l'armée a adopté des chaussures créées spécifiquement à des fins militaires dans le cadre de la réforme.
Était-il illégal de posséder des dollars américains en Union soviétique ? Trouvez la réponse dans cette publication.
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